
Alors que le premier tour des présidentielles porte, pour la deuxième fois, le duo Macron-Le Pen, le mouvement étudiant qui a pris dans de nombreuses universités en France pendant l’entre-deux tours a affirmé une résistance claire aux idées de l’extrême droite et de l’ultra-libéralisme. Sur la base de mots d’ordres qui rejettent les deux candidats et dénoncent l’ambiance politique pourrie, les assemblées générales et les mouvements d’occupation ont dégagé des revendications qui concernent les problèmes locaux des universités mais vont aussi largement au-delà, allant de l’écologie au féminisme en passant par la régularisation et l’inscription des étudiantes étrangers.ères.
Présidentielles 2022 : une répétition de 2017 ?
Pour fournir quelques éléments d’explications sur le contexte et comprendre l’enjeu du mouvement étudiant, le quinquennat Macron a acté d’un véritable tournant répressif et anti-social, largement relayé et soutenu par les médias publics et privés, qui a permis à l’extrême-droite de se frayer un chemin dans le débat politique en surenchérissant d’avantage sur les mesures répressives et xénophobes. Et ce n’est pas seulement le score de Le Pen qui est inquiétant mais également celui de Zemmour, dont les 7 % sont perçus comme une victoire par l’extrême-droite qui cherche aujourd’hui à préparer le terrain des législatives sur un ton plus radical que le RN.
Cependant le score de Mélenchon ainsi que le nombre d’abstention élevé (environ 30%) viennent largement contraster le résultat du premier tour et montrent une véritable imperméabilité aux perspectives conservatrices ou libérales chez les travailleurs et la jeunesse. Cette colère, faute d’être satisfaite par le jeu des urnes, s’exprime aujourd’hui sur le terrain extra-parlementaire dans les universités et va jusqu’à inquiéter le gouvernement, qui a acté de la fermeture de certains campus, comme avec l’évacuation policière de la Sorbonne, et la mise en place du distanciel pour éviter toute organisation comme à Censier. La manifestation de la Marche des Solidarités de ce samedi, impulsée par la LDH et à laquelle ont largement participé les étudiants, assemblés derrière différents cortèges, montre d’une part comment la jeunesse est prête à s’impliquer en dehors du terrain institutionnel et d’autre part comment l’état est, lui, prompt à envoyer gaz et matraques contre les étudiants qui s’organisent.
Comment le quinquennat Macron a alimenté un terrain fertile aux idées de l’extrême droite ?
On peut commencer par citer le renforcement de l’ambiance répressive, qui s’est concrétisée par une hausse alarmante des violences policières contre les classes précaires, allant de la répression des manifestations aux démantèlements violents des campements de réfugiés. Des médias comme CNews, en valorisant Zemmour, candidat de la « droite droite » (selon l’analyse remarquable de Hanouna), ont eux promu une ligne beaucoup plus réactionnaire, et ainsi les débats politiques se sont retrouvés monopolisés entre les ultra-libéraux, la droite et les tendances politiques fascistes sur le degré de répression des classes populaires, des exilé.e.s, du manque des moyens de la police… Le tout sur fond d’offensives anti-islam et anti-immigration portées par le gouvernement et légalisées par des lois comme celle de la « Sécurité Globale » ou de l’« Asile-immigration ».
Parallèlement les combats des collectifs pour la vérité et la justice sur les personnes décédées suites aux violences policières, comme pour les cas d’Adama, de Steve, de Zineb Redouane ou de Shayao Liu n’obtiennent toujours pas de reconnaissance et se font même museler par la justice, ce que montre sans fard l’acharnement continu contre la famille Traoré. Ces tentatives de mutisme n’ont cependant pas réussit à l’emporter puisque de nombreux acteurs se sont dressés contre les violences policières et institutionnelles dans les quartiers populaires et ont fait émerger une nouvelle génération de personnes prêtes à prendre en main ces luttes, et ce grâce aux nombreuses mobilisations et initiatives impulsées par les organisations anti-racistes et relayées par des médias engagés et des activistes. D’autant plus que l’impunité décomplexée se manifeste non seulement en faveur des forces de l’ordre, mais aussi pour toute la racaille politique des classes dominantes, de Darmamin à Zemmour qui sont, parmi d’autres, accusés de violences sexuelles, au scandale de l’affaire Benalla révélé par Taha Bouhafs. Tous continuent d’exercer leurs fonctions et de toucher leurs salaires, tandis que de l’autre la police est envoyée contre les précaires, comme l’a encore illustré la semaine dernière l’intervention musclée contre le représentant du DAL, un collectif qui milite depuis des années en faveur du droit au logement.
Le bilan répressif du quinquennat participe à faire croire à certains que des débouchées se trouvent dans les idées « anti-système » réactionnaires incarnées par Le Pen ou Zemmour. Les plus extrêmes adhérents choisissent également le terrain extra-parlementaire en s’organisant sous forme de petites milices dont la présence est largement tolérées par la police et l’état. Cette banalisation de la violence « anti-système » et des idées réactionnaires, qui ont trouvé dans la politique macronienne de quoi se nourrir, ont de quoi inquiéter et alarmer pour l’avenir. C’est dans ce contexte que le mouvement étudiant porte des morts d’ordres essentiellement politiques, qui servent à répondre à la droite et à affirmer une résistance face à la tolérance institutionnelles aux discours fascisants.
Quelles suites pour Macron ?
Sur le plan des réformes, après avoir imposé les deux lois « Travail », le quinquennat Macron s’est illustré par de larges mouvements de contestation contre la privatisation forcée du ferroviaire, au terme d’un bras de fer historique entre les cheminots et le gouvernement, et contre la réforme des retraites, trois grands axes pro-patronaux contre lesquels non seulement la classe ouvrière mais aussi la jeunesse se sont mobilisés. La liste est évidemment non exhaustive : plan Hirsh pour les hôpitaux, insertion de la tarification à l’acte, réforme de l’assurance-chômage, hausse du prix du carburant qui a vu l’irruption des Gilets Jaunes…. les mobilisations « historiques » ont été nombreuses et les quelques miettes obtenues en retour, qui ont canalisé certains mouvements de lutte, ne peuvent pas combler le contexte général d’appauvrissement que connaît également la jeunesse et qui a été exacerbé suite à la crise du COVID. Et les suites du programme politique de Macron ne donnent guère envie : entre casse du service public et privatisations plus ou moins déguisées dans tous les secteurs, ni l’audiovisuel, ni les universités, ni les hôpitaux ou le ferroviaire ne seront épargnés en cas de réélection.
Sur le plan écologique, la jeunesse est marquée depuis des années par une prise de conscience des enjeux environnementaux auxquels les partis politiques majoritaires, qui trouvent racine dans l’exploitation capitaliste, ne peuvent fournir de réponse satisfaisante. Les thèmes écologiques, qui doivent s’inscrire de pair avec les perspectives sur la façon de produire et de gérer les richesses, sont passées à la trappe malgré les rapports du GIEC, particulièrement alarmants, qui mettent pourtant en avant les désastres de l’exploitation des ressources naturelles.
Quant aux mesures contre les violences sexistes et sexuelles, aucun doute qu’il n’y a eu aucune avancée. Le Grenelle de Marlène Schiappa a été un échec cuisant qui a fragilisé le soutien initial à Macron, qui avait pourtant fait du féminisme un de ses axes pour la campagne de 2017. Et les réponses indécentes sous forme de numéros verts à outrance n’ont ni changé, ni convaincu de se rallier à la politique de LREM pour obtenir plus de justice et de soutien pour les victimes.
Enfin, sur la crise en Ukraine, les conflits impérialistes qui opposent l’OTAN et la Russie ont suscité en quelques semaines à peine une vague de peur dans l’ensemble des populations européennes, qui se demandent encore jusqu’où ira le conflit. Les révélations récentes sur les ventes d’armes de la France à la Russie, révélées par le média Dioscluse, ont mis en exergue que les intérêts économiques priment quand il s’agit de relations internationales.
Les nombreuses grèves et mouvements sociaux contre le gouvernement durant les cinq dernières années ont montré une colère diffuse sur l’ensemble du territoire contre les mesures anti-sociales et la hausse du coût de la vie. Les luttes contre les réformes du ferroviaire, celle des retraites, les Gilets Jaunes, sans oublier les mouvements universitaires contre la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers et contre Parcoursup ont été autant de freins au rouleau compresseur ultra-libéral, malgré la répression massive de l’état.
C’est autant d’éléments qui peuvent justifier l’élan universitaire qui conduit les étudiants à porter des mots d’ordres politiques comme « Ni Le Pen, ni Macron » tout en revendiquant des mesures soit locales, soit d’ordre plus général, en plus de s’affirmer unitairement comme anti-fasciste. L’évacuation de l’université de la Sorbonne jeudi dernier a montré que le gouvernement s’inquiète des troubles que pourraient générer la jeunesse durant les élections, de même que les décisions de remise en place du distanciel dans certaines universités.
Quelles perspectives pour le mouvement étudiant ?
Pour préparer la suite, dans ce contexte difficile où les débouchées mouvement étudiant sont incertaines, une Assemblée Générale inter-facs est appelée à l’Université Paris 8, à 12h, le mardi 19 avril.
Dans cette université la lutte pour la régularisation des étudiantes étrangères est un enjeu spécifique puisqu’elle est l’une des rares facultés de France a avoir accueilli, avant la crise du COVID, plus de 200 étudiants sans papiers chaque année. Or, pour 2021/2022, en contre-coup de la pandémie mais aussi et surtout des politiques racistes du gouvernement, la lutte pour la régularisation et l’inscription est devenue un véritable parcours du combattant.
Avec la crise ukrainienne, le gouvernement Macron, soutenu par la traditionnelle droite xénophobe, a surenchérit en décidant d’effectuer une différence entre les réfugiés étudiants ukrainiens et les réfugiés non-ukrainiens. Ces derniers disposent d’un temps très limité pour obtenir une inscription à l’université ou un travail, faute de quoi ils seront menacés d’OQTF.
Cette situation dramatique fait sortir sur le devant de la scène les injustices permanentes et racistes dont sont victimes les populations qui émigrent, et comment l’université peut servir de filtre pour effectuer le tri des migrants. Face à cela, et pour apporter une perspective concrète et une réponse radicale aux discours fascisant et aux utopies ultra-libérales et réformistes, nous revendiquons l’inscription et la régularisation inconditionnelle de tous les étudiants réfugiés, sans distinction de nationalité, ainsi des moyens à hauteur des besoins dans les universités !