
Lily L. et Sébastien B.
Février dernier, Adriana Smith a été transportée à l’hôpital universitaire Emory, en Georgie. Elle a été déclarée en état de mort cérébrale après la découverte de caillots de sang dans son cerveau.
Enceinte de 9 semaines, elle a été maintenue sous assistance respiratoire pour permettre le retardement du processus de décomposition du cadavre afin de développer suffisamment le fœtus pour l’accouchement.
La famille a annoncé la naissance prématurée du bébé, qui pesait 0,82 kg, par césarienne d’urgence la semaine dernière. Il est né à 26 semaines de gestation le vendredi 13 juin. La famille l’a appelé Chance. Il se trouve actuellement dans l’unité de soins intensifs néonatals (USIN) et reçoit des stéroïdes ainsi qu’une alimentation par l’intermédiaire d’une ligne PICC.
Cette pratique suscite divers problèmes qu’il paraît crucial de soulever et dénoncer. En effet, le bébé d’Adriana est né très prématurément car le corps d’Adriana commençait à avoir des dégradations physiques importantes telles que des infections graves et une décomposition interne.
Tous les frais médicaux étaient aux charges de la famille. Une cagnotte de plusieurs centaines de milliers de dollars (l’objectif actuel de la cagnotte étant de 440 000 dollars) a été nécessaire pour que la famille ne se retrouve pas endettée. Cette situation souligne les problématiques des frais médicaux énormes aux États-Unis. Pour rappel, le revenu médian d’un ménage privé d’une famille noire comme celle de Adriana aux États-Unis en 2023 était de 56 490 dollars.
Mme Newkirk, la mère d’Adriana, a déclaré que la famille n’a eu aucun choix sur la prise en charge à l’hôpital d’Adriana. Elle n’a pas précisé si la famille souhaitait qu’Adriana soit débranchée du respirateur artificiel mais affirme qu’elle aurait aimé avoir le choix en la matière.
Cette affaire nous montre que même après sa mort, une femme est considérée comme un objet qu’on peut manipuler et instrumentaliser sans tenir compte de sa volonté, la privant d’un traitement digne et sans faire preuve de respect.
Malheureusement le cas d’Adriana Smith n’est pas isolé. En effet, depuis 2022, des lois restrictives sur l’avortement ont été adoptés aux États-Unis après que la Cour suprême ait annulé l’arrêt Roe v. Wade.
Cet arrêt, promulgué le 22 janvier 1973, accordait le droit d’avorter sur tout le territoire. Son annulation a permis l’application de lois anti-avortement privant les personnes qui peuvent tomber enceintes de leur autonomie en donnant la priorité à la vie du fœtus sur leur santé.
Actuellement, douze États interdisent l’avortement à tous les stades de la grossesse et trois autres, comme la Géorgie, l’interdisent à partir de six semaines.
L’expérience qu’a subie Adriana pourrait dissuader d’autres personnes de chercher des soins médicaux, de peur d’être pénalisées.
Revenons sur le cas d’Adriana Smith, habitante de l’État de Géorgie, État ultra conservateur. Depuis 2022, dans cet état, l’avortement est interdit après 6 semaines quand on détecte une activité cardiaque chez le foetus.
Cette loi, connue sous le nom de « LIFE Act”, interdit l’avortement sauf lorsqu’un rapport de police pour inceste ou viol a été déposé, et pour les avortements plus tardifs, lorsqu’il y a des anomalies fœtales ou que la vie de la personne est menacée (la loi a été adoptée en 2019 mais n’a été appliquée qu’après l’annulation de Roe v. Wade).
Thaddeus Pope, bioéthicien et juriste, a affirmé que bien que certains États aient des régulations spécifiques concernant l’interruption des soins d’une personne enceinte vivante mais inapte, ou en état de mort cérébrale, la Géorgie ne fait pas partie de ceux-ci. « La suppression de la ventilation mécanique ou de toute autre forme d’assistance ne constituerait pas un avortement. La poursuite du traitement n’est pas légalement requise. », a-t-il déclaré.
Cependant, dans le cas d’Adriana Smith, l’une des raisons pour lesquelles l’hôpital interprète la loi de Géorgie de cette manière est une disposition de la loi sur l’avortement qui établit ce que l’on appelle le « fetal personhood ». L’idée selon laquelle les embryons et les fœtus sont des personnes et ont des droits légaux. L’établissement du “fetal personhood” est depuis longtemps un objectif du mouvement anti-avortement. En effet, si les embryons et les fœtus sont considérés comme des personnes alors son entourage est non seulement responsable pour sa vie mais aussi pour sa santé. Une personne ayant des troubles du comportement alimentaire pourrait être accusée de maltraitance infantile si le bébé naît en mauvaise santé suite à une malnutrition.
Les lois anti-avortement touchent plus les femmes noires, racisées et pauvres. Trois représentantes démocrates de la Chambre des représentants, Nikema Williams, Ayanna Pressley et Sara Jacobs, ont décrit cette affaire comme le « résultat direct de la crise de la santé maternelle chez les femmes noires« . De fait, aux États-Unis, les femmes noires ont toujours eu des taux de mortalité maternelle plus élevés que les femmes non noires. Les femmes noires disposent de moins de ressources en matière de soins de santé, la qualité des soins est moindre et elles souffrent plus souvent de maladies chroniques telles que l’hypertension, l’obésité et le diabète.
Nous pouvons par exemple prendre le cas d’Amber Thurman qui est morte dans un hôpital de Géorgie en 2022. Elle s’est d’abord retrouvée dans hôpital débordée par les autres demandes d’avortement de femmes venues d’autres États qui lui proposa une simple pilule abortive. Puis, une fois rentrée chez-elle, son état s’est détérioré. Elle s’est rendue à l’hôpital le plus proche et face aux définitions floues des restrictions à l’avortement, elle a dû attendre 17h avant de recevoir des soins médicaux. Elle est morte durant l’opération.
Ces restrictions affectent même les enfants. En effet, une petite fille de 9 ans de l’Ohio qui n’a pas pu avorter suite à un viol. Elle a dû se rendre hors de l’État pour mettre fin à sa grossesse car l’Ohio interdit la procédure dès le premier battement de cœur détectable chez le fœtus.
L’affaire a attiré l’attention du pays après que le docteur Caitlin Bernard, d’Indianapolis, a déclaré qu’une enfant de 10 ans avait dû se rendre dans l’Indiana pour interrompre sa grossesse.
La commission des licences médicales de l’État de l’Indiana a voté une réprimande à l’encontre de Mme Bernard, estimant qu’elle avait violé les lois sur la protection de la vie privée des patients lorsqu’elle avait parlé de l’affaire à un journaliste, même si elle n’avait pas révélé d’informations directement protégées telles que le nom ou l’adresse de la survivante.
Nous pouvons constater sans étonnement que le gouvernement punit ceux qui osent parler de l’injustice des lois anti-avortement. Une soi-disant violation de la vie privée d’une patiente étant plus importante que la dénonciation d’un système patriarcal et cruel qui ignore le bien-être de ses citoyen.ne.s.
L’annulation de l’arrêt Roe v. Wade nous démontre que nos droits ne sont jamais vraiment acquis et qu’il est nécessaire de remettre en cause le système juridique de la démocratie bourgeoise. Face aux lois autoritaires des États-Unis, nous devons lutter pour la mise en place d’un mouvement international féministe et anticapitaliste et nous allons continuer notre solidarité internationaliste avec les femmes aux USA qui se battent contre le patriarcat et sa cruauté.
Sources :
www.nbcnews.com/news/us-news/baby-brain-dead-pregnant-woman-kept-alive-abortion-law-delivered-famil-rcna213558
https://abcnews.go.com/Health/wireStory/baby-delivered-brain-dead-woman-life-support-georgia-122935558
www.bbc.com/news/articles/c1jwl9l9yneo
www.wabe.org/u-s-rep-nikema-williams-introduces-anti-abortion-resolution-in-adriana-smith-aftermath/
https://www.nbcnews.com/news/us-news/family-forced-keep-brain-dead-pregnant-woman-alive-rcna207002
https://www.npr.org/2025/05/21/nx-s1-5405542/a-brain-dead-womans-pregnancy-raises-questions-about-georgias-abortion-law
https://apnews.com/article/pregnant-woman-brain-dead-abortion-ban-georgia-a85a5906e5b2c4889525f2300c441745
https://www.gofundme.com/f/help-adrianas-family-during-this-heartbreaking-journey
https://www.statista.com/statistics/203295/median-income-of-black-households-in-the-us/
https://www.atlantamagazine.com/news-culture-articles/georgias-fetal-personhood-statute-is-uncharted-territory/
https://www.npr.org/sections/shots-health-news/2025/06/07/nx-s1-5425384/georgia-anti-abortion-fetal-personhood-law-pregnant-woman-life-support
https://www.lemonde.fr/international/article/2024/09/17/aux-etats-unis-une-commission-reconnait-qu-une-femme-est-morte-en-raison-des-restrictions-sur-l-avortement_6320842_3210.html
https://www.pbs.org/newshour/nation/man-gets-life-sentence-for-raping-9-year-old-girl-who-sought-abortion-in-indiana