Mandel selon Stutje, Bensaïd et Moreno

Nous partageons ci-dessous l'article écrit par Roberto Saenz, dirigeant du courant international Socialisme ou Barbarie, sur la biographie du marxiste révolutionnaire Ernest Mandel.

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L’équipe du siège de l’Internationale, rue Godefroy-Cavaignac, à deux pas de l’appartement de Mandel, venait de tous les continents. Elle comprenait le Britannique John Ross, jusqu’à récemment l’un des conseillers de Ken Livingstone à la mairie de Londres, Livio Maitan, le petit Italien qui vivait à Paris, le biologiste suédois Tom Gustafsson, Jean-Pierre Beauvais, journaliste et plus tard dirigeant du mouvement français altermondialiste, le cinéaste méxicain Manuel Aguilar Mora et Daniel Bensaïd, un guévariste né et un philosophe passionné avec un grand talent pour l’enseignement, qui ressentait plus de respect que d’affection pour Mandel. Les autres étaient l’Irlando-Américain Gerry Foley, pendant de nombreuses années rédacteur en chef de la revue anglophone Inprecor (plus tard International Viewpoint); le Valencien Miguel Romero, surnommé El Moro parce qu’il était né en Afrique du Nord; et l’Américain Barry Sheppard. Pendant un certain temps, Janette Habel a été la seule femme du groupe. Elle était mariée à un médecin de la famille Grimaldi et avait des liens étroits avec Cuba. (…) Le groupe était complété par le Japonais Sakaï, qui s’exprimait dans un anglais hésitant, et parfois par un visiteur occasionnel venu d’Australie ou de Nouvelle-Zélande. Ils se rencontraient deux fois par semaine, sous la présidence de Mandel et Udry, pour débattre des derniers développements économiques avec le Financial Times, Le Monde et le Neue Zürcher étalés devant eux sur la table.

Stutje, Jan Willem, Ernest Mandel. Un révolutionnaire dans le siècle, Paris, 2022, Editions Syllepse, pp. 343-344.

 

L’une des lectures que j’ai faite pendant mon séjour en France c’est une biographie sur Ernest Mandel, paru originellement en 2007 : Ernest Mandel. Un révolutionnaire dans le siècle. Une biographie qui sert comme déclencheur d’une série de réflexions sur le mouvement trotskyste. 

 

Mandel comme figure

Il s’agit d’une biographie sérieuse et bien documentée sur la vie de Mandel et des événements de la 4ème Internationale. Il ne s’agit pas d’une œuvre strictement politique. Elle n’aborde pas d’une manière systématique le parcours du secteur de la 4ème dirigée par Mandel. Cependant, l’œuvre donne quelques pistes intéressantes sur certains chapitres importants de cette histoire : des traits sur certains aspects de ce secteur du trotskysme.  

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale jusqu’au début des années 60, Mandel, encore jeune, était le «second violon» de Michel Pablo, dirigeant trotskyste d’origine grecque plus âgé que Mandel, mais encore relativement jeune à l’époque. Pablo avait plus d’audace politique, mais il a été une figure très controversée, avec des forts traits empiriques et opportunistes qui ont amené la branche de la 4eme dirigée par lui à une profonde adaptation au stalinisme. Il a fait «histoire» avec l’idée de l’arrivée d’une troisième guerre mondiale, raison pour laquelle il fallait «se préparer à des siècles d’Etats ouvriers dégénérés par le stalinisme» et à faire de l’entrisme dans les partis staliniens. Cette approche déséquilibrée a produit la scission de la 4ème Internationale en 1953. 

Dans son ouvrage Les trotskysmes, Bensaïd surprend avec un bilan qui justifie Michel Pablo. Il s’agit d’un texte qui a des éléments aigus par rapport au bilan de l’URSS, mais qui défend les orientations les plus erronées du courant pabliste :

Au début des années 1950, la direction de l’Internationale tente, sous l’impulsion de Michel Raptis dit Pablo, de redéfinir un projet politique cohérent. En avril 1950, commence la guerre de Corée. Les années 1950 sont marquées par le climat de guerre froide, le maccarthysme aux États-Unis, le procès et l’exécution des Rosenberg (…) L’orientation qui se dessine alors dans l’Internationale est directement liée au pronostic d’une nouvelle guerre mondiale imminente. Cette «guerre qui vient» prendrait l’allure d’une guerre civile mondiale ou d’une «guerre-révolution». Dans le contexte de la guerre froide, cette éventualité n’a rien d’invraisemblable. En mars 1951, Pablo publie un article intitulé «Où allons-nous ?» où il analyse «la réalité sociale objective» comme «composée essentiellement du régime capitaliste et du monde stalinien». 

Un pronostic «impressionniste» erroné («l’impressionnisme» a toujours été présent dans mouvement trotskiste après Trotsky) qui a donné lieu à «l’entrisme sui generis» au sein des organisations staliniennes (qui venaient d’assassiner des trotskystes). 

De cette manière, on passait de l’anti-défensisme de l’URSS à l’embellissement du stalinisme. C’est à dire, de l’incorrecte pression anti-défensiste pendant la Seconde Guerre Mondiale, avec l’URSS sous l’attaque nazi (une égalisation mécanique entre fascisme et stalinisme qui est une aberration politique evidente), on passe pendant l’après-guerre à une aberration oposée mais symétrique : l’embellisement du stalinisme… Ces zigzags étaient liés à la marginalité et la petitesse de l’Internationale (aux pressions dramatiques que le mouvement trotskyste devait et doit encore supporter). 

En résumé, tout le chapitre 5 de ce bouquin de Bensaïd, intitulé «En attendant Godot» est une justification injustifiable de l’orientation pabliste de la IV Internationale. Une orientation que Bensaïd présente comme une «aggiornamento nécessaire» et que Stutje situe critiquement avec plus d’équilibre. Ce dernier signale que Michel Pablo était une figure importante sur Mandel lui-même.

Au début des années 60 Mandel rompt avec Pablo, qui est devenu un «fanatique des pays du tiers-monde» au point d’assister le gouverment nationaliste bourgeois de Ben Bela en Algérie, entre autres choix politiques non indépendants. Cependant, les traits opportunistes, impressionnistes et doctrinaires ont été caractéristiques chez Mandel. Nous affirmons cela sans nier qu’un positionnement général contre le sectarisme et la marginalité soit une détermination absolument correcte qui nous encourage à résoudre cette problématique tout en gardant une orientation indépendante (sans s’adapter aux appareils). 

En général, le mendélisme a été un courant qui n’a pas été capable de réussir ce pari. Ils ont eu des déviations à gauche et à droite (actuellement leurs adaptations vont systématiquement vers l’opportunisme). Le 9ème Congrès de la IVème Internationale (Secrétariat Unifié) a voté majoritairement en 1969 pour une orientation pro-guérilla qui s’est révélée comme un crime politique. C’est le chapitre le plus dur de l’autobiographie de Bensaïd, une sorte de reconnaissance implicite sur cela : 

Même si nous gardons nos distances sur la théorie du foco, nous ne pouvons que nous reconnaitre, au moins en partie, dans l’autocritique de Régis Debray sur les illusions d’un léninisme prématuré. Nous devons faire, ainsi, notre examen de conscience. La lutte armée votée lors du 9eme Congrès Mondial ? Une généralisation à contretemps (…) l’épisode argentin [la visite en 1973 de Bensaïd pour polémiquer avec Moreno en défense de la lutte armée…] reste comme le plus douloureux de ma vie militante. 

Les contributions les plus importantes de Mandel ont eu lieu surtout dans le terrain théorique et propagandiste et moins dans le domaine politique et constructif proprement dit. Dans ces deux derniers domaines sa personnalité était faible. Une question classique est que les personnalités plus «propagandistes», pour ainsi dire, ont l’habitude d’être peu souples politiquement (le doctrinarisme a cette origine qui peut être résolu uniquement avec l’expérience pratique de terrain). Et vice versa : les pragmatiques, ceux qui ont une capacité politique empirique qui ne se base pas sur une appréciation profonde et étudiée théoriquement des événements, sont souvent des dirigeants avec peu de formation politique; avec des forts traits d’opportunisme immédiat. Cet «immédiatisme» a été caractéristiques chez certains dirigeants issus du morénisme après l’explosion de ce courant dans les années 90.

Certains chapitres de l’autobiographie de Mandel sont plus passionnants que d’autres. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné, le texte de Stutje est sérieux. Les chapitres dédiés à l’élaboration économique de Mandel, surtout au Traité d’économie marxiste, nous ont semblé «gris». Par contre, Le capitalisme tardif est une œuvre précieuse. D’autres chapitres nous ont semblé très riches, parmi lesquels se trouvent ceux sur l’expérience de Mandel pendant la Seconde Guerre Mondiale et sur la situation en Pologne quarante ans plus tard pendant les années 1980. Il s’agit d’une polémique au sein du courant mandéliste sur la politique en Pologne sous la dictature de Jaruzelski, à partir du coup d’Etat de 1981. 

Pour résumer ce livre, nous pouvons affirmer certaines questions qui sont liées à la peinture de notre voyage en France, surtout avec les caractéristiques du militantisme révolutionnaire dans un pays du centre impérialiste. Belgique, Allemagne et France ont été les centres d’opération de Mandel, avec une préférence pour l’Allemagne, dans laquelle Mandel voyait une potentialité stratégique qui n’a pas été prouvée par les faits

Ils rejetaient l’idée [défendue par Staline] que le peuple allemand portait une culpabilité collective [pour le nazisme] (…) Une telle pensée chauvine ne devait pas infecter le prolétariat. (…) L’Allemagne n’était pas seulement une terre de tyrannie mais aussi le berceau du mouvement socialiste, le pays de Rosa Luxembourg et le cœur de la révolution européenne. Le pseudonyme de Mandel, Ernest Germain, reconnaissait cette dette.

A priori, ce pari stratégique était correct. Il est clair que l’Allemagne était (et l’est encore) l’un des pays les plus industrialisés au monde avec une classe ouvrière d’une tradition historique majeure. Cependant, Mandel n’a pas pu évaluer la double défaite historique vécue par la classe ouvrière allemande : la défaite de la Révolution allemande en 1919 et 1923, qui donnerait lieu au nazisme et la partition du pays et de sa classe ouvrière par le stalinisme après la Seconde Guerre Mondiale. (Moreno avait par contre une sensibilité particulièrement correcte sur cette question dans son Actualización del programa de transición.

L’Allemagne reste encore, sans aucun doute, un pays stratégique pour la perspective du socialisme international. Mais ces deux défaites historiques sont encore présentes aujourd’hui, la continuité historique a été brisée. Nous ne perdons pas de vue non plus l’énorme poids des mécanismes de cooptation sur les travailleurs et les syndicats, qui sont plus forts dans la puissance impérialiste la plus importante de l’Europe.

 

Un « juif non juif »

Mandel a été l’une des figures principales du trotskysme de l’après-guerre. Ce caractère de figure, nous pouvons le voir dans le fait de faire partie de l’horizon politique et intellectuel des années 60 et 70, avec des participations aux débats avec l’intellectualité et l’avant-garde. 

Au-delà des différences que nous pouvons en avoir avec sa trajectoire, il n’y a aucun doute sur son engagement avec la cause de la IVe Internationale. Nous rappelons que Nahuel Moreno disait que Mandel était fraternel au niveau personnel (par exemple, malgré d’être un opposant à la ligne officielle de la IV, Moreno a été hébergé chez lui plusieurs fois). Logiquement, il y avait des différences politiques et surtout, selon Moreno, Mandel était trop petit-bourgeois. Nous n’avons aucun doute sur son engagement auprès des exploités et des opprimés (son «empathie avec les inconnus» selon la définition aigue de Bensaïd sur l’engagement militant). 

L’affirmation de Moreno sur le caractère trop petit-bourgeois de Mandel ne doit pas être interprétée schématiquement, avec un angle sectaire «de classe» (nous ne partageons pas cet abordage réductionniste). 

Nous interprétons cette affirmation non comme une question d’origine sociale, mais comme une critique sur un regard, peut-être trop condescendant par rapport aux évolutions politiques au-delà du centre impérialiste. Il s’agit de la perte d’une vision critique, comme si les événements à l’extérieur des pays impérialistes étaient  «progressifs» per se. C’est-à-dire, la perte de l’angle de classe de ce qui depuis l’Europe occidentale peut être considéré comme une espèce d’exotisme… Une sorte «d’eurocentrisme» non intentionnel. 

Le père de Mandel, David Mandel, était d’origine juive mais avait des pratiques athées. Né en Europe orientale, il s’est déplacé plus tard aux Pays Bas et en Allemagne. Depuis sa jeunesse, il était engagé dans la gauche socialiste et il est devenu un sympathisant trotskyste depuis les années 30. Il a eu un comportement politique remarquable et il est très évident que «l’ascendance politique» de la famille Mandel est une élément fondamental dans leur biographie. 

Pendant la Révolution Allemande de 1918/19, Mandel père a milité en Allemagne. Il a assumé des tâches dans l’appareil de la naissante IIIe Internationale, il a connu personnellement Karl Radek et il a milité avec Walter Pieck, qui deviendra président de la RDA. Mais il s’est démoralisé avec l’assassinat de Luxembourg et Liebknecht. Ensuite, il est parti à Amsterdam, où il a développé le commerce des diamants avec succès. Mandel père est retourné à l’activisme politique avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale, en se positionnant fermement contre les Jugements de Moscou et en aidant les petits groupes trotskystes émergents en Belgique et aux Pays Bas durant le guerre. Décédé David Mandel à l’âge de 57 ans, Ernest Mandel a vécu avec sa mère, de personnalité forte, dans la maison de la famille (que nous imaginons comme une espèce de «petit manoir»).

Comme digression, nous signalons que Bensaïd provenait d’une famille assez pauvre, son père était un boxeur juif algerien et sa mère une couturière française envoyée travailler en Algérie… Ultérieurement, ils ont habité à Toulouse où ils avaient un petit bar qui était fréquenté par des voisins communistes et immigrés espagnols sympathisants de la cause de la République espagnole. Toute l’ambiance était entourée d’une sympathie pour le PCF, un parti pour lequel le jeune Bensaïd a rapidement adopté un regard critique. 

Stutje utilise la catégorie de Deutscher de «juif non juif» pour décrire la personnalité de Mandel. C’est une catégorie qui sert à englober la plupart de l’intellectualité juive du siècle dernier, et même au-delà, dans laquelle nous pouvons inclure Marx, Trotsky, Rosa Luxembourg, Tony Cliff et beaucoup d’autres militants socialistes révolutionnaires. Cette «catégorie» implique un rejet (ce qui ne veut pas dire un désavouement des origines) d’une identité exclusivement juive comme une entrave à un positionnement universel par rapport à la souffrance de tous les opprimés. (La solution du problème juif était perçue comme un projet lié au progrès général de l’humanité et de la classe ouvrière socialiste). C’est à partir de cette ancrage que nous devons aborder des textes comme La question juive de Marx, ce qui ne signifie absolument pas le désavouement de la souffrance du peuple juif dans les camps de concentration, mais de situer ces souffrances parmi les blessures de tous les exploités et les opprimés en général (parmi lesquelles se trouvent évidemment, les souffrances du peuple palestinien oprimé par le sionisme).

Un chapitre de la biographie de Stutje est consacré à la réflexion de Mandel sur la question juive. L’œuvre de Bensaïd a également des réflexions à cet égard. Nous partageons la critique de Traverso sur un certain aveuglement chez Mandel sur l’abordage de la spécificité de la massacre juive aux mains du nazisme : «[Le génocide nazi a été] une rupture de la civilisation qui a brisé la base de la solidarité humaine elementaire sur laquelle l’existence humaine était basée jusqu’auparavant.» Celle-ci est une afirmation aigue, bien qu’il ne faut oublier d’autres ruptures de civilisation dans l’histoire de l’humanité y compris durant la periode d’accumulation primitive capitaliste (les colonies et l’esclavage, par exemple, mentionnés par Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme). 

Cependant, pour donner la parole à Mandel lui même, il paraît que depuis les années 80 son approche s’était modifiée : 

La société bourgeoise dans son ensemble se caractérise par une combinaison sui generis de rationalité partielle et d’irrationalité globale (…) dans la mesure qu’effectivement il existe un fond irrationnel dans le projet de guerre nucléaire, cela n’implique dans aucune mesure que ce projet ne soit irréalisable. Auschwitz était également irrationnel (…) Cependant, il a eu lieu. C’est la présence de la tolérance politique et idéologique des masses à l’irrationnel et à la monstruosité ce qui est décisif dans l’étape actuelle (…) Ceci est l’objectif central de l’offensive (…) contre la science, contre la raison, contre les idéaux de la révolution bourgeoise et du Siècle des lumières; y compris contre les idéaux égalitaires élémentaires présents dans la tradition religieuse judéo-chrétienne. La barbarie des idées précède la barbarie des faits. («La théorie marxiste des crises et la dépression économique actuelle»).

Il s’agit d’une affirmation aiguë, et surtout d’actualité, celle qui dit que la barbarie des idées précède la barbarie des faits. (Nous affirmons qu’elle est d’actualité par rapport à la situation de polarisation internationale croissante que nous vivons et de «l’ère des calamités» que représente ce capitalisme vorace du XXIe siècle). 

L’une des pages de gloire de la vie de Mandel a été son entrée et sortie pendant sa jeunesse des camps de concentration nazis. Avec une enorme chance, il ne semble pas avoir été en danger de mort ni de torture. Dans sa première arrestation, le père de Mandel a payé pour sa libération une somme milliardaire en profitant de la corruption du nazisme. Dans sa deuxieme (ou troisieme) arrestation il a eu la chance d’être pris en tant qu’activiste politique et non en tant que juif. Il est clair que la politique d’extermination juive en Europe occidentale a eu des dizaines des milliers des victimes, mais elle a été considérablement plus petite par rapport aux massacres des millions des personnes (juifs, soviétiques, gitans, handicapés, etc) en Europe orientale et dans l’URSS. 

Par exemple, la France a déporté environ 75.000 juifs parmi lesquels 65.000 sont passés par le camp d’internement de Drancy au nord de Paris (le père de Bensaïd a été arrêté la bas, mais grâce aux énormes efforts de son épouse catholique, il a réussi à éviter d’être déporté.) Seulement 3% des juifs déportés ont survécu, un chiffre incomparablement supérieur à celui des soldats français non juifs détenus lors de la défaite en 1940, dans laquelle 97% a survécu. 

Mandel reconnaît qu’il était un jeune fou et avec beaucoup de chance; et nous rajoutons : courageux. Abraham Léon, quelques années plus agé que lui et plus mature politiquement en tant que dirigeant en charge de la section belge de la IVeme Internationale pendant l’occupation nazi, qui malheuresement a été assassiné à Auschwitz, lui a laissé une affirmation pertinente qu’il a retenue : derrière une grande catastrophe il y a toujours une grande opportunité. Une définition que Mandel a interprété peut-être avec une naïveté excessive face aux développements concrets. 

Abraham Léon a écrit pendant l’énorme lutte contre le nazisme, ce qui lui donne encore plus de valeur, l’une des œuvres la plus importante du marxisme sur la question juive : La conception matérialiste de la question juive. Très controversée, mais qui impressionne par son serieux dans l’approche materialiste historique de la question, surtout en sachant qu’elle a ete ecrite par un jeune au millieu de la Seconde Guerre Mondiale, sous l’occupation nazi et dans la clandestinité. Dans ces derniers messages à Mandel, avant d’être déporté à Auschwitz, Abraham Léon lui a demandé de publier cette œuvre après la guerre. Mandel a publié le livre en 1946 avec une introduction écrite par lui-même.

A mode d’exemple de toute sa richesse, nous partageons cette définition à contre courant du sens commun : 

La catastrophe économique de 1929 rendit la situation des masses petites-bourgeoises sans issue. L’encombrement dans le petit commerce, l’artisanat, les professions intellectuelles, prit des proportions inaccoutumées. Le petit bourgeois considérait avec une hostilité croissante son concurrent juif dont l’habileté professionnelle, résultat des siècles de pratique, lui permettait souvent de traverser avec plus de bonheur les « temps difficiles ». L’antisémitisme trouva même l’oreille des larges couches d’ouvriers artisanaux, depuis toujours sous l’influence de la petite bourgeoisie.

Il est donc faux d’accuser le grand capital d’avoir fait naître l’antisémitisme. Le grand capital ne fit que se servir de l’antisémitisme élémentaire des masses petites-bourgeoises. Il en fit une pièce maîtresse de l’idéologie fasciste. Par le mythe du « capitalisme juif », le grand capital essaya de monopoliser à son profit la haine anticapitaliste des masses. (Abraham Léon, La conception matérialiste de la question juive.) 

Une définition aigue qui montre à la fois l’origine matérielle du sentiment populaire anti-juif et l’usage politique que le nazisme en a fait pour dévier la haine contre la classe capitaliste vers la haine raciale.

Mandel été content d’être déporté en Allemagne pendant le nazisme avec l’idée que ce pays était le centre de la révolution européenne. C’est qui été vrai, il était censé de l’être : 

Si seulement la classe ouvrière allemande entrait en action, la révolution européenne tant attendue arriverait et serait imparable. [Stutje rappelle que les analyses du trotskysme étaient partagées par Roosevelt, Churchill et Staline – c’est-à-dire, la peur de ces derniers à la classe ouvrière allemande. Le bombardement de Dresde, par exemple, a eu l’objectif d’éviter cette irruption.] (…) Mais expliquer que la révolution était imminente constituait également un talon d’Achille. (…) N’était pas une issue plausible après vingt-cinq ans de défaites ? (…) N’était-il pas un peu facile de comparer la fin de la Seconde Guerre mondiale avec celle de la Première ? (Stutje, 2022, 72/3).

Comme digression, en février 1945 les Alliés ont décidé le bombardement de la ville allemande de Dresde, ville éloignée de la guerre et sans aucun intérêt militaire, sauf, peut être, pour l’industrie de guerre. Les Alliés ont commandé un bombardement barbare pendant plusieurs jours qui a tué 100.000 personnes et qui a complètement détruit la ville. Les anglais et les américains ont partagé l’action génocidaire qui a eu comme seule conséquence le renforcement de la décision de la population allemande de ne pas se rendre, ce qui a permis Goebbels de faire une campagne contre la barbarie des «puissances démocratiques».

 

La maladie de l’objectivisme

De nombreuses définitions de Mandel étaient déséquilibrées. Son « optimisme anthropologique » dans les possibilités de l’humanité, une sensibilité que nous partageons, a été trop souvent transformé, sans médiation, en analyses naïvement optimistes et déséquilibrées, que nombre de ses camarades militants résumaient comme une sorte d' »optimisme de la volonté et d’optimisme de l’intelligence », au lieu de l’aphorisme gramscien plus équilibré d' »optimisme de la volonté et de pessimisme de l’intelligence » …..

Mais attention: de toute façon, la maladie de l’objectivisme a caractérisé pratiquement tous les courants du tronc traditionnel du trotskisme dans l’après-guerre, y compris le morénoïsme, l’objectivisme étant le sous-produit d’un déséquilibre méthodologique entre les facteurs d’analyse objectifs et subjectifs (caractéristique en rupture avec la tradition classique du marxisme révolutionnaire). La marginalisation politique, et le fait que le stalinisme semblait mener des « révolutions socialistes », ont facilité ce déraillement :

« Il [Mandel] avait une certaine caractéristique objectiviste dans sa conviction, à savoir qu’une section [de la Quatrième] devait nécessairement émerger du mouvement de masse polonais (…) Hubert Krivine considérait que l’objectivisme et la prévisibilité étaient pratiquement synonymes, et lors du 13e Congrès mondial de la Quatrième en 1991, il a rompu avec Mandel » (Stutje ; 2022 ; 390/1[19]).

Concernant la Pologne des années 1980, Stutje ajoute :  » Sa position marginale [sur le terrain des événements] a obligé Mandel à avoir confiance en la spontanéité des masses et leur volonté de se libérer du jus stalinien (…)  » (idem, 394). Il y avait une part de vérité, bien sûr : les masses polonaises bouillonnantes voulaient se libérer du stalinisme. Mais là où ils se sont « libérés », il ne peut plus s’agir d’un produit « spontané ». Comme on le sait, le processus anti-bureaucratique polonais, après la défaite de 1981, a été canalisé par l’Église catholique vers la restauration du capitalisme.

Ce genre d’illusion était également présent dans des courants comme le morénoïsme, qui prétendait que si les œuvres de Trotsky étaient publiées en URSS, le trotskysme deviendrait de masse… L’optimisme de la volonté doit toujours être au cœur de nos convictions révolutionnaires car sinon il est impossible de s’appliquer à la transformation du monde. Mais il est clair que l’une des choses qui a marqué le plus négativement le trotskisme dans l’après-guerre, ce sont les analyses délirantes détachées de la réalité, c’est-à-dire le manque d’analyse critique de l’intelligence ; un manque d’analyse réfléchie qui découlait du contraste entre la marginalisation du mouvement trotskyste et un processus de révolutions anticapitalistes qui semblait marcher « objectivement » vers le socialisme…..

Mandel a eu la chance d’être sous les feux de la rampe trotskiste pendant plusieurs décennies. Si le trotskisme latino-américain nous paraît plus militant et plus ouvrier, plus sacrificiel du point de vue des conditions d’existence, le contraste est également évident en ce qui concerne les possibilités intellectuelles et culturelles pour tout militant et/ou dirigeant européen.

Même s’il s’agit d’un courant minoritaire, mais étant au centre du monde, il est plus facile d’avoir des traits cosmopolites[20], bien que tout eurocentrisme – quelque chose qui n’est pas toujours apprécié dans les courants européens[21] – doive être évité. Mais il y a aussi les dangers de l’adaptation à la « zone de confort » d’un autre niveau de vie… Des distances qui sont exacerbées par l’absence d’une véritable Internationale (une question dont on parle souvent mais qu’on ne comprend pas dans son véritable sens[22]).

La vie révolutionnaire de Mandel était plutôt florissante, mais aussi pleine d’abnégation du point de vue du militant. Nous l’affirmons, même si, à certains égards, elle nous semble être une vie privilégiée. La biographie de Stutje rend compte de vacances longues et répétées aux quatre coins du globe, mais il est également vrai que Mandel était un journaliste à succès, ce qui justifiait ses voyages, ce dont nous n’étions pas conscients [23]. De nombreux liens, une reconnaissance intellectuelle, la participation à la crème des débats internationaux pendant plusieurs décennies, l’invitation à Cuba par le régime castriste pour la discussion sur la planification en 1964 et bien plus encore. Dans le débat à Cuba, Mandel penche pour les positions du Che, qui fait appel à des incitations morales pour développer l’économie contre les critères conservateurs venant de l’URSS (mécanismes commerciaux d’évaluation de l’efficacité économique). Il faut noter que la position du Che et de Mandel était à la « gauche » de la bureaucratie officielle mais ne signifiait pas un dépassement critique : elle n’avait pas la démocratie ouvrière en son centre[24].

Mandel semble avoir les pieds sur terre. Ses analyses pouvaient être poussées jusqu’à un objectivisme ridicule, sans aucun contrepoids. Son point de vue sur le stalinisme, un problème central à son époque, était presque entièrement dépourvu de critique. Mandel était incapable d’apprécier son travail destructeur :

« Le 4 novembre [1989], un million de personnes ont manifesté à Berlin-Est. Le fait que la majorité soit composée de travailleurs et de jeunes (…) est « la marque de toute véritable révolution », comme l’a écrit Mandel. Il a compté 7000 affiches, « et pas une seule ne demandait la réunification de l’Allemagne » (…) Il a déclaré à un public surpris, réuni à la Mutualite à Paris, que les travailleurs avaient repris le fil rompu par l’assassinat de Rosa Luxemburg (Stutje ; 2022 ; 398).

Ce à quoi Bensaïd répond : « À l’automne 1989, le mur de Berlin tombe au milieu d’un grand échec historique. Champagne et Alka-Seltzer ! Du champagne pour célébrer la mort d’un cadavre (…) de l’Alka-Seltzer, parce que les pierres du mur nous atteignent aussi (…) (2004 ; 370).

Bensaïd ajoute qu’il est absolument vrai que le trotskisme a combattu le stalinisme, mais que, de toute évidence, la défaite historique du mouvement ouvrier et de ses grands espoirs, que l’événement venait de clore, ne pouvait laisser indemne le marxisme révolutionnaire, et il raconte l’anecdote selon laquelle la conférence de Mandel à la Mutualité (janvier 1990) avait laissé tout le monde pantois (il n’a convaincu personne[25]).

Davantage les pieds sur terre, cependant, Bensaïd (sans perdre de vue son acuité et sa créativité) nous apparaît comme l’inverse « parfait » de Mandel : un regard extrêmement mélancolique. Un regard qui, s’il capte une partie importante de  » l’esprit  » du carrefour des années 90, et qui, en outre, a aussi une sensibilité aiguë à une série de problèmes encore présents aujourd’hui liés à la crise de l’alternative socialiste, manque néanmoins de l’équilibre nécessaire : il laisse la marque d’un certain  » scepticisme « , pour ainsi dire – une marque qui caractérise son courant actuel, marqué par un moral militant très bas ainsi que des traits opportunistes.

Plusieurs traits de caractère de Mandel n’étaient pas du goût de Bensaïd. Bien qu’il affirme ne pas avoir été un « gourou », comme l’auraient été Pablo, Posadas, Lambert ou Cliff, et que, par ailleurs, ce n’est que de l’extérieur que son courant a été identifié comme mandéliste, il souligne que : « en travaillant à ses côtés, il m’inspirait plus de respect que d’affection. Comme la Françoise de Proust, il semblait plus généreux envers l’humanité en général qu’attentif à ses proches. Le dialogue avec lui n’a pas été facile. Il donne à son interlocuteur une conférence sous forme de monologue, ou le soumet à un interrogatoire afin d’obtenir des informations susceptibles de confirmer ses propres opinions. La relation était rarement réciproque et égale. Sauf avec Charles-André Udri, qu’il traite comme un alter-ego et un héritier destiné à assurer la succession » (Bensaïd ; 2004 ; 364). Un trait qui, en faisant abstraction des immenses distances, nous rappelle bien sûr davantage Plekhanov que Lénine… (même si, pour être juste, il reste à savoir si ces traits n’étaient pas déjà ceux d’un âge plus avancé chez Mandel qu’à une époque antérieure[26]).

 

Un univers de contrastes

Cela peut paraître dur, peut-être, mais la figure de Mandel résume, si l’on veut, deux pôles : une très grande capacité propagandiste et une faiblesse politique et constructive, éléments qui, paradoxalement, en plus d’être érudit et riche théoriquement, l’ont rendu doctrinaire, schématique. Il est difficile de tirer une conclusion équilibrée. S’il a brillé intellectuellement, bien qu’il ait défendu un marxisme trop sociologique à notre goût, son équilibre est politiquement discutable (laissant un héritage avec de forts traits opportunistes). En même temps, Mandel et aussi Bensaïd, cependant, ont réussi à avoir une existence politique moins marginale que le trotskyste moyen – bien qu’il ne soit pas permis de le faire au détriment des principes, évidemment.

Mandel était extrêmement érudit, cela ne fait aucun doute. De nombreux camarades qui ont milité avec lui soulignent qu’il était un « marxiste éclairé », pour ainsi dire, avec une confiance infinie dans les possibilités de l’humanité. Ils soulignent que c’était l’une des sources de son optimisme. Et il est vrai qu’un certain quota d' »illumination » est nécessaire à une époque de calamités comme la nôtre pour ne pas perdre les potentialités qui se nichent dans l’humanité. Mais, en même temps, il est clair que l’une des leçons du siècle dernier est que tout est une lutte : c’est soit le socialisme, soit la barbarie.

À cet égard, il y a place pour une réflexion pointue de Marx dans le reportage d’un journaliste américain à la fin de sa vie. Alors qu’il passait quelque temps dans une station thermale, le journaliste lui demanda comment il pouvait résumer la vie, et Marx répondit : « La lutte. Le meilleur résumé de la vie est la lutte ». Il laissait entendre qu’en effet, s’approprier les tendances progressistes de la réalité pour en faire un point d’appui de la transformation sociale n’est pas quelque chose d’automatique ou de mécanique ou de dépendant des étoiles ou d’une quelconque loi sociale supérieure à la lutte des classes : c’est une lutte ! (quelque chose que peut-être Mandel, d’une certaine manière, sans être également injuste, a perdu de vue en tant qu’enfant des Lumières, en effet – pas tant les luttes que les tendances à la barbarie).

Michael Lowy souligne cette faiblesse :

 » Il y a des lacunes surprenantes dans son travail : on trouve très peu de choses sur le débat sur  » l’anti-humanisme théorique  » d’Althusser ou sur la discussion autour de la conception marxiste de la nature humaine. Mais cela peut s’expliquer par sa réticence à s’engager dans des controverses strictement philosophiques. Plus troublant encore est le peu d’attention accordée aux crimes contre l’humanité : le goulag stalinien, Hiroshima et même Auschwitz (jusqu’en 1990). On ne peut pas dire que ces événements historiques soient absents de ses écrits : il en fait mention (surtout dans les dix dernières années [Mandel est apparemment arrivé dans les dernières années de sa vie à plusieurs angles critiques, comme ceux que Lowy signale ou le bilan du stalinisme]), mais avec un statut quelque peu marginal, sans leur donner toute leur importance historique mondiale en tant que désastres de la modernité. »

Et Lowy ajoute :

« Mandel était un héritier trop fier des Lumières, un disciple des Lumières françaises et de leur philosophie optimiste du progrès historique, pour percevoir ces événements historiques comme des ruptures civilisationnelles (…) » (« L’humanisme révolutionnaire d’Ernest Mandel »).

Ses attentes politiques démesurées, il les a emportées avec lui jusque dans ses dernières années, comme lorsqu’en 1990, il a fini par participer à une réunion du comité central du PCUS en plein effondrement, avec une confiance aveugle dans le fait que Gorbatchev ne serait pas en mesure de restaurer le capitalisme.

Ce manque d’angle critique était une faiblesse en tant que marxiste, tant sur le plan théorique que politique. Et il est également vrai qu’il a fait preuve d’un marxisme économiste et/ou sociologique conforme à l’objectivisme. Roland Lew, spécialiste marxiste de la Chine, issu du courant mandéliste aux accents luxembourgeois, a attiré l’attention sur la coexistence contradictoire chez Mandel à la fois de la tendance à faire confiance à l’autodétermination des exploités et des opprimés et de son incohérence dans ce domaine (sa foi naïve dans les appareils).

Tous les marxistes révolutionnaires sont une unité contradictoire d’éléments qui, bien sûr, si nous ne parvenons pas à passer par de grandes révolutions, ont peu de chances de faire une synthèse (c’est-à-dire de se caractériser par l’une ou l’autre unilatéralité). À cet égard, Marx est peut-être la grande exception, mais c’est précisément pour cela qu’il est Marx ! Parce qu’une expérience pratique révolutionnaire universelle permet de tirer des conclusions toujours plus concrètes. Mais pour cela, il faut même avoir la chance d’avoir vécu de telles expériences, ainsi qu’une grande formation théorique. Logiquement, ce dernier élément dépend de l’effort subjectif, du sérieux avec lequel on aborde le marxisme – Lénine disait que le marxisme est une science et qu’en tant que telle, elle doit être étudiée, ce à quoi nous souscrivons sans réserve.

En tout cas, le sociologisme est une forme vulgaire, économiste et mécanique du marxisme. Il s’agit d’une forme vulgaire qui ne parvient pas à trouver un juste équilibre entre les facteurs d’analyse objectifs et subjectifs. C’est une  » écriture  » du marxisme où l’histoire se fait  » toute seule « [27]. D’où, aussi, l’approche très peu critique de Mandel sur le parcours de l’URSS, que Mandel corrige – dans une certaine mesure – dans l’un de ses ouvrages postérieurs. Notamment dans un ouvrage précieux intitulé Power and Money. Il s’agit sans doute de l’un des textes les plus inspirés de Mandel, bien que celui sur la Seconde Guerre mondiale soit également très bon, tout comme Late Capitalism et plusieurs de ses autres articles et essais – qui ont tous une miette de qualité, c’est-à-dire que Mandel doit être étudié comme les autres grands marxistes révolutionnaires de l’après-guerre, tous de manière critique.

En bref, nous ne faisons pas ici un bilan politique du courant mandéliste, question que nous abordons dans d’autres textes (« Critique des révolutions « socialistes » objectives »). Il s’agit simplement d’une esquisse qui, comme toute cette série de textes « Mirador París », tente d’apprécier le monde et ses tendances. Et le mouvement trotskyste aussi, de ce point de vue, avec toute la charge politique et culturelle que cela implique. Ceci dans le but d’enrichir le jeune militantisme de notre courant et le reste du militantisme socialiste révolutionnaire qui les intéresse.

 

Bibliographie

Daniel Bensaïd, Une lente impatience, Stock, France, 2004.

Daniel Bensaïd, Trotskismos, El Viejo Topo, España.

Abraham León, La concepción materialista de la cuestión judía, Editorial Cannán, Buenos Aires, 2010.

Michael Lowy, “El humanismo revolucionario de Ernest Mandel”, Viento sur, 05/04/2018.

Ernest Mandel, “La teoría marxista de las crisis y la actual depresión económica”, Ernest Mandel, archivo internet, conferencia dictada en Atenas en junio 1983.

Antonio Negri, Historia de un comunista, Traficantes de sueños, tomos I y II, Buenos Aires, 2021, 2022.

Roberto Sáenz, “Crítica y reivindicación de Nahuel Moreno”, izquierda web.

Jan Willem Stutje, Ernest Mandel. Un révolutionnaire dans le siècle, Editions Syllepse, París, 2022.

Enzo Traverso, Understanding the nazi genocide. Marxism after Auschwitz. To te memory of Ernest Mandel (1921-1995), revolutionary interllectual and ‘non-Jewisj Jew, whose life and work taught me what internationalism is, Pluto Press, Londres, 1999)

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