Chili, Équateur, Colombie… L’Amérique latine entre retour des « gouvernements progressistes » et nouvelles luttes de classe

Un retour sur l'atelier de l'Amérique Latine, animé par Franck Gaudichaud et Marie Solet, qui a eu lieu le 22 août 2022 à l'université d'été du NPA, à Port Leucate.

0
20

Le 22 août 2022, l’atelier Chili, Équateur, Colombie… L’Amérique latine entre retour des « gouvernements progressistes » et nouvelles luttes de classe a eu lieu à l’université d’été du NPA à Port Leucate. Le débat été animé par Franck Gaudichaud, docteur en science politique, enseignant-chercheur à l’université de Toulouse, et Marie Solet, militante féministe et membre de la direction du courant international Socialisme Barbarie. La salle est devenue rapidement trop petite pour le nombre d’assistants qui sont venus pour participer à la discussion sur l’Amérique latine, toujours attendue par le public de l’université d’été.

 

Le contexte général des expériences latinoaméricaines ne peut pas se lire indépendamment de la situation du capitalisme mondiale et du cycle des rébellions populaires qui s’ouvrent à partir des années 2000. La crise économique frappe de plein fouet les classes populaires et tout au long du XXIème siècle va retrouver des retentissements dans les 4 coins du monde.

En 2019, la Colombie, l’Equateur et le Chili configurent le scénario de la lutte de classes qui s’encadre dans cette expérience historique où les nouvelles générations d’ouvriers, des femmes et des jeunes se mettent à l’épreuve des régimes ultra répressifs dans un contexte d’avancée réactionnaire internationale.

 

Colombie : le réveil d’un peuple

En 2019, la goutte qui fait déborder le vase dans les villes principales de la Colombie a été l’annonce d’une réforme tributaire lancée par le présidente Ivan Duque. Ce dernier, digne représentant de la continuité d’un régime de complicité narco-paramilitaire de la période “uribiste” prétend appliquer son programme d’austérité en détriment des classes populaires. Il s’ajoute à ce fait la continuité de la violence dans les zones rurales du pays où les dirigeants paysans sont couramment assassinés et qui comptent, depuis les accords de paix, déjà plus de 300 morts.

La colère explose un 21 de novembre de 2019 avec le mouvement qui coordonne les plus importants mouvements sociaux autour de la demande de suspension de l’ensemble de réformes tributaires et des retraites, l’application effective des accords de paix, la révision des politiques fiscales pour le secteur agricole et des définitions ponctuels par rapport l’environnement, la corruption et la violence policière, voir la dissolution de l’’ESMAD (squadron anti-émeutes).

Une rébellion historique sans doute en sachant que le pays vient d’une période de 60 ans de conflit armé, où les protagonistes étaient les narcos ou l’état ou les paramilitaires, mais qui rencontre par première fois dans la rue toute une génération mobilisée avec l’envie de renverser l’ordre social. Fruit de cette expérience et issue du processus institutionnel, s’érige comme nouveau président, Gustavo Petro, ancien militant du mouvement 19 avril (M-19) qui de la main d’une activiste féministe territorial, ils vont gagner les éléctions en 2022. A l’heure actuelle, le gouvernement porte un mandat qui est censé répondre à un changement radical de la société colombienne.

Nous affirmons notre soutien au peuple colombien dans ses demandes. Nous alertons que l’orientation de vouloir effectuer des changements sociaux uniquement dans le cadre des institutions risque de ne pas remettre en question le système en tant que tel. Nous partageons l’espoir de la population et nous considérons que pour une véritable émancipation il est nécessaire de développer l’action de rue des travailleurs et la constructions des organisations politiques conscientes du programme communiste révolutionnaire.

 

Chili : entre la révolte populaire et l’impasse des institutions

Franck Gaudichaud a fait une analyse critique de la situation politique au Chili, après des années très mouvementées de mobilisation sociale. La révolte populaire initiée en 2019 avait fait irruption avec des manifestations de masse qui ont bouleversé le gouvernement Piñera et l’ordre néolibéral établi au Chili depuis la dictature de Pinochet. La rémise en cause de la constitution de l’ancien dictateur était une revendication fondamentale du mouvement pour en finir avec un système politique qui avait produit des décennies d’exploitation capitaliste.

Gaudichaud a insisté sur le rôle fondamental du mouvement féministe pour donner un élan aux manifestations, ainsi que sur la présence de la jeunesse qui a protagonisé les journées contre l’augmentation du prix du métro qui ont donné naissance à la révolte nationale.

Cependant, le spécialiste a décrit la mise en place d’un processus d’institutionalisation de la colère populaire, une instrumentalisation des partis du système pour canaliser le mécontentement social vers des mécanismes institutionnels. Il s’agit notamment du processus constituant, que malgré son caractère très progressif (car il s’agit de rédiger une nouvelle constitution pour le peuple chilien) est miné par de nombreuses pièges qui limitent les aspirations des secteurs populaires.

Dans ce sens, Gaudichaud a également signalé toutes les limites du gouvernement de Gabriel Boric, récemment élu en 2022. Bien qu’il pouvait aspirer à représenter une alternative à gauche après l’énorme lutte populaire contre le gouvernement Piñera, une fois au pouvoir Boric a poursuivi la politique répressive de son prédécesseur. Le nouveau président du Chili a continué avec la militarisation des territoires de l’Araucanie, a maitenu les lois qui pénalisent les manifestants et les prisonniers politiques issus de la rébellion populaire et a fortement réprimé la protestation sociale.

Malgré toutes les difficultés et les limites, le peuple chilien est aux portes de se débarrasser en fin de la constitution du régime de Pinochet, avec le référendum qui aura lieu le 4 septembre.

 

Equateur : un cas paradigme

Issu d’un mouvement citoyen large qui débute en 2005, l’Equateur va connaître une figure qui changera son histoire, Rafael Correa, issue de la rébellion des bandits, fini par devenir président du pays en 2006. Il organise une Assemblée constituante en 2008 et remet en l’état dans ses fonctions d’application de politiques publiques avec un investissement d’infrastructures sans précédent. Ses positions anti-néolibérales qui contestent les recettes du FMI et la légitimité de la dette, mettent à la bourgeoisie en garde et les mouvements sociaux en soutien, parmi lesquels se trouvent la Confédération des Nationalités Indigènes (CONAIE). Dans son deuxième mandat, marqué par la chute du prix du pétrole au niveau international, le changement de créancier, le caractère profondément extractiviste de sa politique économique et un putsch non abouti font tourner le gouvernement vers l’autoritarisme et la répression d’activistes notamment écologistes et féministes.

En 2017, le changement est arrivé par la droite par l’option qui était censée devenir la continuité : la trahison opérée par Lenin Moreno, laisse la population dans le dépit. C’est dans ce contexte qui éclate la rébellion populaire qui demande la démission de Moreno en 2019.

L’apparition du COVID a plongé le pays dans une crise sanitaire sans précédent et a laissé la contestation en « stand by ». En 2021, grace à la cooptation de l’appareil électoral et à l’état d’énorme vulnérabilité du peuple équatorien, les élections présidentielles ont redonné le pouvoir à la droite classique, incarnée par la figure de Guillermo Lasso. La population qu’une fois avait été interpellée par le « socialisme du XXIème siècle », celui qui avait donné la confiance à l’institution bourgeoise, n’a jamais vu bouger une seule ligne de ses bornes.

Guillermo Lasso a poursuivi la politique de son prédécesseur, selon les récettes du FMI, et n’a donné aucune réponse aux revendications du mouvement social, réprésenté notamment par le mouvement indigène. Pour cette raison, en juin 2022, une nouvelle révolte populaire a vu le jour en Equateur qui a paralysé le pays pendant plusieurs semaines avec une grève générale historique impulsée par la CONAIE et d’autres secteurs.

Il s’agit d’une radicalisation de la contestation sociale contre les politiques d’austérité qui a la potentialité de permettre aux grandes majorités des travailleurs de prendre leurs affaires en main avec des mobilisations de rue et des instances d’auto-organisation. Cependant, le monopole de toute contestation par la gauche reste en mains des organisations paysans qui jouent le rôle d’une bureaucratie syndicale. Ils ont une capacité réelle de mobilisation mais ne répondent pas à un programme qui bataille jusqu’au bout pour les intérêts de toute la classe travailleuse. De cette façon, la politique de la CONAIE de privilégier le dialogue avec le gouvernement, sous la médiation de l’Eglise catholique, a mis un arrêt à la révolte pour le moment, qui pourrait se réactiver si les conditions économiques se dégradent.

 

La discussion sur l’Amérique latine, lors de l’université d’été du NPA, nous a permis de faire le point sur les révoltes populaires qui protagonisent une situation politique où les confrontations directes entre les classes sont plus présentes. Une situation qui remet sur la table le débat entre réforme et révolution, avec les limites des formations réformistes qui essaient de renvoyer la colère sociale aux urnes. Nous croyons que les révolutionnaires doivent appeller les nouvelles générations à se doter de l’outil parti pour transformer les révoltes en cours en véritables révolutions. Une discussion très pertinente dans le contexte actuel des débats qui animent la vie interne de notre organisation.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici