
Il a fallu plus de deux ans de massacres et un bilan terrifiant de plus de 60 000 personnes assassinées, dont 19 000 enfants, des centaines de milliers de blessé·es, déplacé·es, y compris en Cisjordanie, ainsi qu’une famine avérée avant que les dirigeants européens réagissent. La déclaration de Nétanyahou en tant que criminel de guerre n’a pas encore empêché le nettoyage ethnique dans les territoires palestiniens. A l’heure actuelle, il ne semble pas vraiment que cette nouvelle reconnaissance puisse impacter le cours des événements. Bien qu’elle soit progressive sur le plan diplomatique, c’est en simultanée un aveu de faiblesse des organismes internationaux dans l’absence d’une vraie campagne pour contraindre Israël à un cessez le feu immédiat, sans compter sur le fait que la déclaration de reconnaissance n’a même pas pu compter avec la présence des autorités palestiniennes qui n’ont pas eu l’accord d’un visa pour venir à l’acte.
Une reconnaissance d’ordre symbolique qui prétend mettre à pied d’égalité l’Israël et la Palestine en revenant sur l’ancienne solution à deux états. Une perspective qui dans le passé n’était autre chose que le feu vert à la colonisation et la réaffirmation des accords d’Oslo. Le rapport From economy of occupation to economy of genocide (De l’économie de l’occupation à l’économie du génocide), rédigé par la rapporteuse de l’ONU Francesca Albanese, est assez critique à l’égard de ces accords (sans pour autant rompre avec la solution à deux États), car ils ont consolidé l’exploitation économique des territoires occupés « en institutionnalisant de facto le monopole d’Israël sur 61 % des ressources de Cisjordanie (zone C). Israël profite de cette exploitation, tandis que l’économie palestinienne y perd au moins 35 % de son PIB ».
Il est également intéressant d’écouter ce qu’en pensent les voix palestiniennes. Lors d’une table ronde organisée par Al Shabaka (The Palestinian Policy Network), plusieurs analystes palestiniens ont exprimé leurs critiques à l’égard de cette vague de reconnaissances diplomatiques de l’« État » palestinien en Europe. Diana Buttu, par exemple, a souligné qu’il était inquiétant que la reconnaissance des Européens « reste prisonnière de la logique des négociations bilatérales », ce qu’elle considère comme une erreur car cela encourage l’idée que les Palestinien·nes « doivent négocier tous les aspects de leur liberté, comme si la libération devait toujours être conditionnelle, progressive et médiatisée par leur colonisateur. C’est la logique dans laquelle nous restons prisonniers ».
La position de Yara Hawari est encore plus catégorique. Elle qualifie la reconnaissance de « distraction » et appelle à concentrer la pression pour exiger que « les États reconnaissent le génocide avant de reconnaître un État palestinien », car cela a des implications plus réelles pour faire pression sur Israël afin qu’il mette fin au massacre.
Une solution à deux Etats n’est pas viable dans le contexte d’un génocide
Avec cette nouvelle déclaration, la France revient sur la solution à deux États. Cette position repose sur des frontières basées sur ligne « d’armistice » de 1949. Cette ligne de démarcation a été établie après la Nakba (« catastrophe » en arabe) qui désigne le déplacement forcé de 800 000 Palestinien·es – expédié·es dans des camps de misère, au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza – à la création de l’Etat d’Israël en 1948. Le problème étant que la solution à deux états a déjà tenté par le passé, sans succès. En effet, le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies adopte la résolution 181 qui prévoit le partage de la Palestine en deux Etats : l’un juif, l’autre arabe, avec une zone internationale pour Jérusalem et les lieux saints. C’est à ce moment-là que commence la Nakba, l’opération de nettoyage ethnique commandée par le gouvernement israélien. Selon Dominique Vidal, spécialiste du Proche-Orient et de la Shoah, « Le plan de partage donne une espèce de feu vert à cette opération qui va ensuite s’accélérer au mois de mars 1948 avec le plan Dalet, le plan D de l’armée israélienne, qui est un plan d’expulsion ».
Les autorités israéliennes n’ont longtemps pas assumé, le déplacement forcé de centaines de milliers de Palestinien·nes qui a eu lieu lors de la Nakba. Selon Israël, les Palestinien·nes se sont enfuis parce qu’ils ont « répondu à l’appel au départ des pays arabes ». Une version officielle de l’Histoire qualifiée de « propagande » par l’historien palestinien Walid Khalidi. « Le mythe selon lequel l’exode palestinien de 1948 aurait été déclenché sur ordre des dirigeants arabes – une antienne de la version officielle israélienne sur la guerre de 1948 pour se dédouaner de toute responsabilité quant au problème des réfugiés – a la vie dure. Ainsi, les défenseurs d’Israël le ressortent-ils dès qu’il s’agit de rendre les Palestiniens responsables de leur sort », dénonce-t-il dans Nakba (1947-1948). Cette version de l’histoire est seulement remise en cause dans les années 70 car en Israël l’accès aux archives est uniquement disponible trente ans après l’événement. Les historiens n’ont trouvé aucun appel provenant des pays arabes dans ces archives.
Israël n’a jamais eu l’intention de partager son territoire avec les Palestinien·nes. Il souhaite « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif » comme énoncé dans la Déclaration Balfour en 1917. Cette lettre ouverte, signée par Arthur Balfour, secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères et adressée à Lionel Walter Rothschild, membre du mouvement sioniste (projet politique élaboré à la fin du 19ème siècle visant à offrir aux juifs du monde un territoire souverain en Palestine). Un autre exemple du mouvement sioniste est la Guerre des Six Jours en 1967, lors de laquelle Israël a occupé l’entièreté de la Palestine, le Plateau de Golan en Syrie et la péninsule de Sinaï en Egypte. Des dizaines de Palestinien·nes sont mort·es, 300 000 ont été déplacé·es de force. Après la guerre, un million de Palestinien·nes sont sous occupation israélienne, qui a conquis 22% de la Palestine historique. Le plan de partage proposé par l’ONU en 1947 donnait un statut international pour la cité de Jérusalem : la partie ouest pour Israël (comprenant le Parlement et les ministères) et la partie est aux Jordanien·nes (avec la vieille ville et les lieux sacrés). Cette répartition déjà inégale car les lieux de pouvoir sont sous contrôle israélien n’était pas suffisante pour les autorités qui ont décidé de saisir l’ensemble de Jérusalem.
Une solution à deux Etats n’est pas viable dans le contexte d’un génocide perpétué par un mouvement sioniste qui n’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas son « foyer national juif ».
La politique européenne menée par Macron n’est qu’un leurre
L’initiative de l’État français n’a pas seulement un impact, mais vise également à dissimuler la chaîne de complicités qui l’ont rendu complice du génocide en Palestine. Pour n’en citer que quelques-unes : la France a assuré une défiscalisation des dons. Un mécanisme qui a permis à de nombreuses associations caritatives de financer l’achat de matériel militaire destiné à l’armée israélienne. Le système de défiscalisation permet aux donateurs de réduire leurs impôts d’une partie du montant du don (souvent 66%), ce qui signifie que le contribuable français participe indirectement, et à son insu, au financement de ces achats par la perte de recettes fiscales.
Par ailleurs, la France, en tant que co-financeur, participe à des programmes de l’Union Européenne (UE) qui peuvent impliquer l’industrie militaire israélienne. Notamment en ce qui concerne le projet de développement de drones militaires financé par l’Europe et sept gouvernements européens, dont la France, a obtenu, en mai 2024, un financement de 42 millions d’euros d’argent public. Le problème : une partie des fonds bénéficie à Israel Aerospace Industries, une entreprise publique d’armement israélienne.
Bien que le gouvernement français affirme ne livrer à Israël que du matériel défensif ou destiné à la réexportation vers des pays tiers, des rapports font état de livraisons continues de composants de matériel militaire (tels que des pièces pour mitrailleuses ou des composants pour les systèmes de défense, par exemple pour les F-35 ou le Dôme de fer) qui pourraient être utilisés ou assemblés en Israël. L’opacité autour de ces licences d’exportation alimente les suspicions. Le matériel à « double usage » (pouvant avoir des applications civiles et militaires) est également une source de préoccupation quant à son utilisation finale.
Il est important de noter que le gouvernement français a souvent nié ou minimisé ces accusations, affirmant que les ventes d’armes à Israël sont soumises à des règles strictes et ne concernent que du matériel défensif ou des composants destinés à être réexportés. La question de la transparence et du contrôle des exportations d’armes par la France est régulièrement soulevée par des ONG, des médias d’investigation et des parlementaires.
La libération du peuple palestinien, un défi pour l’émancipation de l’humanité au XXIe siècle
Devant une salle vide, Nétanyahou réaffirme sa volonté de poursuivre les bombardements sur le territoire palestinien. Un manque de considération pour les otages, mais une nécessité de les utiliser comme justification pour éliminer les membres du Hamas qui se cacheraient dans la bande de Gaza.
Les niveaux de cruauté et de déshumanisation vis-à-vis du peuple palestinien ont fini par épuiser le crédit de l’Holocauste instrumentalisé par le gouvernement génocidaire d’Israël. Le rejet profond qu’il suscite dans la population mondiale est la raison pour laquelle les régimes sont finalement contraints de changer de discours. Ce sont les masses populaires qui sont dégoûtées de la barbarie coloniale impérialiste et qui manifestent à l’échelle mondiale et qui font pression sur les gouvernements, notamment en Europe.
Dans la continuité des actions qui regroupent le monde activiste-associatif européen, elles sont nombreuses les initiatives comme celles de la Sumud Global Flotilla qui essaie d’arriver à Gaza avec de l’aide humanitaire. Cependant, nous soutenons des initiatives qui font lien avec les méthodes d’auto-organisation de la classe. Dans ce sens, au début du mois de septembre nous avons vu comment la population organisée est intervenue pour interrompre le Tour cycliste en Espagne et les énormes mobilisations comme la grève en Italie qui marquent le chemin en solidarité avec la Palestine.
De même, en France, les travailleur·euses et la jeunesse se mobilisent contre Macron et son budget de guerre qui vise à liquider les conditions de vie des classes populaires. Il est aujourd’hui impératif de lier les revendications nationales et la stratégie de grève des travailleur·euses afin de bloquer tout type de financement du génocide. Il faut dépasser la stratégie du dialogue avec un gouvernement caduc, exiger la démission de Macron et la fin de la politique de « dialogue » des directions syndicales pour une grève générale indéfinie, la fin du génocide et la fin du système d’exploitation qui est ce capitalisme du XXIème siècle. La libération du peuple palestinien est l’une des grandes tâches pour l’émancipation de l’humanité au XXIe siècle.
Sources :
www.unicef.fr/actions-humanitaires/moyen-orient-afrique-nord/israel-palestine-les-enfants-pris-au-piege-dun-conflit-sans-fin/
-Barbante, J “Via des dons défiscalisés, de l’argent public français finance l’armée israélienne” sur Mediapart.
-Révèlent Disclose, Investigate Europe et Reporters United.
– www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/15/il-y-a-soixante-dix-ans-l-invention-de-la-nakba_5298947_3218.html
– www.radiofrance.fr/franceculture/la-nakba-la-grande-catastrophe-du-peuple-palestinien-6697448
-https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%27europe-et-le-monde/expansion-coloniale-et-imperialismes/histoire-du-sionisme-la-declaration-balfour-2-novembre-1917
-www.lemonde.fr/proche-orient/article/2017/06/05/la-guerre-des-six-jours-un-tournant-dans-l-histoire-israelienne_5138817_3218.html

