Avant toute chose, je tiens à remercier pour cette présentation et à dire que je suis vraiment heureux et enthousiaste d’entendre les interventions de mes camarades. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme l’intervention de Ramiro Manini, d’Argentine, lorsqu’il a dit qu’« en Argentine, il y a une crise et chaque semaine, nous avons le sentiment que le gouvernement Milei va tomber », car je pense que c’est une bonne introduction à mon intervention sur la situation en France.
Entre camarades, nous disons en plaisantant que la France vit un processus d’« argentinisation », en raison de cette crise permanente que nous vivons avec le gouvernement Macron. Nous avons le sentiment qu’il n’arrive pas à gouverner, qu’il arrive à bout de souffle à la fin de son mandat et qu’il cherche à se maintenir tant bien que mal jusqu’aux élections municipales et présidentielles. Car après des années et des années d’attaques politiques contre les causes sociales, de mesures antisociales, antidémocratiques, de coupes budgétaires et de répression, il n’arrive à convaincre personne que son programme gouvernemental favorise les intérêts des majorités sociales.
La dernière initiative du gouvernement Macron est ce budget de guerre sociale visant à réarmer la France pour faire face à la situation de guerre et d’instabilité internationale. Il s’agit d’un projet d’augmentation du budget militaire, de triplement du budget de l’armée et de réduction des budgets de l’éducation, de la santé et des services publics. Son Premier ministre Bayrou a tenté cette voie et cela s’est très mal passé. Il a dû quitter le gouvernement, car face à ces attaques permanentes, la population s’est révoltée et mobilisée.
Les mobilisations ont fait tomber Bayrou. Le 10 septembre, la marche qui appelait à « bloquer toute la France » et qui a mobilisé partout au niveau national, s’est jointe à cette vague de révoltes, de colère et de mobilisation internationale contre le capitalisme.
Ce mouvement, qui a débuté le 10 septembre, n’était pas dirigé contre une mesure particulière, mais visait à mettre fin au gouvernement Macron et à dire « Macron dégage » afin d’instaurer quelque chose de nouveau, une nouvelle société. Pour renverser la Ve République et commencer à réfléchir collectivement à une autre façon d’organiser l’économie.
Macron a laissé partir Bayrou et a choisi Lecornu, qui n’a pas non plus réussi. Et maintenant, nous assistons au spectacle pathétique de la bourgeoisie au pouvoir, qui ressemble à des amateurs qui tentent de gouverner et échouent.
Ce mouvement du 10 septembre arrive avec une accumulation de luttes contre Macron, car Macron n’en peut plus. Il n’a cessé ses attaques en utilisant l’article 49.3, avec la réforme du travail, des retraites, les mesures contre les étrangers, l’alliance avec l’extrême droite contre l’immigration, la répression de la mobilisation sociale, son soutien inconditionnel et actif au génocide en Palestine, et la répression de tous les militant-es qui se mobilisent pour la cause palestinienne. C’est un gouvernement dont il faut se débarrasser pour passer à autre chose, à un autre projet politique. Tel est l’objectif, l’intention et la volonté du mouvement du 10 septembre, mais la mobilisation qui a débuté ce jour-là a dû faire face au problème de sa direction politique.
Dès le début du mouvement, nous avons alerté sur la nécessité d’une auto-organisation à la base, d’une organisation des grévistes et des personnes mobilisées sur les lieux d’étude et de travail afin de poursuivre la mobilisation. Car nous savions qu’il y avait un risque que la direction politique et syndicale de la gauche institutionnelle enferme toute cette colère populaire qui voulait tout transformer dans les institutions et le dialogue social. Et c’est exactement ce qui s’est passé.
Les directions syndicales n’ont pas voulu appeler à la mobilisation du 10. Les plus progressistes, comme la CGT, se sont contentées d’un petit appel à la mobilisation du 18 septembre avec un mot d’ordre moins radical. Ils ont ensuite défilé le 2 octobre et depuis ce moment la, ils n’ont fait que du dialogue social, des reculs et des négociations pour sauver le gouvernement Macron. Depuis le 2 octobre, l’Intersyndicale n’a fait entendre aucune initiative ni proposition pour poursuivre cette mobilisation qui voulait tout transformer.
De leur côté, la gauche institutionnelle et les organisations politiques telles que La France Insoumise et le Nouveau Front Populaire se sont efforcées de tout ramener au niveau parlementaire et de poursuivre le dialogue institutionnel. Elles ont voté quelques motions au parlement, mais sans aucune perspective de lutte et de mobilisation sociale. Aujourd’hui, elles ne font plus que des campagnes municipales. Nous ne sommes pas contre les élections, nous allons prendre position pour les élections municipales, mais nous n’allons pas combattre le gouvernement Macron et l’extrême droite uniquement avec les élections et la campagne électorale. Et la politique du NFP nous enferme dans une vision uniquement axée sur les postes et les députés que nous aurons dans les prochains mois, ce qui ne nous mène pas à ce que nous voulons obtenir, à savoir la victoire, car la force de la mobilisation pour la victoire existe dans ce pays.
Je vis en France depuis 10 ans. Je me suis installé à Paris en 2018, juste au moment du mouvement des Gilets Jaunes, et si l’on dresse la liste de toutes les mobilisations contre Macron (les Gilets Jaunes, la grève des cheminots, les mobilisations contre la réforme des retraites, les marches du comité Adama contre le racisme et les violences policières, les mobilisations écologistes, féministes, la mobilisation en soutien à la Palestine, etc.) il existe une énorme force de mobilisation et de colère de la population qui s’exprime dans la rue et qui veut détruire ce système et en construire un autre, renverser ce gouvernement autoritaire de Macron.
Mais si nous nous contentons de suivre le calendrier des journées de lutte isolées, sans continuité, et le dialogue social des directions syndicales, nous ne pourrons pas mettre fin à ce gouvernement. Et si nous nous contentons uniquement du calendrier électoral proposé par la gauche institutionnelle sous prétexte de lutter contre l’extrême droite, non seulement nous ne pourrons pas gagner la bataille contre Macron, mais si nous nous démobilisons, c’est ainsi que l’extrême droite avancera. C’est ce que décrivent nos camarades d’Argentine et du Brésil. Si nous ne progressons pas dans la mobilisation et si nous ne combattons pas dans la rue l’extrême droite, qui est non seulement parlementaire mais aussi extraparlementaire, nous allons lui permettre d’avancer petit à petit. Nous ne voulons pas économiser des kilomètres de manifestation. Nous voulons faire toutes les mobilisations possibles et ainsi transformer la colère de notre classe en une véritable révolution pour remporter la victoire. C’est pourquoi nous voulons militer à la base pour transformer toute la colère en un sentiment anticapitaliste et révolutionnaire.
Nous affirmons qu’il y a un problème de direction dans la lutte politique et que nous ne le résoudrons pas sans la construction d’un parti révolutionnaire. Il faut construire une gauche révolutionnaire, combative, en dehors de la perspective institutionnelle du NFP. Une gauche révolutionnaire capable de donner à toutes les mobilisations existantes un programme global pour construire cette perspective anticapitaliste et révolutionnaire.
Pendant des années, le NPA a tenté de devenir cette organisation révolutionnaire indépendante, mais la réalité est que son bilan est très négatif. C’est une organisation qui a abouti à des décisions telles que notre exclusion il y a quelques mois et à un processus d’adaptation institutionnelle et électorale. Comment est-il possible de voir Philippe Poutou se dire heureux de faire partie du Nouveau Front Populaire avec François Hollande et que ce soit la perspective la plus à gauche qui existe dans le paysage politique de ce pays ?
Comment est-il possible que la seule perspective qui apparaisse au niveau électoral comme indépendante soit réduite à des groupes comme Lutte Ouvrière, qui propose un marxisme figé du XIXe siècle ? Très fidèle à ce que disaient Marx et Engels, mais sans aucun rapport avec la réalité et les processus de lutte actuels en France et dans le monde, avec le renouveau de l’expérience historique de la classe ouvrière, avec une nouvelle classe ouvrière qui émerge dans le monde.
Nous pensons qu’une refondation structurelle profonde et programmatique de la gauche révolutionnaire est nécessaire, et nous pensons qu’avec le bilan critique de toutes les expériences et les échecs de ces dernières années, c’est la seule façon de reconstruire un projet révolutionnaire pour le pays. Nous voulons renouer avec la riche tradition française de mobilisation et de construction d’organisations politiques, comme celle de la Ligue Communiste Révolutionnaire, la tradition de la Commune de Paris, de Mai 68, des mobilisations de 95, de l’alliance entre la classe ouvrière et le mouvement étudiant, et construire un projet politique pour relancer la bataille pour la révolution socialiste aujourd’hui, au XXIe siècle, avec la nouvelle étape de la lutte des classes que nous traversons au niveau international. Nous vivons une nouvelle période de crises, de guerres, mais qui peut aussi être celle de nouvelles révolutions.
Nous voulons construire un nouveau parti, militant, qui milite activement dans la rue, à la base, avec les travailleurs, avec les jeunes, avec les mouvements qui existent dans la réalité, comme les mouvements féministes, écologistes, antiracistes. Un parti révolutionnaire, qui ne se contente pas des instances institutionnelles et électorales, mais qui milite véritablement pour la transformation du système. En ce sens, nous voulons construire un parti anticapitaliste pour en finir avec ce système pourri, et un parti qui soit antistaliniste et antibureaucratique pour faire le bilan de toute l’expérience et de l’échec de la bureaucratisation de l’URSS et des révolutions anticapitalistes du XXe siècle. Et qui puisse discuter d’une stratégie, car les questions de réforme ou de révolution, du stalinisme, de la transition vers le socialisme, ne sont pas des débats du passé, mais des débats qui se posent aujourd’hui, avec cette nouvelle classe ouvrière, avec une nouvelle génération qui veut transformer la réalité, combattre le capitalisme et changer le monde aujourd’hui.
C’est pourquoi, à la fin de cette conférence, nous publierons une déclaration politique publique : Socialisme ou Barbarie appelle à la construction d’une nouvelle organisation révolutionnaire, et nous vous invitons tous et toutes à prendre part à ce processus, à rejoindre nos comités pour la construction d’une nouvelle organisation et d’un congrès fondateur qui sera annoncé dans les prochains mois.
Je termine mon intervention par les mots d’Ale Bustamante, camarade qui a été responsable de la construction de Socialisme ou Barbarie à ses débuts, qui a ouvert la voie à notre construction politique en France. Il disait que « le chemin de la lutte pour la révolution n’est pas une fatalité, ce n’est pas quelque chose de donné, nous sommes conscients des dangers et des potentialités et nous luttons pour une alternative qui peut être le socialisme ou la barbarie capitaliste. Nous avons déjà choisi notre tranché et nous nous battrons jusqu’au bout. » Dégageons Macron ! Merci les camarades.

