Le 19 mars dernier, sur Twitter, le groupe des sénateurs LR voulaient donner “l’alerte” sur “l’explosion” des séjours hospitaliers pour “transsexualisme” les dix dernières années, se fondant sur les chiffres des hôpitaux de Paris qui concernent les adultes et qui paraissent ridiculement bas comparés à la population trans en France (1615 hospitalisations en 2020 contre 536 en 2011). Les sénateurs annonçaient, dans la foulée, avoir terminé une enquête parlementaire sur la prise en charge des enfants trans et l’intention de déposer une proposition de loi “avant l’été” pour “restreindre la transition de genre avant la majorité”.
Le sujet apparaît comme absolument capital dans le moment si l’on écoute les élus de droite. Pourtant, l’arrivée massive de jeunes trans dans les services médicaux n’est pas observable. Difficile de connaître la population des enfants trans, mais selon une étude, ils ne seraient que 0,73% des 15-19 ans au Canada. En croisant cette statistique avec des données de l’Insee, nous pouvons estimer qu’il y avait 36 000 enfants trans de 12 à 17 ans en France en 2020, dont seulement 294 sous Affection Longue Durée (ALD) pour “transidentité”, donc sous suivi médical. Les élus LR ont tout de même décidé de mener la guerre à cette population si petite et vulnérable.
Une loi très sévère et dangereuse
Dans un entretien donné au Figaro, la future rapporteuse du texte, la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio a détaillé les propositions de son groupe. Sur le plan médical, les sénateurs veulent interdire les opérations de réassignation sexuelle. Or, en France, ces opérations sont déjà interdites. La seule pratiquée sur les mineurs de plus de 16 ans est la torsoplastie (ablation des seins et reconstruction d’un torse masculin) avec l’accord des deux parents. Dans les faits, elle est très peu répandue, seulement 48 interventions de ce type ont été faites sur des mineurs en 2020. Ils souhaitent également l’interdiction des prescriptions d’hormones sexuelles et des bloqueurs de puberté. Les hormones sont elles aussi interdites aux mineurs de moins de 16 ans et sont très peu distribuées, l’accord des deux parents étant obligatoire. Pour avoir accès aux bloqueurs de puberté, les adolescents doivent impérativement être sous ALD. Une étude du collège universitaire de Londres rappelle que ces bloqueurs ne font que retarder les effets de la puberté, c’est-à-dire, par exemple, le développement de la poitrine, la mue de la voix ou la prise de muscles, tant de caractéristiques physiques que les personnes trans pourraient avoir envie de modifier plus tard par des opérations lourdes. À noter que certains bloqueurs sont prescrits à des enfants cisgenres pour leur éviter une puberté trop précoce par exemple. Les délais supplémentaires accordés par les bloqueurs permettent aux jeunes trans plus de réflexions quant à l’apparence physique qu’ils souhaitent. Ils pourront ensuite soit commencer une thérapie hormonale, soit laisser leur puberté naturelle reprendre son cours. Le collège de Londres souligne que “la plupart des participants [à l’étude] ont déclaré se sentir plus heureux et plus à l’aise et ont déclaré avoir de meilleures relations avec leur famille, leurs pairs et avec leur propre perception du genre” et qu’ “aucun n’a décidé d’arrêter le traitement en raison de changements négatifs ou d’effets secondaires”. Le soulagement psychologique chez les adolescents trans que provoque la prise de bloqueurs semble faire diminuer de façon significative la tendance suicidaire très répandue chez les jeunes LGBTQI+. Les bloqueurs de puberté sont donc un outil essentiel pour permettre aux adolescents de vivre leur transition le plus confortablement possible. Les interdire serait les mettre en danger directement.
Malheureusement, la proposition de loi ne concerne pas que les transitions médicales mais aussi les transitions sociales. Les sénateurs veulent, entre autres, abroger la directive “Blanquer” de 2021. Cette directive incitait de façon non contraignante les établissements scolaires à accompagner leurs élèves en rappelant “les règles à suivre pour prendre en compte les élèves transgenres et partager les bonnes pratiques […] en vue de faciliter leur accompagnement et les protéger”. Elle demandait aux établissement de prendre en compte le genre revendiqué de l’élève sans justifications médicales et/ou psychologiques, de faire appliquer les pronoms et prénoms d’usage (avec l’accord des deux parents) par toute la communauté éducative (y compris sur les documents administratifs internes), de respecter les choix physiques et vestimentaires et de permettre, dans la mesure du possible, un accès sécurisé aux espaces intimes (toilettes, vestiaires, chambres…). Abroger cette directive déjà peu appliquée donne le droit aux établissements de discriminer leurs élèves trans en les appelant par leur prénom de naissance, en les sanctionnant pour une tenue ou une coupe de cheveux et en les exposant librement à la violence du harcèlement transphobe que beaucoup connaissent. Les jeunes trans seront donc privés de leur transition sociale qui peut passer par un changement de style vestimentaire et/ou capillaire, par l’utilisation d’un nouveau prénom et de nouveaux pronoms, et l’usage de nouvelles pratiques quotidiennes, et qui leur est souvent indispensable pour se sentir à peu près bien dans leur tête et dans leur peau.
Les sénateurs n’ont pas pu passer à côté du mal-être des enfants trans pendant leur enquête. Ils ont d’ailleurs auditionné le pédopsychiatre David Cohen qui a insisté sur la souffrance des jeunes qu’il reçoit, et qui préconise une marge de manœuvre médicale pour répondre à cette souffrance. Alors, pourquoi interdire les transitions aux enfants ? Parce qu’ils pourraient “regretter plus tard”. Il est pourtant observé que les cas de retour en arrière sont rares et qu’ils ne sont pas toujours le fruit d’un regret, mais souvent d’une pression sociale et familiale ou simplement d’une nouvelle envie de changement.
De plus, une fois toutes ces restrictions appliquées, que faire face à la souffrance des jeunes trans ? Les sénateurs ont leur réponse. Il leur faut être accompagnés par des pédopsychiatres. D’une part, c’est déjà le cas. D’autre part, cette proposition d’une “approche multidisciplinaire et empathique” n’est pas neutre venant de la droite réactionnaire.
Jacqueline Eustache-Brinio insiste sur le fait que ce mal-être n’est qu’un “malaise psychologique” et qu’un “accompagnement adéquat” permettrait aux jeunes de ne pas “nécessairement changer de sexe”. En clair, il s’agit de convaincre les jeunes trans qu’ils ne le sont pas, c’est-à-dire faire perdurer les thérapies de conversion pourtant interdites depuis janvier 2022.
Un projet particulièrement réactionnaire
Cette proposition de loi est la démonstration du monde réactionnaire dont rêvent la droite et l’extrême droite. L’Association de Santé Communautaire Trans et Féministe (ACCEPTESS-T) nous alerte: il s’agit du projet de loi le “plus transphobe d’Europe”. Même la Suède, la Grande-Bretagne ou la Finlande, qui sont pourtant des modèles pour l’extrême droite française, ne sont pas allées si loin.
Les élus de droite français se rapprochent des États trumpistes aux Etats-Unis qui interdisent les transitions aux mineurs, criminalisent les soignants qui aident les jeunes trans et retirent la garde de leurs enfants aux parents qui les laissent transitionner. Et ne nous trompons pas, s’attaquer aux enfants n’est que la première étape. L’ACCEPTESS-T nous dit bien que cette loi à pour but “l’élimination […] de la communauté trans, en commençant par les plus vulnérables : les enfants”.
Les Républicains comptent jouer sur la panique morale qui se crée autour de la question des enfants pour ensuite pouvoir remettre en cause plus facilement les droits de la communauté trans dans son ensemble, mais aussi des minorités de genres et des femmes.
Cette vision est une vision globale où les minorités de genres n’existent pas et où les femmes ne disposent pas librement de leur vie. L’ACCEPTESS-T nous rappelle que “c’est par cohérence idéologique que Mme Eustache-Brinio a voté contre l’interdiction des thérapies de conversion anti-LGBTI et contrela constitutionnalisation de la liberté d’IVG”.
La préoccupation des Républicains est une préoccupation idéologique et non pas médicale, comme ils tentent de l’expliquer. Sinon, ils écouteraient davantage les médecins. Sinon, ils auraient attendu les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé qui travaille depuis un an et demi sur de nouvelles propositions d’accompagnement des personnes trans, mineurs inclus, et qui devrait communiquer d’ici la fin de l’année.
Cependant, elle ne semble pas partie pour préconiser la répression des personnes trans. Les réactionnaires l’ont bien compris et prennent donc de l’avance.
Camarades, le vieux monde tente de survivre, mettons lui la tête sous l’eau une bonne fois pour toute !
Sources :
Twitter LR : https://twitter.com/lesRepublicains/status/1770147075071541629
Blog Médiapart (Claire Vandendriessche) : https://blogs.mediapart.fr/claire-vandendriessche/blog/200622/combien-de-jeunes-trans-en-transition-medicale-en-france
Interview au Figaro : https://republicains.fr/actualites/2024/03/19/jacqueline-eustache-brinio-ces-enfants-risquent-de-prendre-des-decisions-parfois-irreversibles/
Collège universitaire de Londre : https://www.them.us/story/puberty-blockers-help-trans-teens-feel-happier-and-healthier-study
Directive Blanquer de 2021 : https://www.education.gouv.fr/bo/21/Hebdo36/MENE2128373C.htm
Twitter LR : https://twitter.com/lesRepublicains/status/1770147075071541629
ACCEPTESS-T sur Twitter : https://twitter.com/acceptesst/status/1770119281725870305