« Il y a des hommes qui luttent un jour et ils sont bons, d’autres luttent un an et ils sont meilleurs, il y a ceux qui luttent pendant de nombreuses années et ils sont très bons, mais il y a ceux qui luttent toute leur vie et ceux-là sont les indispensables. » (Bertolt Brecht)
Jusqu’à la fin de ses jours, Nora Cortiñas a été une dirigeante de la Ligne Fondatrice des Mères de la Place de Mai, une figure de la lutte pour la vérité, la mémoire et la justice. Nous célébrons sa vie et son combat. Son combat rappelle aux nouvelles générations que les pages de l’histoire continuent de s’écrire, que la lutte se poursuit contre l’impunité d’hier et d’aujourd’hui.
Jusqu’à la fin, Norita a maintenu son indépendance politique vis-à-vis de l’État et des partis capitalistes et n’a donc jamais été indifférente à une quelconque cause. Dans les premières années du XXIe siècle, une discussion traversée les organisations de défense des droits humains, qui se battaient pour de la mémoire, de la vérité et de la justice. Après la rébellion de 2001, le kirchnerisme a voulu « institutionnaliser » ces organisations, leur retirer leur indépendance politique vis-à-vis des gouvernements. Norita a été à la tête de celles qui ont décidé de se maintenir indépendants coûte que coûte. Ainsi, jusqu’à la fin, elle a été de toutes les luttes. Non seulement contre l’impunité des militaires génocidaires, mais aussi pour les travailleurs, contre le paiement de la dette extérieure, pour les droits des peuples indigènes, pour le droit à l’avortement, etc. Elle a participé à toutes les manifestations qui ont eu lieu chaque jeudi sur la Place de Mai, à partir de l’année 1977, en pleine dictature militaire. A partir de ce moment, elle a su se rendre à chaque lutte contre l’injustice.
Lorsqu’elle a dû répondre à une interview sur le sens du foulard blanc, elle a dit que c’était le symbole de « la lutte contre l’injustice, contre l’oubli, contre le silence ». Et s’il y a quelqu’un qui n’est pas resté silencieux et qui a continué à se lever et à dénoncer chaque outrage, c’est bien Norita. Son engagement passait par accompagner chaque lutte.
« Du côté Norita de la vie » est devenue une expression populaire sur les réseaux sociaux parmi les nouvelles générations qui l’avaient comme référence. Car en cas de doute sur un positionnement politique juste, il suffisait de regarder où se situait Nora Cortiñas.
« Je suis Nora Morales de Cortiñas, cofondatrice et membre du mouvement Mères de la Place de Mai – Ligne Fondatrice. Je suis née à Buenos Aires, en Argentine. J’ai donné naissance à deux fils. L’un d’eux, Gustavo, a disparu. Il y a peu de temps, mon mari est décédé. Mon mariage a duré 50 ans. J’étais une femme traditionnelle, une maîtresse de maison. Je me suis mariée très jeune. Mon mari était un homme patriarcal, il voulait que je me consacre à la vie de famille. À l’époque, j’étais professeur de haute couture et je travaillais sans quitter ma maison, en apprenant à coudre à de nombreuses jeunes femmes. Je vivais tout très naturellement, comme mes parents m’avaient élevée ». (« El Movimiento de Madres de Plaza de Mayo » par Mabel Bellucci dans Fernanda Gil Lozano et autres, Historia de las Mujeres en la Argentina. Volume II. Editorial Siglo XX, 2000)
Le 15 avril 1977, à la gare de Castelar, la dictature génocidaire a enlevé son fils Carlos Gustavo Cortiñas, étudiant en économie à l’université de Buenos Aires et militant des Jeunesses péronistes. Il travaillait à la Villa 31, dans le quartier de Saldías, aux côtés du père Carlos Mugica. Cela a changé le cours de sa vie pour toujours.
« Certains d’entre nous ne savaient rien, d’autres avaient des expériences plus formatrices. Il y avait quelqu’un qui avait échappé au nazisme, une autre mère qui avait été syndicaliste, nous avons appris les uns des autres et nous nous sommes organisées sans avoir d’idée précise, si ce n’est la nécessité de frapper à toutes les portes. Nous avons fait des lettres et nous les avons portées, nous étions confiantes dans notre capacité à exiger, nous étions des mères avec des couches sur la tête parce que certaines d’entre nous s’étaient retrouvées avec des bébés à s’occuper. Les pères étaient coopératifs, mais ils n’auraient pas pu faire ce que nous avons fait. Je n’avais pas peur, j’avais juste peur que ce que je faisais fasse du mal à Gustavo. »
Au fil de sa vie et des années, elle est devenue une référente qui transmet à travers l’exemple comment faire face à l’injustice. Elle était la mère de Gustavo et de Marcelo, mais tous les militants la ressentent comme une mère, comme la mère de toutes les batailles.
Dans les manifestations annuelles du 24 mars et dans toutes les actions et les causes pour la justice, nous aurons besoin de ces mots de conclusion, toujours prononcés par Norita Cortiñas : « 30 000 détenus disparus, présents. Jusqu’à la victoire, toujours ! Nous vaincrons. »
Lors de la présentation de la biographie « La mère de toutes les batailles » écrite par Gerardo Szalkowicz, elle a revendiqué son fils Gustavo, les 30 000 détenus disparus, mais également la cause féministe et le non-paiement de la dette extérieure.
Elle n’a pas cessé d’élargir l’horizon de ses combats. Plusieurs décennies après être devenue l’une des dirigeantes des Mères de la Place de Mai, elle a déclaré à propos du début de sa lutte : « C’était un geste féministe, parce que nous avons toutes quitté la maison. Je l’ai quittée sans aucun doute, je savais que je devais partir et je l’ai fait sans consultation. Au fil des ans, je me suis rendu compte que ce geste était féministe parce qu’à l’époque, je ne savais même pas ce qu’était un féministe. Je pensais que cela signifiait être contre les hommes et j’en avais deux chez moi. »
Nous pleurons sa mort et nous célébrons sa vie : Norita Cortiñas est présente, aujourd’hui et pour toujours dans nos mémoires et dans nos luttes !