
Présenté au Conseil des ministres en février 2023 par Darmanin, Dussopt et Dupond-Moretti, le projet de loi avait été adopté en première lecture. En novembre, il a été rejeté par l’Assemblée nationale après une motion du groupe écologiste. Il a ensuite été définitivement adopté en commission mixte paritaire le 19 décembre. La nouvelle loi de “contrôle d’immigration et amélioration de l’intégration” paraît sortir de la porcherie.
Le gouvernement a profité de l’attentat d’Arras pour rendre inflexible sa politique migratoire. Cet évènement a été le tremplin parfait pour faire l’amalgame entre immigration, délinquance et terrorisme. Néanmoins, au-delà de la procédure parlementaire -qui avait toutes les caractéristiques d’une bagarre entre Darmanin et le Rassemblement National- nous avons assisté à un engouement médiatique sans précédent. Les chaînes de télévision se sont transformées en véritables tribunes de l’extrême droite. Les éléments de langage tels que la “préférence nationale” ont été déballés à la chaîne afin de construire un alibi qui expliquerait les maux des Français.e.s. Dans la même période, aucun mot n’a été prononcé sur les plus de dix milliards d’euros d’évasion fiscale ou encore sur les bas salaires dans le pays : la dépense publique serait exclusivement liée aux immigrés. La déferlante de haine a bien retrouvé sa place à l’antenne des médias bourgeois pendant tout le traitement médiatique de la loi.
Une loi digne de l’extrême droite
En ce qui concerne sa nature, cette loi est une rupture majeure pour le pays. Son caractère régressif est efficient dès sa publication. Nous passons d’une loi du 7 mars de 2016 qui s’intitule “relative aux droits des étrangers en France” à celle de 2023 visant à “contrôler l’immigration”. C’est-à-dire que l’objectif de cette loi est de criminaliser et chasser les personnes étrangères considérées comme indésirables par le gouvernement. Cette loi est destinée à freiner les migrations des personnes exilées, par un renforcement continu des mesures sécuritaires et répressives. Cette loi va à contre-courant de la réalité de notre monde dans lequel les migrations vont continuer de croître. Au risque de nouveaux drames sur les routes de l’exil, cette loi est aussi à rebours d’une vision fondée sur la solidarité, l’hospitalité ou la fraternité.
La loi Immigration a été qualifiée par le RN de victoire idéologique puisqu’elle facilite notamment les expulsions du territoire sans garantir le respect des droits humains élémentaires des personnes migrantes. A l’inverse de ce que le gouvernement essaye de faire croire, la nouvelle loi ne vise pas à améliorer l’accès à un titre de séjour, ni à la nationalité ni à l’intégration à l’emploi. Au contraire, “sous couvert de simplification des règles du contentieux”, les délais de recours sont raccourcis, les garanties procédurales amoindries. Et pour réduire la durée de la procédure d’asile, le fonctionnement de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sont profondément modifiés, avec un risque d’affaiblissement de ces instances de protection.” Cela ouvre la voie à l’exploitation des étranger.e.s, à leur marginalisation et comme le disent certaines associations comme la Cimade, à faire de la France une usine de sans papiers.
La nouvelle loi comporte six volets :
- Quotas migratoires, regroupement familial, allocations sociales. Une mesure qui donne au parlement la tâche de définir un quota d’admission ( par nombre et catégorie) pour une durée de trois ans, en dehors de la catégorie d’asile. Elle rétrécit des conditions de regroupement familial et restreint les allocations sociales. Les femmes étrangères en situation monoparentale seront davantage fragilisées par la suppression des droits sociaux (APL) et celle de l’accès aux centres d’hébergement d’urgence universel.
- Intégration et nationalité française. Aujourd’hui, et parce que cela a du sens, les jeunes né∙es et qui ont grandi en France, deviennent automatiquement français∙es à leur majorité ou sur demande à partir de l’âge de 13 ans. Le caractère automatique de l’attribution de la nationalité est supprimé, et remplacé par une démarche entamée à partir du 16 ans et avant l’âge de 18 ans. Cette proposition sous-entend qu’un mineur, s’il a eu l’accès à cette information, doit se positionner et comprendre l’importance de cette démarche pour son avenir sous peine de perdre ce droit. Il s’agit d’une manière déguisée d’exclure un grand nombre de personnes de l’accès à la nationalité française.
- Titres de séjour. Le projet de loi initial ne prévoyait aucune autre mesure visant à favoriser l’accès à un titre de séjour. Il s’ajoute le délit de séjour irrégulier (avec un visa expiré ou sans titre de séjour) est rétabli. Il sera passible de 3 750 euros d’amende et d’une peine complémentaire de trois ans d’interdiction du territoire. Les conditions de délivrance d’un titre de séjour pour les conjoint.es de Français.e et les parent.es d’enfants français.es sont durcies (pour une carte de résident, durée de séjour régulier exigée portée de 3 à 5 ans…). La carte de séjour « étranger malade » fait l’objet de nouvelles dispositions. Les étudiant.es étranger.es devront déposer une caution « retour » (dont le montant sera fixé par décret) pour accéder à un premier titre de séjour. Des exceptions sont prévues (modicité des revenus et excellence du parcours scolaire ou universitaire). La caution sera restituée à l’étudiant.e, sauf s’iel n’a pas respecté une décision d’éloignement. De nouveaux motifs de refus de délivrance ou de retrait des cartes de séjour temporaire sont créés (fraude documentaire, infractions commises contre des élu.es ou des agent.es publics…). La menace grave pour l’ordre public devient un motif de non-renouvellement ou de retrait de la carte de résident. De plus, un séjour effectif de six mois par an en France sera imposé pour le renouvellement de certains titres longs.
- Travail des étrangers. Afin de lutter contre le travail illégal des travailleurs et travailleuses dits « des plateformes », le projet de loi conditionne l’accès au statut d’auto-entrepreneur à la détention d’une carte autorisant à travailler. Les travailleuses et travailleurs sans papiers exerçant dans des métiers en tension pourront se voir délivrer à titre exceptionnel, comme aujourd’hui, une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié ». Le Sénat a voté la création d’une nouvelle catégorie d’admission exceptionnelle au séjour par le travail dans un métier en tension (article 4 bis). La délivrance du titre de séjour relèverait donc du pouvoir discrétionnaire du préfet. Ces conditions sont en outre durcies et élargies : 12 mois d’activité (consécutifs ou non) au cours des 24 derniers mois ; ajout de l’appréciation par le préfet de la “réalité” et de la “nature” des activités professionnelles, de l’“insertion sociale et familiale” de la personne, de son “respect de l’ordre public” (ce qui est par ailleurs une condition générale pour le droit au séjour), de son “insertion sociale et familiale” ainsi que de son “adhésion aux modes de vie et aux valeurs” de la société française et aux principes de la République. Enfin, le Sénat propose que l’autorisation de travail ne soit pas délivrée en même temps que le titre de séjour, mais dans un second temps et sans garantie de délivrance, après vérification de la réalité de l’activité auprès de l’employeur.
- Possibilités d’éloignement renforcées. Le projet de loi entend faciliter l’éloignement des étranger.es qui représentent une menace grave pour l’ordre public. Il permettra l’expulsion des étranger.es régulier.es, même présent.es depuis longtemps en France ou y ayant des liens personnels et familiaux, condamné.es notamment pour des crimes ou délits passibles d’au moins cinq ou trois ans de prison ou « impliqués dans des violences contre des élus ou des agents publics ». Enfin, le projet propose de faire de l’ITF une peine générale, possible, par principe, dès lors qu’est mise en cause une infraction punie d’une peine de prison égale ou supérieure à trois ans. Les frais d’assignation à résidence des étranger.es frappé.es d’une expulsion, d’une peine d’ITF ou d’une interdiction administrative du territoire seront à leur charge. Les étranger.es destinataires d’une OQTF ou d’une mesure d’expulsion ne pourront être hébergé.es dans le dispositif d’hébergement d’urgence que dans l’attente de leur éloignement. Le texte autorise aussi la création d’un fichier des mineurs étrangers isolés délinquants.
- Asile et contentieux des étrangers. Le projet de loi prévoit le déploiement progressif de pôles territoriaux dénommés « France Asile », en remplacement des guichets uniques d’accueil des demandeurs d’asile (GUDA). Ils permettront en un même lieu l’enregistrement du demandeur d’asile par la préfecture, l’ouverture de droits par l’Office français pour l’immigration et l’intégration (OFII) et l’introduction de la demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). L’organisation de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est aussi réformée, avec la création de chambres territoriales de la CNDA et la généralisation du juge unique. La formation collégiale ne sera saisie que pour les affaires complexes. La procédure de réunification familiale pour les familles des réfugié.es est modifiée sur plusieurs points. Les demandeurs et demandeuses d’asile qui présentent un risque de fuite ou une menace à l’ordre public pourront être assigné.es à résidence ou placé.es en rétention administrative, sous certaines conditions. Le nombre de procédures contentieuses types est réduit de 12 à 3. Cette simplification s’inspire d’un rapport du Conseil d’État sur le sujet du 5 mars 2020.
Quelques pépites d’une loi nauséabonde
L’application du principe de préférence nationale à des aides sociales vitales conduira à ce que les étranger∙es en soient exclu·es. L’accès à certaines aides sociales (allocations familiales, aides personnalisées au logement, prestation de compensation du handicap, allocation personnalisée d’autonomie, etc.) sera conditionné à une résidence régulière d’au moins cinq ans sur le territoire, alors que les critères actuels prévoient une période de six mois.
La double peine pour les femmes étrangères. Cette loi précarise, fragilise et met particulièrement en danger les femmes étrangères. Ces travailleuses qui occupent majoritairement les métiers du soin et du lien, sous-payés, très souvent à temps partiel, seront d’autant plus précarisées par cette loi qui ne permet pas leur régularisation.
Les femmes étrangères en situation monoparentale seront davantage fragilisées par la suppression des droits sociaux (APL) et celle de l’accès aux centres d’hébergement d’urgence universel. Les jeunes filles et femmes migrantes sont encore plus mises en danger par cette loi : surexposées aux violences sexistes et sexuelles et victimes de réseaux de traite humaine et de prostitution, elles seront d’autant plus des proies faciles.
Exclusion des personnes visées par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) du droit à l’hébergement d’urgence. Tout∙e étranger∙e visé∙e par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) est exclu∙e du droit à l’hébergement d’urgence. Cette mesure participe à la précarisation des étranger∙es en situation irrégulière et notamment de celles et ceux qui ont le moins de moyens.
Volonté de suppression de l’aide médicale d’État. La suppression de l’aide médicale d’État n’a pas été adoptée. Néanmoins, le gouvernement a annoncé sa volonté de réformer le système dès le début de l’année prochaine.
Les étudiant∙es étranger∙es devront fournir une caution pour avoir accès à un titre de séjour. L’obtention d’un titre de séjour portant la mention étudiant·e est subordonnée au dépôt d’une caution qui sera restituée au moment du départ ou dans l’hypothèse d’une régularisation future et conservée dans l’hypothèse où la personne concernée se sera soustraite à une mesure d’éloignement. L’objectif de cette mesure est d’imposer une immigration choisie.
D’après le décryptage de la Cimade, le Sénat a d’abord voté une disposition subordonnant la délivrance d’un premier titre de séjour pour motif d’études au dépôt préalable d’une caution, restituée à la personne au moment de son départ du territoire français. Cette proposition contribuera à exclure davantage les personnes les moins aisées de l’accès à un titre de séjour. Elle fait de plus fi du fait que le titre de séjour « étudiant » n’est pas nécessairement pensé pour se conclure par un retour au pays dès la fin des études, puisque des passerelles vers les titres professionnels existent, notamment par le biais de la carte de séjour mention « recherche d’emploi ou création d’entreprise ».
Le Sénat a également proposé de donner un caractère annuel à la justification du caractère réel et sérieux des études, avec risque de retrait de titre de séjour, ce qui ne fera que multiplier les démarches administratives pour les intéressé·e·s comme pour les préfectures, y compris en dehors des moments de renouvellement d’un titre de séjour. En outre, le droit actuel prévoit déjà des possibilités de retrait de titre de séjour si les conditions nécessaires à la délivrance ne sont plus remplies. Enfin, le Sénat propose de modifier le code de l’éducation pour inscrire dans la loi le principe discriminatoire de la majoration des droits d’inscription à l’université par les étudiant·e·s étranger·e·s en mobilité internationale. Cette majoration représente un frein important à l’accomplissement d’études supérieures en mobilité internationale, et constitue une exploitation économique inacceptable des étudiant·e·s étranger·e·s.
Exigeons le retrait de la loi raciste dans la rue !
La version alourdie de cette loi s’érige comme une attaque raciste historique contre les droits des migrants. Une attaque qui représente une avancée majeure contre les droits de toute la classe ouvrière.
Pour cela, il est fondamental de commencer à organiser une riposte à la hauteur de cette attaque. Après le vote de la loi, une bonne partie de la jeunesse étudiante et travailleuse est sortie dans la rue et a bloqué ses établissements en signe de riposte.
Nous refusons cette surenchère à l’encontre des personnes migrantes et notamment la suppression de leurs droits fondamentaux au profit des riches, de la bourgeoisie française. Il est essentiel de montrer dans les semaines à venir notre solidarité la plus large à travers l’organisation et la mobilisation dans la rue.