
Du 26 au 28 juin, plusieurs centaines de marxistes internationaux se sont donné rendez-vous à l’université Paris Dauphine pour présenter leurs idées et entamer des débats politiques nécessaires dans la période actuelle. Avec le titre « Conjurer la catastrophe », la conférence Historical Materialism a eu lieu pour la première fois en France, malgré les attaques contre les libertés démocratiques faites par la direction de l’université. En effet, la présidence de Paris Dauphine a interdit la présence des Soulèvements de la Terre, de Houria Bouteldja et de l’Action Antifasciste Paris-Banlieue, suite à des polémiques provoquées par l’extrême droite sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une répression inadmissible qui atteint contre la liberté d’expression au sein d’une université publique. Nous sommes solidaires de ces camarades.
Écologie et lutte des classes
Elsa Caudron, travailleuse d’une association de protection de la nature et référente de Socialisme ou Barbarie sur les questions écologiques, a participé à la table ronde « Travail, syndicalisme et écologie », afin d’échanger sur des expériences de lutte écologiques. Une intervenante a partagé l’état de ses recherches sur les luttes écologiques et leur lien avec des processus politiques d’auto-organisation au Mexique. Un autre chercheur a parlé des expériences de lutte syndicale aux Etats-Unis et en Ecosse. Le débat sur le lien entre les luttes des travailleur·euses et les revendications écologiques, qui parfois semble cheminer par des routes parallèles, s’avère essentiel à l’heure actuelle. Les travailleur·euses sont les premier·es à être impacté·es par les catastrophes climatiques, tant par ses conséquences que par de potentielles pertes d’emplois, ou encore par la manière dont la « transition écologique » capitaliste s’opère actuellement. Les liens entre le programme pour la révolution qui inclut la question écologique et l’intérêt de la classe ouvrière sont indispensables, et dans la période ces liens se dessinent comme dans l’exemple de la lutte kanake pour le contrôle par les populations de l’exploitation du nickel. Nous avons pu présenter cette expérience et présenter les liens être l’impérialisme et son extractivisme mais aussi les formes d’organisation et de lutte existentes qu’il faut soutenir.
Avec une préoccupation sur le lien entre l’écologie et le monde en guerre, nous avons également assisté à la présentation du livre de Michael Löwy, Ecosocialist Sparks (Etincelles écosocialistes), où ce débat s’est poursuivi. De son côté, Löwy amenait une critique du productivisme chez Marx, en proposant un révisionnisme du marxisme pour une politique écosocialiste de la décroissance. Même si nous ne sommes pas d’accord avec ses propositions, la discussion montre l’existence d’un débat stratégique pour penser une politique écologique révolutionnaire dans l’actualité. Dans ce sens, les contributions de Victor Artavia sur le bilan du stalinisme et les perspectives écologiques révolutionnaires, en intégrant les travaux de Foster et Saïto, entre autres, sont fondamentales. Alors que Löwy, accompagné par Christine Poupin et d’autres militant.es du NPA-L’Anticapitaliste, défendait la nécessité d’un front populaire écologique, en mettant l’exemple sur l’intégration de son courant politique au gouvernement Lula, nous avons défendu la perspective d’une politique de classe indépendante, délimitée des partis bourgeois responsables de catastrophes climatiques.
Les luttes féministes internationales
Le collectif féministe révolutionnaire Las Rojas a participé à la table ronde « Construire les luttes féministes », une discussion animée également par les camarades du collectif iranien Roja et par une militante syndicale de Sud Rail. Lors de ce débat, nous avons pu assister à un retour de l’expérience militante de Las Rojas en Argentine et en Amérique Latine, en ce qui concerne la bataille pour la légalisation de l’IVG et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. La présentation de Las Rojas a mis en avant l’importance du mouvement des femmes comme un acteur politique qui a arraché des droits à l’Etat par les méthodes de la lutte des classes, et non par la confiance dans les institutions parlementaires. L’auto-organisation du mouvement féministe, via des rencontres nationales des femmes massives, des rassemblements « pañuelazos », des grèves féministes et des manifestations de rue a été fondamentale pour obtenir la légalisation de l’avortement en Argentine en 2020. Cet événement historique a produit l’extension d’une vague des mobilisations dans toute la région ; le foulard vert devenu un symbole de lutte international.
De la même manière, les mobilisations pour « Ni una menos » (Argentine) « Vivas nos queremos » (Mexique) ont participé à visibiliser la lutte contre les féminicides et contre toutes les violences sexistes et sexuelles. Dans ces situations, la politique d’intervention de Las Rojas est d’accompagner les victimes des violences, en exigeant de la prison pour les violents, tout en développant la mobilisation dans la rue, avec des marches et des rassemblements devant les tribunaux.
D’autre part, les camarades du collectif Roja, composé par des militant.es d’origine iranienne, kurde et afghane, ont apporté des interventions très intéréssantes sur le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Les intervenant.es de Roja ont parlé des liens entre le mouvement féministe, les vagues de mobilisation en Iran, la place des femmes dans les mobilisations de 1979 et la lutte des populations kurdes. Roja s’est également positionné contre les agressions de l’Etat d’Israël et des Etats-Unis contre l’Iran, tout en gardant une perspective indépendante du régime de la République islamique.
La salle était remplie avec plus d’une soixantaine de personnes qui ont montré leur intérêt pour les expériences militantes apportées dans le débat. A l’heure actuelle, le militantisme féministe joue un rôle central dans la bataille contre l’extrême droite et contre ce que certains appellent un backlash (retour de bâton) qui semblerait s’imposer dans la période. Pour Las Rojas, il n’y a pas seulement une montée unilatérale de l’extrême droite, mais aussi des masses des femmes qui restent mobilisés ne sont pas vaincus ni tentés par les idées réactionnaires. Le mouvement des femmes et le mouvement LGBTI constituent un point d’appui indispensable dans la période et ils possèdent de la force pour faire face à tous les réactionnaires.
Un marxisme révolutionnaire pour le XXIe siècle
Un autre sujet abordé dans la conférence était celui de la lutte des travailleur.euses des plateformes pour leurs droits de travail face à l’ubérisation. Il s’agit d’une problématique fondamentale pour le marxisme du XXIe siècle, car les livreurs font partie d’une nouvelle classe ouvrière qui s’organise contre l’exploitation du travail. Dans ce sens, nous soulignons l’importance de la contribution de Ramiro Manini, référent légal du SiTraRepa (Syndicat des livreurs d’Argentine) et organisateur du Congrès international des travailleurs de plateformes. Face aux géants multinationaux responsables de la précarisation du travail, le SiTraRepa propose un modèle de syndicalisme combatif qui prône l’auto-organisation à la base, comme forme de résistance face aux attaques de patrons.
Dans un monde en crise et en guerre, le relancement d’une perspective communiste révolutionnaire au XXIe siècle reste plus que jamais d’actualité. Dans ce sens, la participation de Socialisme ou Barbarie et de Las Rojas aux débats d’idées de la conférence a apporté des éléments de bilan et des perspectives pour la reconstruction du marxisme révolutionnaire. Nous restons convaincus que le partage d’expériences et de connaissances nourrit nos pratiques politiques et militantes quotidiennes. Nous déployons nos efforts militants dans le but de contribuer en même temps au débat d’idées et à la pratique militante quotidienne, nous ne pouvons pas concevoir l’un sans l’autre. Même si nous avons des doutes sur la place qui a été accordée à certaines organisations réformistes dans l’espace de Historical Materialism, les discussions avec des camarades militant.es par en bas ont été enrichissantes.

