États-Unis : Anatomie d’un putsch anti-électoral raté

La tentative ratée de la horde fasciste appelée par Trump pour empêcher la confirmation formelle de Biden à la présidence des États-Unis, mercredi 6 janvier, continue d'avoir des répercussions dans le monde entier.

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Par Marcelo Buitrago. Paru le 12 janvier 2021 sur Izquierda Web.

 

A l’origine, le putsch n’a pas de précédent. Le Congrès des États-Unis a subi quatre attaques : des forces britanniques qui ont tenté de l’incendier pendant la guerre anglo-américaine en 1812, deux attaques terroristes à l’explosif en 1915 et 1983 et une attaque de quatre nationalistes porto-ricains en 1954 blessant cinq membres du Congrès. Jamais une mobilisation n’avait pris le Capitole pendant des heures.

Selon l’AP, la police du Capitole, une force de répression de la taille d’une ville pour un seul bâtiment, était au courant de la menace potentielle des émeutes quelques jours avant qu’elles ne surviennent, mais a rejeté les offres d’aide de la Garde nationale et du FBI. Ce n’est que lorsqu’une foule de provocateurs s’est rassemblée aux abords du bâtiment qu’ils ont demandé des renforts à la police de la ville de Washington, ce qui n’a pas empêché la foule de prendre d’assaut le Capitole une demi-heure seulement après être arrivée, face à la passivité policière. Ce n’est qu’à ce moment-là, alors que les partisans de Trump ont continué le pillage du bâtiment et que les plus hautes autorités des États-Unis se cachaient, que le chef de la police du Capitole a demandé l’aide de la Garde nationale, dans un appel aux hauts responsables du Pentagone. « Mais les responsables de la défense ont refusé », note le Washington Post, qui révèle également que les membres des Congrès de Virginie et du Maryland, au milieu du chaos, ont appelé leurs gouverneurs pour demander l’envoi de détachements de la Garde nationale de leurs États, ce qui a été bloqué par le ministère de la Défense. Celui de Virginia n’est arrivée que jeudi, tandis que celui du Maryland est arrivée à la fin de la révolte.

Le 4 janvier, les dix anciens secrétaires à la défense, républicains et démocrates en vie, avaient soumis une lettre publiée dans le Washington Post avertissant Trump de ne pas impliquer l’armée dans sa réclamation pour fraude: «Le temps est passé pour remettre en question les résultats, le moment du contrôle formel des votes du collège électoral est venu » et « les efforts pour impliquer les forces armées américaines dans la résolution des conflits électoraux nous conduiraient sur un terrain dangereux, illégal et inconstitutionnel ». En outre: « les responsables civils et militaires qui dirigent ou exécutent de telles mesures seront responsables, voire passibles d’éventuelles sanctions pénales pour les graves conséquences de leurs actes ».

La déclaration, qui a été décrite comme un «avertissement extraordinaire à Trump» par Time , et comme une «lettre publique énergique à un Trump qui continue de nier sa défaite électorale» par CNN, montre à quel point sont arrivées la polarisation politique américaine et la faiblesse institutionnelle de sa démocratie. Selon l’ancien président Bush, l’avertissement/exigence aux militaires de ne pas s’impliquer dans les manœuvres de coup d’État est typique des «républiques bananières» méprisées et humiliées. L’un des signataires a reconnu son caractère « très inhabituel », qui était justifié par le « chemin inconstitutionnel » que Trump avait emprunté.

Cependant, à peine deux jours plus tard, la déclaration s’est avérée au moins insuffisante et contradictoire. Car si «le temps de remettre en question les résultats est passé», quel serait le «contentieux électoral» dans lequel les Armées ne devraient pas s’impliquer?

Pire encore, l’appel de « s’abstenir de toute action politique qui sabote les résultats de l’élection ou pose des obstacles au succès de la nouvelle équipe », peut être compris dans le sens de « ne pas réagir ». En effet la réclamation de 147 législateurs trumpistes mercredi, c’était que selon eux les résultats de l’élection ont été altères et le « ne pas agir », c’est ce au début, jusqu’à ce que les plus hautes autorités du Congrès yankee soient en danger et qu’il devienne clair qu’il s’agissait d’une menace réelle pour l’establishment politique du pays, y compris le vice-président de la nation .

La logique politique et institutionnelle yankee a été modifiée depuis le tout début du mandat de Trump. Ni les démocrates ni les républicains qui se sont détournés de lui ne trouvent le moyen de la rétablir: on peut s’avancer et dire que c’est une vaine tentative, car Trump est l’émergence d’un pays socialement et politiquement fracturé, irréconciliable. Deux pays en un, quelque chose qui ne peut être surmonté avec des expressions de bons vœux de réconciliation d’en haut, « un pays plein de patriotes dont certains ont été conduits par Trump a une voie inconstitutionnelle », qu’il suffirait de ramener sur la bonne voie. L’autre facteur émergeant est l’irruption du mouvement Black Lives Matter, qui a remis en question dans les rues l’un des fondements de l’institutionnalisme yankee avec un degré massif jamais vu depuis des décennies: le racisme, la répression et la violence contre la population de couleur. Cette fracture fait partie intégrante de la société nord-américaine, depuis ses origines, mais maintenant elle a atteint des niveaux explosifs.

Un artcile du journal El Atlántico le résume ainsi: « Toute l’histoire en une seule photo », rapportant une photo devenue virale d’un manifestant à l’intérieur du Capitole avec le drapeau confédéré. Derrière lui, deux tableaux: celui d’un ardent sénateur abolitionniste et une autre qui représente un autre sénateur, également vice-président, un ardent marchand d’esclaves. Conclusion: la photo saisit l’écart entre les promesses fondatrices et la réalité actuelle.

Démocrates et républicains ont été témoins tout au long du mandat de Trump de ses appels à des mobilisations de l’extrême droite, de la justification des meurtres commis par ses partisans (Charlottesville 2017, Kenosha 2020) et par les forces répressives sous le slogan «Law and Order ». Et si les « défenseurs de l’institutionnalité » s’opposent par principe et par nature à la mobilisation sociale et politique pour la défense des droits démocratiques et si maintenant les forces répressives ne doivent pas agir, alors l’invocation traditionnelle du « sanctuaire de la démocratie » ne fonctionne plus comme un talisman.

Il convient de noter que cette considération se réfère à la logique suivie par les démocrates et les républicains. Du point de vue de la lutte pour la défense des droits démocratiques des travailleurs américains, la seule manière sérieuse et efficace d’affronter l’extrême droite consiste en une mobilisation indépendante, non en faisant appel aux forces répressives et à leurs capacités presque illimités contre les travailleurs, les Noirs, les femmes et les jeunes. Comme on l’a vu mercredi, avec les suprématistes blancs il y avait des bagarres dans

l’assaut du Capitole, tandis que face aux mobilisations de George Floyd il y avait des gaz, des balles en caoutchouc, des têtes cassées et des coups de bâton sans restrictions: ce n’est pas une spéculation que les forces répressives peuvent être une base de soutien pour les groupes fascistes.

Il suffisait à Trump de mobiliser une foule raciste de quelques milliers d’individus violents vers les symboles du pouvoir politique pour provoquer une crise politique monumentale. Il a réussi à répéter qu’il avait été victime de fraude parmi ses partisans pendant deux mois. Face au silence, à la complicité et à la participation, selon le cas, de la majorité des dirigeants républicains, il a fait pression sur le vice-président Mike Pence via Twitter, installant l’idée qu’il avait le pouvoir de rejeter les résultats de certains États les renvoyant pour examen et donc ils gagneraient. « Fais-le Mike, il est temps d’avoir beaucoup de courage. » Il a convoqué une marche vers le Capitole et il a paralysé la réponse de l’appareil d’État autant qu’il a pu ; Face au débordement, il s’est borné à demander à ses partisans «pas de violence», à «garder leur calme» et «respecter nos hommes et nos femmes en bleu» (la police). La réponse face au « Black Lives Matter » avait été de le qualifier de “séditieux” et le déploiement immédiat et violent de toutes les forces répressives.

La tentative ratée a révélé le manque de soutien à la fois de l’élite des entreprises yankees et des institutions étatiques (l’État profond que Trump a renié tout au long de son mandat) pour l’autoritarisme d’extrême droite. L’Association nationale des fabricants, la principale source de soutien commercial de Trump, a demandé sa démission; Dans le domaine de la finance, le PDG de Black Rock et PDG de PJ, Morgan Chase, ont condamné le coup, suivis par nombreux autres dirigeants d’entreprise. Twitter a fermé le compte de Trump, l’un de ses principaux canaux de communication; d’abord provisoirement, puis définitivement. Facebook a fait de même. Apple a supprimé le réseau social Parler de son App Store, Google a suspendu Parler de son Google Play Store, disant qu’il ne restaurera pas le service tant que les commentaires violents n’auront pas été supprimés [1] . Mais cela montre aussi qu’il y a un secteur de la classe capitaliste (surtout ses franges inférieures et intermédiaires) qui voudrait pouvoir aller vite contre les ouvriers et les opprimés à tout prix, en recourant à la violence ouverte et sans retenue; en fait, la femme morte au Capitol Ashli Babit, possédait une petite entreprise de piscines en Californie.

Il est dangereusement complaisant de qualifier les événements de simple mise en scène, de les minimiser ou de les banaliser, sur la base du caractère ouvertement impérialiste et bourgeois de Biden et du Parti démocrate. Sans soutenir ni sympathiser avec aucun des partis impérialistes qui ont contesté le président, il faut dire clairement que «les gangs d’extrême droite et le coup d’État remettent en question les droits démocratiques les plus élémentaires des masses américaines, maintenant ils veulent passer au-dessus d’un résultat électorale claire, à la fois dans le vote populaire et au collège électoral, au-delà des fortes caractéristiques anti-démocratiques du régime politique yankee lui-même ». [2]

Déjà en janvier 2020, des partisans armés de Trump ont encerclé le parlement de Virginie, contre les changements dans le contrôle des armes à feu, et en avril, les hordes trumpistes armées de fusils semi-automatiques ont pris d’assaut le Capitole à Lansing, Michigan, contre les mesures de quarantaine. (Plus tard, le FBI a annoncé un complot de la milice pour kidnapper le gouverneur). Désormais, la foule montrait non seulement le drapeau des esclavagistes confédérés et des T-shirts nazis, mais aussi ils ont érigé une potence, le symbole aberrant du lynchage des Afro-Américains.

Il s’agit d’une remise en cause des droits démocratiques des larges majorités populaires au centre de la principale puissance mondiale, et ce n’est pas une question personnelle de Trump: 147 législateurs républicains l’ont accompagné pour tenter d’annuler le résultat électoral. Il a sa propre base sociale, cela représente un immense danger au niveau international.

 

Démocrates : terrorisés face à la mobilisation

Nancy Pelosi, la dirigeante démocrate au Congrès, a immédiatement tenté de faire avancer les choses dans une direction institutionnelle et a menacé Trump de «destitution» ou de procès politique s’il ne quittait pas le pouvoir «immédiatement», publiant une lettre qu’elle a adressée à la réunion des cadres de son parti. Dans celle-ci, elle préconise que les républicains forcent Trump à démissionner ou que le vice-président Pence accepte la demande d’activation du 25e amendement, selon lequel lui-même et une majorité du cabinet pourraient procéder à la destitution du président.

Cependant, de la part des républicains, jusqu’à présent, la seule chose qui a été vue est la démission du secrétaire aux transports et à l’éducation et d’autres fonctionnaires, tandis que Pence regarde ailleurs: après tout, Trump a été le leader incontesté des Républicains, presque aucun d’entre eux ne l’a affronté avant… .. et, il a 75 millions de voix.

En outre, à ce stade, le président a la possibilité d’offrir une réponse écrite, et s’il conteste la destitution, c’est au Congrès de décider. Tout vote au Sénat et à la Chambre des représentants ordonnant la révocation du président requiert une majorité des deux tiers.

Du côté de la mise en accusation, elle doit être initiée par la Chambre des représentants et n’a besoin que d’une majorité simple pour être activée. Mais ensuite, le procès a lieu au Sénat, où les deux tiers des voix sont nécessaires pour destituer le président, et cette étape n’a jamais été franchie dans l’histoire américaine (y compris le précédent procès de destitution de Trump ).

Sur le plan pratique, les deux pistes peuvent être difficiles et peu susceptibles de s’appliquer, étant donné le temps limité que Trump resterait en place, jusqu’au 20 janvier.

Biden, pour sa part, a déclaré que la destitution est une affaire du Congrès, se détachant de la question, et depuis lors, il s’est consacré à la promotion des personnalités de son cabinet et à l’annonce de mesures pour reconstruire l’économie et retrouver l’emploi « tous ensemble ».

Même ainsi, le lundi 11, les démocrates ont fait le premier pas pour lancer la destitution, mais au-delà de la pyrotechnique verbale de Pelosi «sa complicité (républicaine) met en danger les États-Unis, érode notre démocratie et doit cesser»; la grande majorité des analystes politiques voient cette décision comme la possibilité de disqualifier Trump de se présenter aux futures élections. Ce qui conduit à la conclusion que la plus grande peur des démocrates n’est pas la foule fasciste, ni le mépris de Trump pour les institutions sacro-saintes, mais que la mobilisation indépendante contourne toutes les procédures légales et aboutisse, non seulement à expulser Trump, mais à affronter l’extrême droite, qui menace même ouvertement de rester dans la rue.

L’aile gauche des démocrates, dont la figure principale est Alexandria Ocasio-Cortez, suit également la même voie institutionnelle. Elle s’est consacré à promouvoir la destitution de Trump dans les médias et à se disputer avec les législateurs républicains sur Twitter, exigeant même leur démission, comme Ted Cruz et Kevin McCarthy. Mais pas par la mobilisation mais par leur indignation morale sacrée, comme si les dirigeants de l’extrême droite pouvaient être convaincus par un raisonnement sur les droits démocratiques des opprimés.

Enfin, seulement une semaine s’est écoulée depuis l’assaut pour mettre fin aux développements de la situation. On verra si le parti républicain éclate ou pas et qui reste à sa direction, comment Trump remplace dans l’immédiat la déconnexion de ses haut-parleurs (facebook et twitter), et si un courant plus homogène s’impose désormais, après que Trump quitte la présidence ( le changement continu de son personnel politique a été une constante ces dernières années). Mais ce qui est certain, c’est que la polarisation politique se poursuivra et laisser les rues à l’extrême droite, attendre passivement la présidence de Biden n’est pas seulement une erreur, mais aussi le meilleur moyen de la renforcer.

L’expérience de la mobilisation de Black Lives Matter, qui a changé la donne au plan politique, devrait être le point de départ de la défense des droits démocratiques et sociaux des travailleurs, des Noirs, des femmes et des jeunes.

 

[1] Parler est un réseau social vers lequel les adeptes de Trump se sont tournés en raison du moins de contrôle par rapport à Twitter et Facebook , qui ont commencé à marquer et à supprimer les messages de manière plus agressive en raison de la désinformation, de la discrimination et l’incitation à la violence. En conséquence, les partisans de Trump, y compris des conservateurs de haut niveau comme le sénateur du Texas Ted Cruz, ont afflué vers le service.

[2] Déclaration de Socialisme ou Barbarie international.

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