Ce texte est un résumé d’un article présenté en 2015 lors du 1e Congrès Abolitionniste à Buenos Aires, disponible en espagnol.
En Argentine, le mouvement LGBTI a été à l’avant-garde des luttes internationales pour le droit à l’existence et contre les discriminations envers la population LGBTI. Depuis le retour de la démocratie dans les années ’80, les associations et les collectifs militants des droits des populations LGBTI se sont battus pour leur droit à l’existence. Carlos Jauregui, Lohana Berkins ou encore Diana Sacayan font partie de la littérature obligatoire des militant.e.s. Ce sont des figures reconnues et revendiquées comme des phares de la lutte LGBTI.
C’est grâce à des années de travail et de militantisme qu’iels ont réussi à faire passer la loi du mariage égalitaire (mariage pour tous) en 2010 et la loi d’identité de genre en 2012. La loi d’identité de genre a obligé l’Etat argentin à reconnaître l’identité auto-perçue de chaque personne à la seule demande, sans nécessité de demander le changement administrative de sexe.
Cette loi a facilité également la démarche administrative qui était, auparavant, judiciarisée et médicalisée. La reconnaissance juridique du principe d’identité auto-perçue a permis à des milliers de personnes de pouvoir être nommées et reconnues tant à l’hôpital comme à l’école parmi d’autres espaces sociaux et publics.
De la lutte pour la citoyenneté aux luttes pour les conditions matérielles d’existence
Une fois que les argentin.e.s ont acquis le droit à la reconnaissance légale et administrative de l’identité auto-perçue, la question était de se battre pour les conditions de vie. C’est à dire, une fois obtenu l’accès à la citoyenneté, il s’agissait de lutter pour les conditions pour exercer cette citoyenneté.
Dans ce contexte, l’INDEC (Institut national de statistiques et recensements) en lien avec des collectifs activistes trans, a organisé sa première enquête sur la population trans dans le département de La Matanza en 2012. Il s’agit d’un département de la banlieue de Buenos Aires, qui est le plus peuplé de l’Argentine et l’un des plus défavorisés. Les résultats sont parlants : plus de 70% des personnes enquêtées n’ont qu’une forme d’emploi précaire et une bonne partie parmi eux sont en situation de prostitution. En 2005, Lohana Berkins avait déjà conduit une enquête qui donnait des résultats similaires. Dans son livre La gesta del nombre propio elle avait recensé que plus de 70% des personnes trans étaient en situation de prostitution.
Ce même travail a été repris à un échelle plus large en 2017 par le Ministère National du Travail avec le financement des Nations Unies. Le résultat est effrayant : 94% des personnes trans travaillent dans des conditions informelles, sans cotisations pour la retraite, sans mutuelle, dépourvu.e.s de droits syndicaux.
Loi des quotas trans : un combat pour l’inclusion, un combat abolitionniste
Avec tous ces constats et surtout grâce à leur expérience de militantisme, les personnes transgenres se sont organisé.e.s pour obtenir la loi des quotas trans. Elle propose que 1% des postes d’emploi à la fonction publique soient destinés aux personnes trans en reconnaissance de leurs difficultés d’accès au monde du travail.
Leurs difficultés sont un continuum d’exclusions qui commence parfois par l’exclusion au sein de la propre famille, l’exclusion de l’éducation nationale et un grand déficit d’accès aux systèmes de santé. Toutes ces exclusions amènent à la migration interne ou à celle provenant des pays limitrophes, une bonne partie de la population trans qui a été recensée dans la banlieue de Buenos Aires n’était pas née dans cette région. La condition migrante ajoute une couche supplémentaire de difficultés aux conditions de vie déjà très dures.
Grâce à la lutte des personnes trans, la première loi des quotas a été promulguée en septembre 2015, sanctionnée dans le parlement de la province de Buenos Aires. La loi porte le nom de Diana Sacayan, une grande figure de la lutte trans et abolitionniste qui s’est beaucoup battue pour la rédaction du texte.
La loi n’a pas connu beaucoup d’applications dans les premières années après sa promulgation car la région de Buenos Aires a été gouvernée par une droite réactionnaire et conservatrice. Le gouvernement était contre l’inclusion des personnes trans et il justifiait sa position en expliquant qu’il n’y avait pas des nouveaux postes à pourvoir, mais plutôt des réductions de personnel à faire dans la fonction publique.
Malgré les difficultés, le combat pour l’inclusion s’est poursuivi dans les années suivantes. Le mouvement a réussi à obtenir quelques victoires. D’abord il y a eu une ordonnance présidentielle en 2020 pour mettre en place un quota trans au niveau national. Ensuite, en juin 2021, la lutte a mené à l’adoption d’un projet de loi par l’Assemblée Nationale, pour favoriser l’inclusion des personnes trans dans des administrations et entreprises publiques, avec un quota de 1%.
Nous sommes reconnaissantes des efforts militants mis en place pour obtenir ce type de loi, même si la promulgation d’un texte ne suffit pas pour garantir des droits, car il faut continuer à se battre dans la rue pour que les droits des trans soient respectés.
D’autre part, les statistiques ont montré qu’une grande partie de la population trans, notamment les femmes trans ne connaissent que la prostituion comme moyen de survivre. Nous pensons que la bataille pour l’application de la loi et l’inclusion dans le monde du travail des personnes trans est un combat abolitionniste à mener aux côtés des personnes concernées. Nous sommes pour une inclusion réelle et pour en finir avec la condamnation à la prostitution qui pèse comme une épée de Damoclès sur la population trans.