Un premier bilan d’étape est nécessaire pour comprendre la situation politique de l’Argentine dans la période actuelle. Sans doute le paquet de réformes “choc” proposées par le gouvernement impose une dynamique de la lutte de classes, puisqu’il exige de balayer des usages et pratiques acquises lors du rétablissement de la démocratie en 1983 et lors de l’Argentinazo en 2001.
Nous présentons donc trois éléments qui dressent ce tableau :
Premièrement, il existe des fragilités et difficultés d’ordre administratif-institutionnel. Cela est apparu de manière flagrante lors du revers du gouvernement de la non adoption de la Loi Omnibus ( les allers-retours, amendements des divers articles qui ne donnaient pas d’issue très claire, etc). La loi a été adoptée en traitement par principe général, ensuite traitée article par article et finalement retirée en commission. Les événements ont été suivis par de la répression et de tentatives de déstabilisation des cortèges manifestants. Néanmoins, dès qu’une marge de stabilité sera laissée au gouvernement, la répression risque d’augmenter.
Deuxièmement, la base sociale de LLA (La Libertad Avanza, parti de Milei) est inexistante. D’une part, il y a un secteur qui prétend lui accorder du temps, mais ses soutiens n’ont pas été capables de se mobiliser. Cependant, Milei a des points d’appui d’ordre international comme la reconnaissance auprès du FMI, de l’entrepreneuriat et même du Pape. Il s’appuie notamment dans le système étatique et non pas militaire.
Le troisième élément est l’économie. Elle reste un facteur d’instabilité avec des licenciements dans divers secteurs au compte-goutte, l’inflation et le plan d’ajustement que Milei veut appliquer représente une dégradation large et dramatique des conditions de vie des secteurs populaires.
Le gouvernement peine à s’imposer
Il y a certainement une tentative d’installer une gouvernance d’exception. Iil faudra encore attendre de savoir si ceci s’affirme dans les faits. Ensuite, le facteur du temps que prend la population, en décalage, à regrouper ses forces. Sans doute la dynamique du gouvernement n’est pas gradualiste et la situation risque de se tendre ou d’aller vers la confrontation directe.
A notre dernière conférence nationale, nous avons déjà établi que le plan de Milei était un plan de guerre contre la classe travailleuse. Même le PO a parlé d’un gouvernement d’exception et nous lui accordons ce mot d’ordre. Cependant, son plan est en attente pour se consolider; il faut attendre mardi 13 février, la décision finale sur l’octroi des “facultés déléguées” qui ouvriront la possibilité de l’exécutif de “sauter” les prérogatives du législatif.
Cependant, deux facteurs de médiation s’imposent: d’un côté la lutte de classes tout simplement. Ceci a été démontré lors du défi du protocole anti-manifestation le 20 décembre 2023 ainsi que la pression envers la CGT pour l’appel à la grève du 24 janvier.
De même, les journées du 31 janvier et du 1er février de répression à la porte du congrès ont installé un dialogue presque direct place/palace en forçant la direction syndicale à ouvrir la porte et évoquer une grève de 48 heures, à confirmer. Un second facteur est le caractère différentiel de la mobilisation entre la capitale et le grand Buenos Aires (banlieue). De même, il ne faut pas oublier que la temporalité joue un rôle important dans cette dynamique qui peut se présenter plus ou moins avantageuse pour le gouvernement.
Néanmoins, toutes les forces institutionnelles gardent avec un zèle extrême une gouvernabilité fragile et dangereuse. Le kirchnerisme notamment, ne se mobilise pas du tout et craint plus le débordement populaire que le gouvernement d’extrême droite de Milei. Le facteur de stabilité est un danger et un problème puisque pour mettre en échec le plan de Milei, il faut une mobilisation de masse.
Préparer une rencontre nationale des travailleuses et travailleurs salarié.e.s ou au chômage, des assemblées du mouvement étudiant et du mouvement féministe
Dans le processus de lutte contre Milei, on rencontre aussi des facteurs dynamiques. Nous y reconnaissons deux entrées:
La voie démocratique, dont le débouché est éminemment politique, et la voie revendicative de la rue. Dans ce sens, le mois de février est une période transitoire puisque les voies citées peuvent converger entre le 8 et le 24 mars. Il s’ouvre une période d’enjeux importants qui peuvent faire basculer la caractérisation du gouvernement. La situation est ainsi d’une dynamique féroce qui peut passer de réactionnaire à prérévolutionnaire en un clin d’œil. Le gouvernement joue avec les résultats politiques, mais aussi économiques, car procéder à une nouvelle dévaluation est son moyen de pression du moment.
En faveur du gouvernement, il y a l’inégalité dans la réponse à la lutte et dans le cheminement des événements. Aujourd’hui, il est plus facile de parler de démocratie que de revendications. Bien que le centre d’intérêt de ces journées était le parlement, qui concentrait l’agenda politique, il est très possible qu’à partir du mois de mars les revendications commencent à occuper le devant de la scène et que les deux éléments convergent.
C’est pourquoi il est nécessaire de préparer une rencontre nationale des travailleuses et travailleurs salarié.e.s ou au chômage, des assemblées du mouvement étudiant et du mouvement féministe. Une rencontre de caractère global, non seulement revendicative, mais aussi politique, qui contient logiquement des aspects démocratiques et revendicatifs est indispensable. Parce que le problème qui se pose dans le pays n’est pas un problème économique mais un problème global, ce qui implique de rejeter l’ensemble du plan de Milei, et pas seulement l’aspect de l’ajustement. Pour cela, nous devons impliquer tous les secteurs de la société, à ceux à partir desquelles la confrontation avec Milei est organisée et préparée, et commencer par contester le leadership de la bureaucratie.
Actuellement, la dynamique est très vertigineuse et la classe ouvrière doit encore rentrer pleinement dans la bagarre pour contester la globalité du plan de Milei. Nous nous approchons d’une confrontation semblable à celle de l’Argentinazo [révolte populaire du 19 et 20 décembre 2001. En pleine crise économique, des milliers d’argentin.e.s prennent la rue et provoquent la démission de cinq présidents successifs en deux semaines]. mais avec une gauche qualitativement plus préparée pour la bataille.