
A l’heure de la publication de cet article, nous comptons déjà plus de 15 jours de grève générale, des déclarations d’état d’urgence dans 6 provinces, 90 blessés, 37 détentions et 6 décès.
Il va faire un an que le gouvernement de Guillermo Lasso s’est installé au palais de gouvernement de Carondelet et les résultats de sa gestion ne font que confirmer les expectatives négatives que nous avions depuis le début de son mandat. En effet, le gouvernement Lasso a mis en œuvre des recettes d’ajustement budgétaire qui ont augmenté la précarité, l’inflation (3,3%) et le chômage (4,7%). Nous pouvons constater une dégradation profonde des conditions de vie de la population en général. Rien de nouveau sous le soleil.
Dans ce contexte, épuisée dans son essai de négocier avec le gouvernement en place, la Confédération des Nationalités Indigènes (CONAIE) s’est vue poussée par la base à appeler à une grève nationale et mobilisation le lundi 13 juin. Une mobilisation qui a été largement annoncée et dont la participation des secteurs des travailleurs s’est étendue dans tous les coins du pays.
Nous rappelons que les indigènes constituent un secteur important de la population équatorienne (autour de 10%), dans un pays à majorité métisse (plus de 70%). Il s’agit des différents peuples originaires, présents notamment à la campagne et qui réalisent majoritairement des activités agricoles, qui sont actuellement dans la première ligne de la mobilisation contre les politiques du gouvernement Lasso.
Les raisons d’une colère populaire qui s’est massifiée partout
Dans la capitale comme ailleurs, les émeutes se sont multipliées dans toutes les villes principales du pays au point que le gouvernement est passé de faire la sourde oreille à déclarer très vite l’état d’urgence dans 3 provinces. Prime sa rhétorique méprisante à l’égard du mouvement indigène et de leurs dirigeants, le président Lasso a déclaré qu’il allait « défendre la capitale contre les vandales ». Quelques jours après ces déclarations, le principal dirigeant de la CONAIE, Leonidas Iza, a été emprisonné, chose qui n’a fait que jeter de l’huile sur le feu de la protestation.
A la base de cette grève générale, figurent les demandes suivantes :
- La congélation du prix et la subvention du carburant.
- Marge et tolérance pour le crédit en délais de paiement pour les petits producteurs.
- Subventions agricoles et fixation de prix pour les produits agricoles.
- Travail, liberté d’organisation et contrôle d’exploitations minières de la part de l’Etat.
- Autodétermination des peuples indigènes, école bilingue et interculturelle.
- Opportunités pour la jeunesse et budget pour les hôpitaux.
Les motifs déclencheurs du mécontentement ne sont pas si différents de ceux de 2019. Désormais aggravés par la crise sanitaire et les effets collatéraux de la guerre en Ukraine, les émeutes continuent son cours ascendant dans les principales villes de l’Equateur avec des débordements de colère comme à Puyo, ou la police vient d’assassiner un manifestant.
Une caractérisation du mouvement indigène
Il est connu que dans le pays andin, le mouvement indigène est un acteur important de la vie politique. Il ne faut pas oublier qu’il y a quelques années après la « rebelión de los forajidos” (rébellion des malfaiteurs) en 2005, dont son caractère était plutôt citoyen et métis, et suite à la crise du mouvement réformiste de Rafael Correa, le secteur indigène a récupéré presque entièrement la légitimité d’opposition aux gouvernements néolibéraux; notamment à cause de l’impact de la précarité qui bat de plein fouet les secteurs agricoles et paysans.
Néanmoins, nous sommes loin de pouvoir affirmer que les indigènes sont les seuls affectés par la situation économique, mais au contraire, le reste des travailleurs souffrent également les conséquences des politiques du gouvernement. Beaucoup de travailleurs trouvent des difficultés pour construire une alternative politique qui puisse faire avancer leurs demandes en tant que travailleurs. Le faible taux de syndicalisation et l’énorme présence du travail informel (autour de 30%), de chômage et de précarité conditionnent les capacités de la classe ouvrière à pouvoir développer des formes d’organisation pour résister aux politiques néolibérales.
D’autre part, nous pouvons dire que le mouvement indigène a des formes d’organisation et des traditions historiques de lutte importantes. Cependant, il y a une tendance en Equateur à faire un amalgame automatique entre les mouvements et leurs directions. De ce point de vue, nous considérons que la direction du mouvement indigène mérite une remise en question autour de leurs méthodes de toujours céder à la “pression blanche” et de jouer la carte du “bon sauvage” en ouvrant le dialogue avec la bourgeoisie la plus rance du pays. C’est ce type des “trahisons” et des négociations institutionnelles qui ont provoqué la défaite du mouvement en 2019 contre le gouvernement Lenin Moreno et qui risquent de limiter la combativité du mouvement dans les prochaines semaines.
L’entrée massive des indigènes dans ce processus de mobilisation populaire a entraîné une réponse de la part de la droite. Les secteurs les plus réactionnaires de l’Equateur sont clairs dans leurs positions racistes. Selon eux, tous les manifestants sont associés au vandalisme et le vandalisme est directement lié aux indigènes, c’est-à-dire, aux “sauvages non civilisés”.
Pour la victoire de la rébellion populaire contre le gouvernement Lasso
Le peuple indigène a toujours été méprisé par tout secteur et par tout gouvernement tout au long de l’histoire de l’Equateur. Il n’existe pas un seul moment de l’histoire du pays où les indigènes ont occupé une place équitable, comme n’importe quel autre citoyen. Le développement (même précaire) du pays s’est construit sur la base d’une servilité historique du peuple indigène en fidélisant toujours son appartenance à la classe populaire, toujours discriminé et toujours sous la botte des plus puissants.
Nous soutenons la lutte et l’autodétermination des peuples originaires de l’Equateur. Nous considérons logique et compréhensible que ce mouvement soit le premier à développer des outils pour la lutte, puisque c’est le premier concerné. Néanmoins, c’est important que de la même façon l’ensemble des travailleurs se reconnaissent dans leurs demandes que les sont aussi propres, pour mener une bataille d’ensemble.
Pour cela, il est important d’enrichir l’expérience de la rue en tissant des ponts permettant de construire un mouvement en fonction des intérêts de tous les exploités, des femmes, des travailleurs, des jeunes et des indigènes. Dans ce sens, les initiatives en cours de convergence entre les indigènes, des travailleurs de l’éducation et des étudiants montrent la voie pour étendre la mobilisation à l’ensemble de la population.
Il est fondamental que la direction de la CONAIE ne cautionne pas avec des “dialogues” avec la bourgeoisie et que les manifestants puissent développer des organes d’auto-organisation pour mener la bataille jusqu’au bout. Pour que les travailleurs et tous les secteurs exploités et opprimés puissent continuer à lutter avec détermination dans la rue, pour vaincre le gouvernement de Guillermo Lasso et son programme capitaliste.
Vive la grève des travailleurs et des indigènes ! Vive la rébellion populaire !
Lasso dégage ! Non à la répression ! Pour un gouvernement des travailleurs !