Santiago Follet
Le second tour des élections municipales, initialement prévu mi-mars, a eu lieu finalement ce dimanche 28 juin, après d’avoir été reprogrammé en raison de la crise du coronavirus. L’abstention record, l’échec des listes de la majorité, le succès des verts, le triomphe du parti de Marine Le Pen à Perpignan et l’entrée de Philippe Poutou au parlement de Bordeaux, parmi les éléments marquants de la journée.
Une abstention record autour du 60%
Depuis plusieurs élections, le vote des français ne se dirige ni vers le Ps ni vers Les Républicains, encore moins auprès des listes de Macron ou de Le Pen. L’option la plus choisie parmi les électeurs de l’hexagone a été une fois de plus l’abstention, mais cette fois-ci elle a marqué un record historique, autour de 60%. Cela veut dire que plus de la moitié des électeurs a décidé de tourner le dos à l’échéance électorale, en montrant un refus clair à participer aux élections.
Le pourcentage d’abstentionnisme a été si élevé que même Mélenchon a décrit ce phénomène par les termes de “grève civique” et “crise civique”. En effet, nous observons une crise de la représentativité depuis longtemps en France. Les partis politiques traditionnels de ce régime sont délégitimés et le panorama politique montre un scénario de fragmentation.
Avec ce pourcentage d’abstentionnisme l’ensemble des élections est délégitimée. Rappelons-nous que le 15 mars, veille du confinement, le premier tour s’est tenu d’une façon totalement irresponsable, dans un contexte atypique. La crise du coronavirus, l’énorme colère contre le gouvernement Macron et contre l’ensemble des institutions sont autant de motifs qui permettent d’expliquer des tels chiffres de non participation.
LREM : échec pour Macron, légitimation pour Édouard Philippe
Les français ont tourné les dos aux urnes et ceux qui sont allés voter n’expriment généralement pas leur soutien au gouvernement. C’est même tout le contraire, Macron qui voulait profiter de ces élections comme point d’appui pour développer une extension territoriale de son projet politique, n’a réussi à remporter aucune ville importante.
L’échec des listes de Macron est la conséquence de la mauvaise gestion de la crise du coronavirus menée par le gouvernement et comme refus des politiques du président qui ont donné lieu à des grands mouvements sociaux de protestation, comme c’est le cas des Gilets Jaunes et de la grève contre la réforme des retraites. Dans les dernières semaines, les massives mobilisations anti-racistes, des sans-papiers ainsi que celles des travailleurs et travailleuses de la santé ont inondé les rues de tout le territoire pour faire face au gouvernement. De son côté, la seule réponse institutionnelle a été celle de la répression, sans donner aucune concession et sans accéder au dialogue avec les secteurs et fronts de luttes.
Dans ce contexte, le faible score de 16% pour Agnès Buzyn à Paris a laissé la porte ouverte pour une réélection d’Anne Hidalgo (PS) qui a remporté la mairie avec le 50% des voix. La candidature de LREM à Paris a été désastreuse : le candidat initialement prévu a du renoncer à son poste pour cause d’une vidéo sexuelle. Buzyn a publiquement manifesté son mécontentement face à sa démission forcée du ministère de la santé dans le contexte du coronavirus.
Pour sa part, l’élection du Premier Ministre Édouard Philippe à la mairie du Havre avec le 58% est la seule bonne nouvelle pour le gouvernement qui devra résoudre la continuité ou la sortie de Philippe de son poste actuel. Les alliances à droite avec Les Républicains n’ont pas remporté le succès attendu et les bonnes élections des Verts ont réussi à arracher plusieurs mairies importantes aux alliés de Macron.
Les verts confirment leur dynamique ascendante
Il y a beaucoup à célébrer parmi les partisans d’un capitalisme vert regroupés autour de la liste Europe Écologie Les Verts. Pour cette formation écologiste le second tour des municipales est venu confirmer les bons résultats obtenus dans les européennes de l’an dernier. Les verts ont remporté la victoire dans des villes importantes comme Lyon, Marseille et Bordeaux (qui étaient sous contrôle de la droite traditionnelle), alors qu’ils ont également obtenu les mairies de Lille, Strasbourg, Annecy, Besançon, Poitiers et Grenoble.
La tendance ascendante de cette formation politique est à nouveau confirmée qui s’exprime sous la forme d’un profil centriste qui a réussi à disputer un espace à Macron avec du succès. Les Verts se sont érigés comme la principale force politique de “l’union des gauches”, (plus exactement de “centre-gauches”) qui a compté dans de nombreuses villes avec le soutien du Parti Socialiste, du PCF et de la France Insoumise.
Alors que le PS continuera à la tête de Paris et de Nantes, le PCF maintiendra quelques bastions historiques de la banlieue rouge comme Montreuil et Ivry-sur-Seine, ils ont ainsi récupéré Bobigny. Mais les communistes ont cédé leur bastion historique de Saint-Denis au PS, en étant incapables de trouver un accord avec LFI. Ces types d’alliances et de ruptures par ville ont marqué le ton d’une journée nationale avec des combinaisons fragmentaires, dans lesquels Les Verts ont été ceux qui ont pu mieux développer son extension tout au long du territoire.
Perpignan : le bastion de l’extrême droite
Pour le Rassemblement National de Marine Le Pen, l’arrivée au pouvoir dans la ville de Perpignan, de 120 000 habitants, représente un fait marquant dans l’histoire de la formation d’extrême droite. La victoire de Louis Aliot face au maire sortant républicain Jean-Marc Pujol a montré un second tour réactionnaire entre la droite et l’extrême droite.
Cette victoire du RN nous alerte sur la menace que ce parti représente surtout après plusieurs manifestations des policiers qui réclamaient littéralement leur droit à réprimer. Le Pen a soutenu publiquement ces secteurs de la police et cette élection de Perpignan représente la tendance la plus réactionnaire en opposition des énormes mobilisations anti-racistes contre les violences policières qui traversent le pays. C’est le contrepoids à droite de l’énorme impact de la lutte d’Assa Traoré du collectif Adama et de la rébellion anti-raciste qui traverse les États-Unis et qui fait son impact en France aussi.
Cependant, la victoire symboliquement forte du RN à Perpignan ne trouve pas son équivalent dans d’autres régions du pays, étant donné qu’il existe une distance importante entre les figures politiques nationales et l’ancrage territorial que leurs partis politique ont arrivé à légitimer dans ces municipales. Ni Macron, ni Le Pen (et encontre moins Mélenchon), animateurs principaux de la vie politique nationale, se sont montré incapables d’être les leaders des forces nationales capables de s’imposer au niveau national au-delà de la fragmentation et des particularités de chaque localité.
Philippe Poutou élu au parlement de Bordeaux
Dans ce contexte, il faut souligner le rôle joué par le porte-parole du NPA Philippe Poutou, qui a obtenu le 10 % des voix dans la ville de Bordeaux. Cette élection lui a permis de rentrer au parlement local, accompagné d’autres colistiers de “Bordeaux en Luttes”. Cette élection a été doublement atypique, car elle s’est déroulée dans une ville traditionnellement gouvernée par la droite et parce que les anticapitalistes ont pu surmonter la pression du “vote utile” vers Les Verts, qui ont finalement remporté ce mairie du sud-ouest.
La campagne de Philippe Poutou s’est basée sur la grande popularité de l’ex-ouvrier de Ford, qui a perdu son emploi cette année, quand l’usine Ford Blanquefort a décidé de fermer ses portes, malgré la lutte acharnée des ouvriers pendant des années. Poutou a été le candidat du NPA aux présidentielles 2012 et 2017 et il est principalement connu au niveau national grâce au débat de 2017, lorsqu’il a dénoncé la corruption de Fillon et de Le Pen. Cette prise de position nous donne l’exemple d’intervention révolutionnaire d’un candidat anticapitaliste face aux politiciens de la bourgeoisie.
La liste Bordeaux en Luttes a été formée grâce au soutien du NPA, du collectif Bordeaux Debout et de la France Insoumise, avec des militants syndicaux, associatifs, anti-racistes, des Gilets Jaunes et des militants contre les violences policières. L’inclusion de la France Insoumise dans cette “alliance” a suscité des débats au sein du NPA, par le caractère réformiste de cette organisation de centre-gauche qui a fait des alliances qui ne respectent pas l’indépendance de classe, notamment avec les verts et le PS. Cependant, la création de Bordeaux en Luttes a été possible grâce à un accord en toute indépendance de classe, avec un programme anticapitaliste, avec le NPA en tête et créé à partir des collectifs de lutte contre le gouvernement Macron, positions auxquelles la FI a adhéré.
Le succès de cette élection a permis de faire rentrer plusieurs militants au parlement, comme Antoine Boudinet, un étudiant de 27 ans qui a perdu sa main lors d’une manifestation des Gilets Jaunes. Il représente beaucoup de camarades réprimés et mutilés pour avoir lutté contre le gouvernement Macron dans la rue. Ces sièges s’ajoutent à ceux que le NPA avait déjà obtenu à Lormont et à Cenon. Ces positions institutionnelles devront se mettre au service d’être la représentation politique pour développer la lutte extra-parlementaire dans la rue contre le gouvernement Macron. Le NPA doit profiter de cette campagne pour se renforcer en tant qu’alternative politique au niveau national pour unifier dans un parti révolutionnaire avec un programme anticapitaliste toutes les luttes sectorielles de tous les mouvements sociaux existants, avec les hospitaliers, les sans-papiers, le mouvement anti-raciste contre les violences policières, pour tous les combats des travailleurs.euses, des femmes et de la jeunesse.