
La visite d’une délégation de militants du Nuevo MAS (Argentine) à Lima pour soutenir la lutte contre le gouvernement putchiste de Dina Boluarte a eu un fort impact médiatique en Amérique du Sud. Manuela Castañeira, porte-parole du parti d’extrême gauche Nuevo MAS, a exprimé sa solidarité internationaliste avec les travailleurs et les jeunes en lutte au Pérou. Le voyage a servi également a tiser des liens internationalistes avec des jeunes et des travailleurs pérouviens, notamment via des rencontres à l’université de Lima et au syndicat CGTP. Une initiative qui a provoqué la colère de la droite pérouvienne, qui s’est attaquée à Castañeira via les réseaux.
« Cette visite dans un pays frère vise à apporter ma solidarité au peuple péruvien qui se mobilise contre le gouvernement de Dina Boluarte et exige l’arrêt de la répression et une Assemblée constituante pour refonder le pays par le bas », a écrit Castañeira sur ses réseaux sociaux.
Dans ce contexte, Manuela Castañeira a été interviewé par le média IP Noticias, entretien que nous reproduissons ci-dessous.
Vous savez qu’il y a une crise pratiquement chronique au Pérou. Mais maintenant, les protestations sociales et la répression s’y sont ajoutées. Plus de 60 personnes ont été tuées au cours des derniers mois. Dina Boluarte, qui était la vice-présidente de Pedro Castillo, a pris le pouvoir et les manifestants exigent maintenant sa démission. Elle a convoqué des élections qui auraient lieu dans un an et demi à partir de maintenant, puis elle les a avancées. Ce n’est pas suffisant. Nous sommes en contact avec Manuela Castañeira, vous la connaissez, c’est une dirigeante du Nuevo MAS. Elle nous raconte ce qu’elle voit depuis Lima, au Pérou. Manuela, bonsoir, comment allez-vous ?
Comment allez-vous, Andrés ? Bonsoir. Nous sommes ici à Lima avec une délégation du Nuevo MAS. Nous sommes venus apporter notre solidarité. Nous avons écouté ce que vous disiez dans votre introduction. Je voudrais ajouter mes impressions d’ici et ce qui m’a été dit lors des entretiens successifs que j’ai eus avec des dirigeants comme le secrétaire général de la CGTP. Ce que nous devons savoir, c’est que ce qui se passe au Pérou est un coup d’État militaro-civil, soutenu par les forces armées et la répression.
Il est important de diffuser les voix de la mobilisation populaire et ses demandes. A préciser également en Argentine, où le gouvernement d’Alberto Fernandez a décidé de reconnaître les représentants de Dina Boluarte et de son gouvernement. De cette façon, il légitime le coup d’État.
La figure du « coup d’État » convient-elle ? Rappelons que Dina Boluarte était la vice-présidente de Pedro Castillo, un président qui est entré par la fenêtre. J’ai l’impression qu’il avait ses erreurs. Le dernier geste de fermeture du Congrès m’a semblé pour le moins maladroit. Pourquoi dites-vous « coup d’État » ?
Je pense que ce que vous dites est très important. Ce qu’il faut essayer de comprendre, c’est que la Constitution Fujimoriste, du dictateur Fujimori, est toujours en vigueur au Pérou. Il a laissé beaucoup de mécanismes, beaucoup de manœuvres, qui sont légales mais pas légitimes, pour enlever la volonté du peuple. La volonté du peuple a élu Pedro Castillo, et le Congrès avait déjà tenté à plusieurs reprises de le destituer par la manœuvre de la « vacance ». Dina Boluarte elle-même l’avait déjà dit pendant la campagne. Et ce que vous soulignez à propos de la crise politique chronique a à voir avec cela, avec le Congrès qui s’arroge le pouvoir de destituer les présidents élus à maintes reprises, pour les remettre en question « moralement ». Ils l’ont aussi mis en prison.
Ceci indépendamment de la critique de Castillo. Je ne suis pas un soutien de Castillo. Il a dit dans sa campagne qu’il allait promouvoir une Assemblée constituante et il n’a pas tenu ses promesses. Maintenant nous pouvons voir le résultat.
Nous sommes maintenant dans une situation différente. Ce Congrès, avec des manœuvres de palais, a démis Castillo de ses fonctions, a imposé Boluarte et le peuple est indigné. Il y a beaucoup de colère dans les rues. Les gens crient « Dina asesina » dans la rue.
La situation semble avoir des allers-retours. Le calme semble revenu. Que pensez-vous de la situation là-bas ?
Il y a beaucoup d’inégalités. Au sud, il y a un état de siège, la répression est brutale. Il y a eu un massacre avec plus de 18 morts. Maintenant, je suis à Lima et ils discutent de ce qu’il faut faire concernant l’appel aux élections.
Il y a beaucoup de pression de la part de la rue. Le week-end, il y a eu de très grandes mobilisations et une énorme grève appelée par la CGTP. La répression a également fait un autre mort ici à Lima.
De l’intérieur vers le centre, ceux qui s’organisent avec les communautés pour envoyer des délégations, des groupes de personnes. Le niveau d’organisation est impressionnant. Il y a des collectes de solidarité, des organisations de voisins pour envoyer des personnes qui, à leur retour, sont remplacées par de nouveaux groupes. Ils le font avec des drapeaux historiques. C’est très important, nous parlons d’un phénomène national. De l’intérieur, surtout du sud, ils viennent à Lima pour se mobiliser parce qu’ils ne reconnaissent pas Dina Boluarte.
Avec ces manœuvres, avec cette constitution qui est faite pour cela, ils essaient de ne pas reconnaître un président qui, avec toutes ses erreurs et ses promesses non tenues, a été élu par la volonté du peuple.
La position d’Alberto Fernandez n’aide pas à clarifier les choses. Dina Boluarte subvient à ses besoins avec les forces armées.
Quand nous parlons du « Congrès », nous avons l’image du parlement d’Argentine. Au Pérou, nous parlons de secteurs économiques concentrés. Ils ont l’intention de se maintenir au pouvoir cette année, car entre 2023 et 2024, bon nombre des accords de libre-échange que Fujimori avait signés expirent. Plus de 80% de ce qu’ils prennent, il ne reste rien, c’est du pur pillage. Cette manœuvre de coup d’État parlementaire vise à renouveler ces contrats pour 30 années supplémentaires.
Le pillage est total, de l’argent produit par les Péruviens il ne reste rien pour eux. Les gens en ont assez, ils veulent discuter des questions fondamentales. Dans les rues, ils discutent de la nécessité d’une Assemblée constituante pour refonder le pays à partir des intérêts de ceux qui sont en bas de l’échelle.