Bolsonaro condamné !

C’est une importante défaite pour l'extrême droite, qui pourra seulement être consolidée par la lutte dans la rue. Le 10 septembre, le Tribunal Suprême Fédéral (STF) a conclu le jugement du noyau dirigeant dans la tentative de coup d'État qui a eu lieu le 8 janvier 2023. Une grande majorité, en première instance, a condamné Jair Bolsonaro et une partie de ses alliés militaires et civils dans la qualification de crimes tels que tentative d’abolition de l'état démocratique de droit, association de malfaiteurs et incitation au crime. Seulement le ministre Luiz Fux a voté de façon minoritaire pour l’absolution de Bolsonaro sur la plupart des accusations.

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Bolsonaro

Par Antonio Soler, dirigeant de Socialisme ou Barbarie Brésil. Article paru dans Esquerda Web. 

La trajectoire politique de Bolsonaro fut marquée par le putschisme. Il s’est fait connaître en 1987 après avoir été accusé de planifier des attentats de bombe dans des unités militaires comme moyen de faire pression dans une lutte salariale, selon le magazine Veja. Le Tribunal Supérieur Militaire l’a désigné coupable mais le Tribunal Suprême Fédéral a rejeté la décision pour absence des preuves. Toutefois, Bolsonaro a perdu son statut militaire en 1988. Depuis ce moment, il a construit une carrière politique sur la figure de militaire victime de persécution et dans la défense de l’héritage de la dictature militaire. 

En 2016, pendant l’offensive réactionnaire du vote pour l’impeachment de Dilma Rousseff par la Chambre des Députés, Bolsonaro avait dédié son vote à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, chef du DOI-CODI, qui était l’un des responsables des actes de torture commis à l’encontre de Dilma pendant la dictature. Ce geste l’a catapulté à la candidature présidentielle de 2018, pendant le pic de l’offensive réactionnaire et de l’installation définitive d’une situation régressive au Brésil. Un fois élu au gouvernement, Bolsonaro a attaqué les droits démocratiques et, quand il a perdu les élections en 2022, il a été à la tête des tentatives de coup d’État qui ont culminé sur les actions du 8 janvier 2023. Le putsch n’est pas allé jusqu’au bout parce qu’il n’a pas été soutenu par Joe Biden ni par la majorité des commandants militaires, ni par la classe dominante.

Au-delà de ses crimes politiques contre les droits démocratiques, Bolsonaro a joué un rôle aussi criminel lors de la gestion de la pandémie du COVID 19. Avec plus de 700 000 morts dans le pays, dont 350 000 auront pu être évités si le gouvernement avait suivi les recommandations scientifiques, acheté des vaccins et adopté des mesures basiques de prévention. A la place, Bolsonaro a saboté les confinements, a découragé l’usage des masques et a promu des cures inefficaces : une politique délibérée de mort qui a touché tant la santé publique que la démocratie. Malgré la gravité des faits, il n’a jamais été soumis à un procès pour ces crimes : le relateur du CPI sur le COVID (2021) a indiqué sa responsabilité pour des crimes contre la santé publique et contre l’humanité mais le procureur général de la République, sous les ordres d’Augusto Aras, n’a pas donné suite et lui a garanti de l’impunité, contribuant au climat putschiste. 

Pour revenir au jugement actuel, même si plusieurs chefs militaires et députés impliqués dans le putsch n’ont pas été accusés ni soumis au procès, la condamnation de Bolsonaro présente des éléments historiques indéniables. Il s’agit de la première fois depuis le retour de la démocratie au Brésil qu’un ex-président a dû passer par le STF pour des crimes comme conspiration contre l’ordre démocratique, association de malfaiteurs et incitation au coup d’État. Cette situation peut seulement être comprise par le fait que l’État brésilien est encore solide et que des secteurs importants de la classe dominante considèrent que l’attaque directe au régime pourrait entraîner une instabilité politique incontrôlable et des résultats imprévisibles. Nous n’avons pas au Brésil un rapport des forces favorable à l’élimination des droits et des libertés démocratiques les plus élémentaires.

 

Le vote de Luiz Fux fait partie de la contre-offensive de l’extrême droite

Nous célébrons la condamnation de Bolsonaro mais nous ne le faisons pas d’une façon naïve. La défaite totale de l’offensive de l’extrême droite et de son alliance avec l’impérialisme américain ne peut venir pas que par en haut, dans le cadre de l’institutionnalité bourgeoise. Dans ce sens, le vote en minorité de Fux, en défense d’une annulation du processus contre Bolsonaro s’ajoute à la contre-offensive qui est en cours au sein du Congrès National. Des secteurs de l’extrême droite et du « Centrão » (« le grand centre » en portugais) planifient une amnistie large qui couvrira Bolsonaro mais aussi plusieurs militaires impliqués le 8 janvier, y compris des organisateurs, financeurs et militaires haut-gradés. 

En 1979, pendant la dictature militaire, la loi d’amnistie a été garantie de l’impunité des tortureurs et des agents du régime. Le mouvement pour la fin de la dictature n’a pas été suffisamment radical et le régime n’est pas tombé : il y a eu des compromis qui ont ouvert une transition « lente, graduelle et sûre ». De cette façon, les crimes de torture, séquestration et meurtres commis par l’Etat et ses agents n’ont jamais été jugés, les forces armées ont gardé leur place de tutelle du régime et une culture de l’impunité s’est ancré comme héritage. 

En plus de ça, plusieurs lois et institutions répressives sont restées en place, comme par exemple l’article 142 de la Constitution, qui assure la tutelle militaire sur le régime, les tribunaux militaires, garants de l’impunité, et la Police Militaire, qui assure des tâches de guerre permanente contre les pauvres, contre la classe ouvrière et contre les opprimé·es en général. Sans tous ces éléments là (qui s’ajoutent à la conciliation de classe permanente du Lulisme au pouvoir et à l’opposition), la menace que le Bolsonarisme représente pour les droits démocratiques ne serait pas telle. Autrement dit, il s’agit du résultat des rapports des forces historiquement défavorables et de l’absence d’une irruption des masses populaires capable de vaincre le putschisme.


Imposer dans la rue une défaite définitive au putschisme

La prison de Bolsonaro, même si elle est une défaite importante pour l’extrême droite, n’est pas suffisante pour en finir entièrement avec elle. L’extrême droite est soutenue par l’impérialisme américain, qui poursuit ses attaques à la souveraineté brésilienne. Dans la période à venir, nous allons vers plus de polarisation politique et institutionnelle. La situation ne pourra pas se résoudre en faveur des travailleurs et travailleuses, que si nous prenons en main la lutte politique. 

Bien que Bolsonaro ait été condamné au STF, au Congrès, l’extrême droite et le Centrão préparent une contre-offensive avec le soutien de Donald Trump. Le Centrão et le Bolsonarisme demandent la votation d’un projet de loi d’amnistie large pour l’absolution de Bolsonaro et des autres responsables du coup d’Etat du 8 janvier 2023. Si la loi est approuvée, Lula émettra probablement un véto. Cependant, son véto peut être annulé par la Chambre et le STF devrait décider sur la constitutionnalité de l’amnistie. 

Le processus de polarisation politique produit plus d’instabilité institutionnelle, plongeant le pays dans un contexte de tension permanente qui se projettera sur les élections présidentielles de 2026. Dans cette dispute, la possibilité d’une potentielle égalité entre l’extrême droite (probablement Tarcisio de Freitas) et Lula annonce un cadre explosif, dans lequel n’importe quelle contestation du résultat pourrait être un prétexte pour des nouvelles mobilisations putschistes. En comparaison avec les tentatives de 2022, une différence fondamentale est le soutien de l’impérialisme américain de ce type d’action, qui donnerait confiance à l’extrême droite et ferait escalader la crise. Les répercussions de ce type d’intervention seront imprévisibles, avec des risques de situation de rupture de la démocratie au Brésil, avec des échos au niveau régional et international.

Le gouvernement de Lula et son mouvement de façon générale font partie du problème. Leur politique de conciliation de classe empêche la mobilisation de la base sociale, il ne démonte pas les contre-réformes faites par les gouvernements précédents, vote encore des mesures contre les travailleurs et travailleuses sans même faire le minimum comme la défense de l’exemption de taxe sur les salaires de moins de 5000 réaux (800€ approximativement). Des actes formels et protocolaires organisés par les syndicats comme la CUT le 7 septembre ne sont pas capables de faire face à l’offensive de l’extrême droite.

En combinaison avec les luttes spécifiques, il est nécessaire de monter une campagne politique dans chaque lieu d’étude et de travail qui mette au centre du débat les risques sur les droits démocratiques dans la période de polarisation politique actuelle. Les actions dans la rue doivent être construites par en bas pour que nous puissions organiser des mobilisations massives et dynamiques qui attirent la jeunesse pour faire reculer l’extrême droite. 

Cependant, la gauche révolutionnaire indépendante sous-estime la gravité du mouvement putschiste national, qui est maintenant encouragé par le soutien direct de l’impérialisme nord-américain. Des organisations comme le PSTU (LIT-CI) et le MRT (section brésilienne de Révolution Permanente), même après l’intervention impérialiste directe de Trump, sont incapables de comprendre la nécessité de la classe ouvrière d’assumer directement la lutte pour la prison de Bolsonaro et d’autres putschistes comme tache centrale. Il s’agit des courants qui combinent de l’économisme et du sectarisme, montrant très peu de préoccupation pour le devenir de la lutte de classes, une ligne qui est au service de maintenir le contrôle sur des appareils syndicaux ou pour faire de l’autoconstruction.

Le PSTU (LIT-CI) argumente de façon schématique que nous allons détruire la politique de l’extrême droite si nous démontons la politique de Lula. Autrement dit, la défaite des politiques de Lula serait suffisante pour vaincre l’extrême droite. La défaite des politiques socio-libérales de Lula est une condition nécessaire mais pas suffisante : nous devons prendre les deux luttes de façon combinée, mais sans perdre de vue leur hiérarchie. Pour sa part, le MRT (section brésilienne de Révolution Permanente) explique que la lutte pour la prison de Bolsonaro sert à renforcer le STF et réduit sa position à une défense abstraite contre la peine. Rien plus loin de la réalité : la passivité pendant la crise institutionnelle est la ligne politique qui renforce, dans la pratique, les institutions de l’État bourgeois, particulièrement le STF.

Sans une mobilisation de masses capable d’imposer une défaite au putschisme, la polarisation politique continuera à augmenter et avec elle nous pouvons entrer dans une conjoncture extrêmement dangereuse dans les mois à venir. Pour freiner l’avancée de l’extrême droite et de l’impérialisme américain et en même temps, lutter contre les patrons et le gouvernement, il est indispensable d’élever nos actions sur le plan politique, unifiant les luttes sociales et économiques avec la défense des libertés démocratiques. Dans ce sens, la lutte pour l’emprisonnement de Bolsonaro se montre comme une lutte centrale mais qui est intimement liée aux luttes immédiates contre les taxes, pour l’imposition de la réciprocité et les revendications spécifiques de la classe ouvrière comme la lutte contre le 6×1. Seulement un mouvement de masses conscient et organisé pourra transformer l’indignation populaire en force politique capable de vaincre le gouvernement et les putschistes et ouvrir le chemin pour des conquêtes réelles de la classe ouvrière. 

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