L’Etat-nation comme forme historique du capitalisme : conquête, limite et contradiction

L'État-nation est l'une des catégories les plus importantes de la théorie politique moderne. Son apparition a marqué une rupture avec les formes précédentes d'organisation politique. Seule une transformation révolutionnaire qui transcende les frontières nationales et articule la classe ouvrière à l'échelle mondiale peut briser la logique de concurrence entre les États et mettre en place une organisation sociale basée sur la coopération et non sur la guerre.

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Les-constructeurs Léger
Les constructeurs avec aloès, 1951, Fernand Léger

Introduction

L’État-nation est l’une des catégories les plus importantes de la théorie politique moderne. Son apparition a marqué une rupture avec les formes précédentes d’organisation politique, telles que les monarchies féodales et les empires dynastiques, en instaurant un modèle fondé sur la souveraineté territoriale, la centralisation du pouvoir et l’idée d’une communauté unifiée sous un même cadre politico-juridique.

À partir du XVIIe siècle, et plus fortement encore après les révolutions américaine et française, il s’est imposé comme la forme dominante d’organisation politique, légitimant l’autorité à partir de la relation entre l’État — compris comme un appareil institutionnel et de pouvoir coercitif — et la nation — conçue comme une communauté culturelle, historique ou politique qui confère identité et cohésion à ses membres.

Elle a été le vecteur de la consolidation du capitalisme, de l’expansion de l’économie de marché et de la construction des systèmes juridiques et administratifs actuels. Elle a permis d’unifier des populations hétérogènes sous une langue, un système éducatif et un cadre politique communs, permettant la création de sujets politiques identifiés à une communauté nationale.

À son tour, sur le plan extra-national, elle a jeté les bases du système de souveraineté actuel qui régit les relations interétatiques et structure le droit international contemporain. En ce sens, l’histoire de la modernité politique et économique est indissociable du déploiement de l’État-nation en tant que forme d’organisation sociale et politique.

 

Les origines du sens moderne du concept d’Etat

L’État, tel que nous le connaissons aujourd’hui, apparaît en Europe entre le XVIe et le XVIIe siècle en réponse à la crise de l’ordre féodal et à la fragmentation politique du Moyen Âge. L’émergence de nouvelles dynamiques économiques, telles que l’expansion commerciale et la cupidité capitaliste naissante, exigeait une organisation politique plus centralisée, capable de garantir la perception des impôts, le contrôle du territoire et la défense contre les menaces extérieures.

C’est dans ce contexte que se sont développées les bases de ce qui allait devenir la forme de l’État moderne, dont les principales caractéristiques sont la souveraineté, la concentration du pouvoir et la délimitation territoriale.

L’un des penseurs qui a inauguré cette réflexion est Nicolas Machiavel, qui a introduit la notion de « raison d’État », comprise comme la nécessité de préserver le pouvoir politique, même si cela implique de recourir à des méthodes immorales ou violentes : « Un prince prudent ne peut ni ne doit tenir sa parole lorsque cela lui est préjudiciable et lorsque les causes qui l’ont obligé à la donner ont disparu » (Le Prince, chapitre XVIII).

En rompant avec l’éthique chrétienne médiévale, il a placé la politique sur un terrain « autonome », la dissociant de la théologie et de la morale, pour la concentrer sur l’exercice pratique du pouvoir. Il a établi que l’État devait se soutenir par sa propre logique et que celui qui gouvernait devait agir avec pragmatisme, en calculant l’efficacité de ses décisions en fonction de la stabilité et de la permanence du pouvoir. En d’autres termes, la politique cessait d’être une question de vertu pour devenir un problème de force et de stratégie.

Par la suite, Jean Bodin a formulé le concept de souveraineté, le définissant comme « le pouvoir absolu et perpétuel d’une république » (Les Six Livres de la République, Livre I, chapitre VIII). Ainsi, la souveraineté ne pouvait être fragmentée ni partagée, car cela affaiblit l’autorité de l’État. Sa formulation répondait à un contexte de guerres de religion et de luttes dynastiques en France, et devint le fondement juridique et politique de la centralisation monarchique.

Il affirmait que l’État n’était plus seulement un art de gouverner, comme chez Machiavel, mais une entité dotée d’une « personnalité » propre, dotée d’un pouvoir supérieur à tout autre à l’intérieur de ses frontières.

Thomas Hobbes a radicalisé encore davantage cette vision, en partant de l’hypothèse de « l’état de nature », où les individus, dans des conditions d’égalité, s’affrontent dans une « guerre de tous contre tous ». Pour sortir de cette situation chaotique, ils conviennent de transférer leurs droits à une autorité souveraine qui garantit la paix et la sécurité. Ce pouvoir absolu, qu’il appelle Léviathan, repose sur le consentement des gouvernés et détient le monopole de la violence légitime.

Il souligne que « la seule façon d’ériger un pouvoir commun capable de les défendre contre l’invasion d’étrangers et les injures les uns des autres, et grâce auquel ils peuvent être gouvernés de manière à assurer leur propre défense, est de conférer tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une assemblée d’hommes, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par pluralité de voix, à une seule volonté » (Leviathan, partie II, chapitre XVII).

Cette conception a bouleversé la pensée politique, car elle présentait l’État comme une construction rationnelle des individus et non comme un ordre naturel ou divin. Sa théorie contient les fondements de la conception moderne de l’État comme instance supposée nécessaire à la coexistence sociale.

Ce processus intellectuel s’est concrétisé avec la signature du traité de Westphalie en 1648, qui mit fin à la guerre de Trente Ans en Europe. Les accords ont établi les principes fondamentaux de la souveraineté des États, de l’égalité juridique entre les États et du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures.

Ainsi, un ordre fondé sur des États souverains dotés de frontières délimitées et d’une autorité exclusive sur leurs populations s’est consolidé. Même si, dans la pratique, cet ordre restait dominé par des monarchies absolues et des systèmes dynastiques, Westphalie a marqué un tournant en reconnaissant que les entités politiques devaient interagir en tant qu’ entités autonomes dans un cadre d’équilibre des pouvoirs.

 

L’émergence de la nation comme communauté politique 

Si l’État moderne est le fruit de la centralisation du pouvoir politique et de la souveraineté territoriale, l’idée de nation est apparue comme un complément visant à conférer légitimité et cohésion sociale à ce pouvoir. Les révolutions bourgeoises du XVIIIe siècle ont transformé la relation entre les individus, la communauté et le pouvoir politique. Il ne s’agissait plus seulement d’un gouvernement exerçant sa souveraineté sur un territoire, mais d’une communauté qui se reconnaissait comme source de légitimité, donnant ainsi naissance à la nation moderne.

Le contractualisme a joué un rôle central dans cette transition. John Locke a défendu l’existence de droits naturels inaliénables (vie, liberté et propriété) et l’idée d’un contrat social qui limitait le pouvoir politique, le subordonnant à la protection de ces droits.

Jean-Jacques Rousseau, dans Le Contrat social, a approfondi cette notion en soutenant que la souveraineté résidait dans la volonté générale des citoyens qui, en s’associant librement, constituaient un corps politique indivisible. Montesquieu, pour sa part, a introduit la séparation des pouvoirs comme principe organisateur de l’appareil. Grâce à ces contributions, l’individu a cessé d’être un sujet pour devenir un citoyen, participant et garant de la souveraineté.

La Révolution française a cristallisé ces idées et a façonné la nation comme une communauté politique fondée sur la souveraineté populaire. Dans son célèbre pamphlet Qu’est-ce que le Tiers État ? Emmanuel-Joseph Sieyès a défini la nation comme l’ensemble de ceux qui travaillent et produisent, déclarant que « la nation est tout » et que le pouvoir ne réside pas dans le roi mais dans le peuple.

« Tous les pouvoirs publics, sans distinction, sont une émanation de la volonté générale; tous viennent du peuple, c’est-à-dire, de la Nation. Ces deux termes doivent être synonymes. » Emmanuel-Joseph Sieyès

Plus tard, au XIXe siècle, Ernest Renan formulera une conception de la nation comme « plébiscite quotidien », c’est-à-dire une décision permanente des individus de vivre ensemble dans un projet commun. Cette conception, appelée « nation civique », repose sur les principes d’égalité juridique, de citoyenneté active et de souveraineté populaire.

En revanche, dans le contexte du romantisme allemand, une vision culturelle et romantique de la nation s’est développée. Johann Gottfried Herder défendait l’idée que chaque peuple possédait un esprit propre, exprimé dans sa langue, ses coutumes et ses traditions. La nation ne se définissait pas par un contrat politique, mais par l’appartenance à une communauté culturelle organique et historique.

Johann Gottlieb Fichte a approfondi cette idée (au milieu de l’occupation napoléonienne) en appelant à la récupération de l’identité nationale à travers la langue et l’éducation. Dans cette vision, la nation n’est pas une construction volontaire des citoyens, mais un héritage transmis de génération en génération, qui confère aux individus un sentiment d’appartenance immuable.

Ainsi, deux grandes conceptions de la nation ont vu le jour. La première, de nature politico-civique, la concevait comme une communauté de citoyens unis par des droits, des devoirs et une participation à la souveraineté ; la seconde, de nature culturelle et ethnique, considérait la nation comme une communauté historique fondée sur la langue, la culture et les traditions communes. La première prédomine en France et la seconde en Allemagne, en Europe centrale et orientale, où les luttes pour l’indépendance nationale s’articulent davantage autour de l’identité culturelle que de la citoyenneté.

Ces deux traditions, bien que conflictuelles, se sont entremêlées dans la pratique historique et ont jeté les bases des mouvements nationalistes du XIXe siècle. Alors que la nation politique promouvait l’idée d’égalité et de souveraineté populaire, la nation culturelle apportait des éléments de cohésion symbolique et identitaire. L’articulation de ces deux perspectives a été décisive pour la consolidation ultérieure de l’État-nation, comme la fusion entre une structure étatique souveraine et une communauté nationale partageant une identité commune.

 

La convergence : la naissance de l’Etat-nation

La fusion entre l’État moderne et la nation en tant que communauté politique s’est produite de manière décisive entre la fin du XVIIIe siècle et le XIXe siècle. Si, au départ, l’État s’était consolidé en tant que structure de pouvoir souverain et territorial, et que la nation avait émergé comme principe de légitimité politique ou culturelle, la convergence de ces deux dimensions s’est cristallisée sous la forme de l’État-nation, qui est alors devenu le principal cadre politique de la modernité.

Les révolutions américaine (1776) et française (1789) ont été des moments essentiels dans ce processus. Lors de l’indépendance des colonies nord-américaines, la nation a été comprise comme le droit d’un peuple à se constituer en État souverain, proclamant son autodétermination face à la domination coloniale. De même, la Révolution française a rompu avec l’absolutisme monarchique en proclamant que la souveraineté résidait dans la nation, c’est-à-dire dans l’ensemble des citoyens égaux en droits.

Ces deux processus ont établi le principe de l’autodétermination nationale, selon lequel chaque peuple a le droit d’organiser son propre État et d’être un sujet à part entière de la communauté internationale.

Ces révolutions ont signifié la consolidation du pouvoir bourgeois, la rupture avec le féodalisme. Le pouvoir est passé entre les mains du « citoyen », même si ce concept était imprégné de sa condition de classe.

Aux États-Unis, l’indépendance a garanti l’autonomie d’une élite propriétaire, consolidant l’esclavage et l’exclusion de larges secteurs sociaux, tandis qu’en France, la souveraineté populaire a rapidement été restreinte par les intérêts de la bourgeoisie, qui craignait le rôle prépondérant des sans-culottes et réprimait les tentatives de radicalisation sociale.

Ainsi, les deux révolutions ont inauguré l’État-nation moderne comme forme de pouvoir bourgeois, en universalisant des principes qui, dans la pratique, étaient appliqués de manière sélective, et en fixant les limites des promesses d’émancipation dans le cadre du capitalisme naissant.

Au cours du XIXe siècle, ce principe s’est répandu sous la forme de mouvements nationalistes. En Allemagne, sous la direction de la Prusse, l’unification a abouti en 1871 à la proclamation de l’Empire allemand, combinant des éléments culturels et un État militaire. En Italie, le Risorgimento a intégré des royaumes fragmentés autour d’un projet national sous la monarchie de Savoie.

En Amérique latine, quant à elle, les indépendances du début du XIXe siècle ont pris la forme d’États républicains qui se sont proclamés héritiers du principe de souveraineté nationale.

Après les révolutions, les indépendances et les unifications, le modèle de l’État-nation s’est répandu comme référence universelle de légitimité politique. Sa consolidation a été parallèle à l’essor du capitalisme industriel, qui nécessitait des États forts pour organiser les marchés intérieurs et garantir les infrastructures, mais aussi à l’intensification de la concurrence interétatique qui allait déboucher sur des conflits impérialistes.

Après la Première et la Seconde Guerre mondiale, le principe de l’État-nation a été réaffirmé dans le système international, notamment avec la création de la Société des Nations d’abord, puis de l’Organisation des Nations unies, qui ont reconnu les États-nations comme acteurs fondamentaux du droit et de la politique mondiale.

 

La critique marxiste de l’Etat-nation

Le marxisme a proposé une interprétation radicalement différente de l’État dans l’histoire et, par conséquent, de l’État-nation. Loin de le considérer comme une communauté neutre au service du bien commun, il l’a défini comme une structure de pouvoir indissociable des relations de classe et, par conséquent, comme un instrument historique au service de la domination bourgeoise. Dans cette perspective, l’État-nation apparaît comme une forme spécifique d’organisation politique du capitalisme.

Marx et Engels ont défini l’État comme « le comité qui gère les affaires communes de toute la bourgeoisie » (Manifeste du Parti communiste, chap. I). Cette formulation résumait l’idée que, bien que l’État se présente comme le garant de l’intérêt général, il constitue en réalité un outil permettant de garantir les conditions d’exploitation et de reproduction du capital.

Dans des textes ultérieurs, Marx a approfondi cette vision en soulignant que la Commune de Paris avait démontré la nécessité de détruire la machine étatique bourgeoise et de la remplacer par une forme politique différente, de caractère prolétarien : « La classe ouvrière ne peut pas simplement s’emparer de la machine étatique telle qu’elle est et la mettre en marche pour ses propres fins » (La guerre civile en France).

Engels, quant à lui, a souligné le caractère historique de l’État en tant que produit de la division en classes sociales, destiné à disparaître dans une société communiste. « L’État n’est en aucun cas un pouvoir imposé de l’extérieur à la société ; il n’est pas non plus « la réalité de l’idée morale », « l’image et la réalité de la raison », comme l’affirme Hegel. Il est plutôt le produit d’une société à un certain stade de développement ; il est l’aveu que cette société s’est empêtrée dans une contradiction insoluble avec elle-même » (L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, chap. IX).

Sous cet angle, l’État-nation n’est pas une fin en soi, mais une forme historique et transitoire de domination de classe.

Dans le contexte de la Première Guerre mondiale et de l’expansion de l’impérialisme, Lénine a développé une approche spécifique de la relation entre l’autodétermination nationale, l’impérialisme et l’État-nation. Il a défendu le principe de l’autodétermination comme une tactique révolutionnaire dans la lutte contre l’impérialisme, permettant aux peuples opprimés de constituer des États indépendants afin d’affaiblir les grands empires : « Le droit à l’autodétermination signifie qu’une nation a le droit de se séparer de l’État auquel elle appartient et de constituer un État indépendant » (Le droit des nations à l’autodétermination, chap. I).

Cependant, Lénine ne l’idéalise pas, il le présente comme une forme particulière du capitalisme, mais incapable de surmonter ses contradictions structurelles. 

Il a avancé que l’expansion monopolistique du capital générait une hiérarchie rigide entre les États impérialistes et les nations opprimées, ce qui renforçait à la fois la dépendance et la violence au niveau international.

À cet égard, il a souligné que « l’impérialisme est le capitalisme à un stade de développement où la domination des monopoles et du capital financier s’est concrétisée, où l’exportation de capitaux a pris une importance considérable, où le partage du monde entre les trusts internationaux a commencé et où le partage de la Terre entière entre les pays capitalistes les plus importants s’est achevé » (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, chap. VII).

En ce sens, Lénine considérait que la libération nationale ne pouvait se réaliser pleinement que dans le cadre de la révolution socialiste internationale, qui transcende les limites de l’État-nation.

Trotsky, pour sa part, a abordé le problème du nationalisme à l’époque impérialiste. Dans ses écrits sur la question nationale, il a insisté sur le fait qu’une contradiction fondamentale du capitalisme réside dans l’antagonisme entre le caractère mondial des forces productives et les frontières étroites de l’État-nation : « Le développement des forces productives de l’humanité se heurte aux frontières de l’État national. D’où les guerres impérialistes, d’où l’impossibilité d’un développement ultérieur de l’humanité sur des bases capitalistes » (Le Programme de transition, section I).

Il expliquait cette tension comme l’une des causes des guerres et des crises internationales. Dans le Programme de transition, il avertissait que les formes nationalistes de protection économique et politique ne résolvent pas les crises, mais les aggravent, conduisant à des conflits armés et à la montée du fascisme.

Il reconnaissait ainsi le droit des peuples à l’autodétermination, mais insistait sur le fait que, à l’ère impérialiste, le nationalisme ne pouvait acquérir un caractère progressiste que s’il était subordonné à la lutte internationale du prolétariat. En d’autres termes, il considérait l’État-nation comme une limite historique du capitalisme et comme une forme qui, au lieu de libérer les peuples, les enchaînait dans les cadres étroits de la domination bourgeoise.

Dans l’ensemble, ils s’accordaient à dire que l’État-nation est indissociable de la logique du capital : il est né comme une conquête historique de la bourgeoisie, il était progressiste par rapport au féodalisme, mais à l’époque de l’impérialisme, il est devenu un obstacle au développement des forces productives et un mécanisme d’oppression nationale.

De là découle la conclusion stratégique du marxisme, qui postule que l’émancipation de la classe ouvrière et des peuples opprimés ne peut être réalisée dans le cadre de l’État-nation bourgeois, mais uniquement par son dépassement dans la perspective d’une révolution socialiste internationale.

 

L’Etat-nation dans le capitalisme contemporain

L’État-nation a été à la fois une conquête progressive de la révolution bourgeoise et une limite à l’ère actuelle du capitalisme mondialisé. D’une part, le capital tend à dépasser les frontières nationales à la recherche de marchés mondiaux et de chaînes de valeur transnationales. D’autre part, en période de crise, des projets nationalistes visant à protéger les économies nationales par des politiques de fermeture, de protectionnisme ou de revendications souverainistes apparaissent avec force.

Cette oscillation reflète la contradiction entre le caractère mondial des forces productives (et de la classe ouvrière) et le cadre restreint de l’État-nation. Une contradiction qui ne peut être résolue dans le cadre du capitalisme, mais qui s’aggrave à chaque crise.

Malgré certains discours sur la « fin des États-nations » à l’ère de la mondialisation, il existe toujours une hiérarchie des États qui structure le système international en termes de domination et de dépendance. Au sommet se trouvent les États impérialistes, qui concentrent le pouvoir militaire, financier et technologique ; autour d’eux gravitent des puissances sous-impérialistes ou régionales, dont l’influence est limitée ; et à la base se trouvent les États semi-coloniaux, soumis à des dynamiques de dépendance économique et politique.

Récemment, la dynamique impérialiste territorialisée et la primauté de la politique sur l’économie ont été actualisées. Le différend entre les États-Unis et la Chine, par exemple, ne se réduit pas à un conflit commercial, mais reflète une stratégie politique de confinement et de défense de l’hégémonie.

L’imposition de sanctions, de droits de douane et de restrictions technologiques — comme le veto sur l’accès des entreprises chinoises aux semi-conducteurs de dernière génération — répond à des objectifs de puissance étatique plutôt qu’à la logique du libre-échange. Ici, l’économie est subordonnée à la politique de défense des intérêts étatiques.

En ce sens, la dynamique actuelle reflète une repolitisation de l’économie, où l’État retrouve sa place centrale non pas en tant qu’arbitre neutre, mais en tant que principal instrument de la concurrence interétatique. Ce revirement ne signifie pas la disparition des lois du capital — qui restent le moteur de l’accumulation —, mais montre comment, dans les situations de crise et de conflits hégémoniques, les États exercent leur pouvoir politique sur l’économie, même au prix d’un sacrifice temporaire et limité de la logique du libre marché.

Il ne s’agit pas d’une anomalie, mais d’une expression de la contradiction entre le caractère mondial des forces productives et la fragmentation politique en États-nations. Lorsque le capitalisme entre en crise, la tendance de l’État à agir en tant que garant du capital national face à la concurrence internationale s’intensifie. C’est pourquoi la politique, comprise comme l’action de l’État, acquiert une primauté à un moment où le capitalisme évolue dans des conditions de plus en plus conflictuelles.

 

Le capitalisme n’est pas internationaliste 

L’analyse historique et théorique confirme que l’État-nation est une forme politique inhérente au développement du capitalisme, née comme une conquête de la révolution bourgeoise, mais devenue une limite à l’époque impérialiste. Son origine était liée à la nécessité d’une unification afin de favoriser et de légitimer le pouvoir de la bourgeoisie émergente. Mais, dans le même temps, elle a fixé des frontières nationales qui entrent en contradiction avec le caractère mondial des forces productives.

C’est pourquoi l’État-nation ne peut être dépassé dans le cadre du capitalisme. Même si la mondialisation semble estomper les frontières et si les institutions supranationales tentent de réguler le marché mondial, ce sont les États nationaux qui, en dernière instance, garantissent la reproduction du capital, règlent les différends géopolitiques et incarnent la domination de classe.

L’apparente « internationalisation » capitaliste n’est jamais véritablement internationaliste, mais reproduit une hiérarchie des États qui perpétue les inégalités et l’oppression. En ce sens, le seul horizon capable de dépasser l’État-nation en tant que limite historique est celui d’un projet socialiste et internationaliste.

Seule une transformation révolutionnaire qui transcende les frontières nationales et articule la classe ouvrière à l’échelle mondiale peut briser la logique de concurrence entre les États et mettre en place une organisation sociale basée sur la coopération et non sur la guerre.  Tant que le capitalisme subsistera, l’État-nation restera le cadre de la domination bourgeoise et le théâtre de la barbarie impérialiste ; seul le communisme peut réaliser dans les faits ce que le capitalisme n’a proclamé que dans l’abstrait : l’unité de l’humanité.

 

Bibliographie

Emmanuel-Joseph Sieyès (2001) Qu’est ce que le tiers-état ? Edition du Boucher 

https://www.leboucher.com/pdf/sieyes/tiers.pdf

Friedrich Engels (1884) L’origine de la famille de la propriété privée et de l’Etat Marxist internet archives(MIA).

https://www.marxists.org/francais/engels/works/1884/00/fe18840000.htm

Jean Bodin (1994) Les six livres de la république, UQAM

https://classiques.uqam.ca/classiques/bodin_jean/six_livres_republique/six_livres_republique.h

Johann Gotllieb Fichte ( s.d) Discours à la nation, Michel Niqueux

https://cpp.numerev.com/pdf/articles/revue-7/647-fichte-discours-a-la-nation-allemande

Karl Marx (1870/71) La guerre civil en France, MIA

https://www.marxists.org/francais/ait/1871/05/km18710530.htm

Karl Marx et Friedrich Engels (1847) Le Manifeste du Parti Communiste, MIA 

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000.htm

Léon Trotsky (1938) Le programme de Transition, MIA

https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/trans/tran.htm

Nicolas Machiavel (2006) Le prince, Philo-labo

https://philo-labo.fr/fichiers/Machiavel%20-%20Le%20prince.pdf

Roberto Sáenz (2023) Marx et l’imaginaire de la révolution française, Izquierda Web

https://izquierdaweb.com/marx-y-el-imaginario-de-la-revolucion-francesa/

Thomas Hobbes (1651) Léviathan

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https://classiques.uqam.ca/classiques/hobbes_thomas/leviathan/leviathan_partie_3/leviathan_3e_partie.pdf

https://classiques.uqam.ca/classiques/hobbes_thomas/leviathan/leviathan_partie_4/Leviathan_4e_partie.pdf

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https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm

Vladimir Lénine (1916) L’impéialisme stade suprême du capitalisme, MIA

https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp.htm

Lecture complémentaire :

1.Roberto Saenz (2022) Le marxisme et la transition socialiste; Volume 1: Etat, pouvoir et bureaucratie  

2.Christian Rakovsky (1928) Les dangers professionnel du pouvoir

3.Michael Löwy (2020) Marx et la révolution française la poésie du passé

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