Les étudiants grecques s’organisent contre l’instauration d’une “police universitaire”, une initiative réactionnaire qui a provoqué une grande tension dans les campus depuis plusieurs semaines. A Thessalonique, la deuxième ville la plus peuplée de Grèce, un rassemblement étudiant a été fortement réprimé par les forces de l’ordre, un étudiant blessé a dû être conduit à l’hôpital.
Nous rappelons que l’an dernier, un texte anti-démocratique avait été voté au parlement à l’instar du gouvernement de droite “Nouvelle Démocratie”, pour mener à bien la création d’une “brigade de protection policière” dans les universités grecques. Il s’agit pour le gouvernement d’une tentative de mettre fin à “l’asile universitaire”, une situation qui permet jusqu’ici une certaine liberté démocratique au sein des universités.
Le geste antidémocratique a pour but d’empêcher l’auto-organisation d’un mouvement étudiant combatif et politisé avec l’argument réactionnaire “de combattre les violences de groupuscules d’extrême gauche, le vandalisme, le trafic de drogues”.
Dans ce contexte, Socialisme ou Barbarie a interviewé des militants de l’organisation SSP (Lutte Étudiante Socialiste), section étudiante de l’OKDE (Organisation des Communistes Internationalistes de Grèce), pour en savoir plus sur l’organisation et les perspectives du mouvement étudiant en Grèce face aux attaques anti-démocratiques du gouvernement.
Nous exprimons toute notre solidarité internationale avec la lutte des étudiants grecques !
1) Quelle est la situation du mouvement étudiant en Grèce ?
Le mouvement étudiant en Grèce a été influencé par le soulèvement de l’université polytechnique d’Athènes de novembre 1973. Ce soulèvement a été un tournant pour le mouvement des travailleurs et de la jeunesse, ayant mené à l’expansion de droits et conquêtes pour la classe travailleuse et pour les étudiants. Au cours des années suivantes (de 1974 à 1980), le mouvement étudiant grec s’est politisé, radicalisé et a connu une croissance fulgurante, tout en ayant développé des structures basées sur les meilleures valeurs possibles du mouvement travailleur. Des groupes d’étudiants, surtout d’extrême-gauche, ont vu le jour au sein des universités. La forme d’assemblées générales dominaient, au sein desquelles les étudiants débattaient, formulaient leurs revendications, décidaient leurs buts et organisaient les luttes. Chaque année se tenaient les élections d’un conseil administratif pour tous les syndicats universitaires, partis politiques, factions, tendances pouvaient y participer en tant que forces organisées, avec leur programme et leurs propositions ouvertement exprimés. Existent aussi d’autres instruments, tels que les comités et la coordination des syndicats étudiants. Ces instruments permettent aux étudiants de revendiquer leurs droits et de continuer le combat. Ce sont nos luttes qui ont gagné tout ceci depuis le soulèvement de 1973, mais à ce jour encore, ces acquis demeurent fondamentaux pour résister aux attaques des gouvernements bourgeois et des politiques néo-libérales brutales. Les gouvernements menacent de détruire tout ceci par leurs attaques, leur but ultime est le démantèlement de l’enseignement public et gratuit, à cause de la crise et de la faillite du capitalisme grec.
En particulier au cours de l’année dernière, le gouvernement de la Nouvelle Démocratie (ND) a voté une loi visant à former une force de police au sein des universités, la police universitaire. Aujourd’hui le gouvernement tente d’appliquer cette loi autoritaire et fascistisante en vue d’écraser tout soulèvement ou lutte au sein des universités d’éliminer les forces étudiantes, surtout celles d’extrême-gauche. Afin de réussir, des forces de police anti-émeute avec leurs véhicules ainsi qu’avec des canons à eau ont été mobilisés contre des manifestants au sein de l’université la plus grande de Grèce, l’université Aristote de Thessalonique, pendant plus d’un mois. Des affrontements quotidiens ont lieu entre ces forces et le mouvement étudiant, causant l’arrestation de plusieurs jeunes, dont certains sont parfois grièvement blessés par la brutalité policière.
Certes le mouvement étudiant a essuyé des défaites, bien que le gouvernement ne puisse pas appliquer immédiatement toutes les lois néo-libérales votées, et il en a déjà mis une œuvre une petite (mais dangereuse) partie (comme un numerus clausus réduisant l’entrée à l’université qu’à travers des examens difficiles). Et cela est dû au fait que ces lois étaient et sont encore en désaccord avec plusieurs luttes, quelque soit leur ampleur, et pas revendiquées uniquement par les étudiants, mais aussi par les travailleurs et par la jeunesse. C’est aussi parce que la majorité du peuple grec est en désaccord avec ces lois et ils ne peuvent pas les supporter.
2) Comment s’organisent les étudiants dans cette situation ?
Les étudiants sont organisés au sein de faction de partis politiques, où chaque parti détient ses propres dispositifs, plans d’action et programme politique. Il y a les partis bourgeois : 1) le DAP, faction de la ND, 2) le PASP, faction du PASOK, 3) le BLOCO, faction de SYRIZA.
Les partis les plus organisés à gauche sont : 1) le KNE, faction du KKE (Parti Communiste grec), 2) EAAK, des factions (plus laxistes et dispersées) d’ANTARSYA et de LAE, des « fronts » de l’extrême-gauche radicale.
Au cours des dernières élections (celles du 18 mai 2022), les partis bourgeois ont essuyé une défaite historique, ayant recueilli 41 % des voix. Pendant plus de 30 ans le DAP recueillait à elle seule le même pourcentage de voix et gagnait ainsi les élections. Cette année il a aussi perdu la première place, occupée désormais par le KNE. Ces résultats mettent en évidence le dégoût des étudiants face à ces forces politiques, et surtout face au gouvernement et aux politiques qu’il représente. Il est important de noter que la presque totalité des parties de gauche se sont considérablement renforcés, au point de gagner 50 % des voix !
Cependant, la présence de de ces partis de gauche est tout aussi problématique, comme nous avons déjà pu le constater à plusieurs reprises dans le passé, surtout à cause des politiques qu’ils représentent (réformistes, bureaucratiques et stalinistes, ou encore des politiques vulgairement ou vaguement « radicales »). Elles affaiblissent le mouvement et ne peuvent pas offrir une réponse planifiée comme il se doit aux attaques gouvernementales endurées. Les partis de gauche ont considérablement viré à droite, n’organisant que des « mobilisations symboliques », et en n’ayant préparé aucun plan de luttes face aux attaques du gouvernement. Ils ne convoquent pas d’assemblées générales pour que les étudiants organisent leur combat et ils n’appellent à la lutte militante pour contrer les dangereuses attaques de l’État. C’est à cause de ça que beaucoup d’étudiants ne sont pas au courant de leurs droits et ne participent ni aux assemblées, ni aux mobilisations, dans une logique de devoirs qui est nocive. C’était évident au cours des dernières années ainsi qu’au cours des dernières élections. Bien évidemment, la situation après la « capitulation » de SYRIZA en 2015 a empiré les soucis de politisation de nombreux jeunes, de radicalisation, des liens avec le mouvement et la lutte, etc., situation qui change depuis peu de temps.
3) Quelles sont les actions permettant de continuer le combat ?
Les étudiants d’aujourd’hui ont intégré les universités alors qu’elles sont restées fermées pendant un an et demi, parce que les mesures gouvernementales contre la COVID-19 (en réalité, un confinement anti-jeunesse…). Dès lors, il n’y a pas eu d’élections depuis avril 2019 (3 ans !) et cela a considérablement affaibli les combats étudiants. Le renforcement de la gauche met en évidence une première tendance, une quête encore vague des étudiants, le début d’une radicalisation. Que ceci se transforme un jour en un mouvement militant, pouvant continuer un combat durable (contribuant par la même occasion à la reconstruction du mouvement étudiant), cela ne sera possible qu’à condition que les forces de la gauche révolutionnaire se renforcent. Ce ne sera possible qu’à condition du renforcement de factions telles que la notre, le SSP (faction étudiante du OKDE). Ce ne sera possible qu’à condition qu’il existe une chaîne de participation active dans les luttes, dans les structures autonomes, pour les sections étrangères de la jeunesse, pour surpasser les obstacles du KNE et les impasses d’EAKK. Chaque jour nous devons supporter les dures mesures du gouvernement et du système capitaliste, et nous ne devons pas rester inactifs. Ce sont des batailles d’un enjeu vital pour les étudiants : contre la police universitaire, les fermetures ou fusions des universités, les frais de scolarité. Pour contrer la dure attaque anti-constitutionnelle, qui est liée aux grands problèmes actuels aux niveaux social et politique (la guerre, la crise économique, l répression politique, etc.), une sérieuse réorganisation du mouvement étudiant sur des bases davantage solides est nécessaire. Il nous faut la renaissance du mouvement étudiant, un Combat Durable qui sera assuré par des structures autonomes (comités, coordinations) et par des moyens de combat (occupations d’universités). C’est le seul moyen d’unifier le mouvement étudiant, de bloquer la nouvelle loi, d’expulser la police des écoles, en tant que premier pas vers l’expulsion du gouvernement exécrable de Mitsotaki, ensemble avec les travailleurs et les plus démunis. Et c’est là notre but en tant que SSP.
Entretien avec des membres du SSP (Lutte Étudiante Socialiste), faction du OKDE (Organisation des Communistes Internationalistes de Grèce). Le SSP est actif dans quatre villes (Athènes, Thessalonique, Ioánnina et Patras) au sein de 28 universités et syndicats différents.