
Déclaration du courant international Socialisme ou Barbarie, le 26 septembre 2024.
Rédaction : Federico Dertaube. Traduction : Ella Bailleul, Marie Solet. Disponible en espagnol et portugais.
Ce qui ressemblait à une opération futuriste avec l’explosion des bipeurs des membres du Hezbollah menace de se transformer en une agression militaire directe du sionisme au Liban. Le bombardement de Beyrouth est la suite directe des massacres de Gaza, tant sur la forme que sur le fond. Les images de civil.e.s tué.e.s dans les bombardements israéliens font le tour du monde.
Les routes de la capitale libanaise sont encombrées de civil.e.s qui tentent de fuir. Le gouvernement Netanyahou utilise les mêmes méthodes qu’à Gaza depuis près d’un an. Il met en garde la population civile pour l’obliger à se déplacer en masse, puis passe au massacre des civil.e.s.
Tout comme les provocations contre l’Iran, l’agression sioniste au Liban menace de transformer toute la région en zone de guerre. Les conséquences potentielles d’une escalade sont incalculables, non seulement pour le Moyen-Orient, mais aussi pour le monde entier. Le gouvernement Netanyahou ne cesse de jeter des allumettes dans un énorme tonneau de poudre.
Israël, le Liban et le Hezbollah
Les agressions contre le Liban sont la continuation du génocide palestinien pour de nombreuses raisons.
La politique systématique d’épuration ethnique menée par Israël à l’encontre des Palestinien.ne.s n’est pas seulement une autre caractéristique de l’État sioniste, c’est un élément nécessaire de son existence, inséparable du projet sioniste. La création d’un État ethnique purement juif dans un endroit où la population juive était très minoritaire signifiait dès le départ que la population majoritaire et originelle de la Palestine historique était rayée de la carte. Nul ne peut être citoyen à part entière d’un État ethnique comme Israël s’il n’est pas juif. Un projet d’État ethniquement « propre » est similaire à celui des nazis à bien des égards, et ne peut exister sans les méthodes des nazis. Le nettoyage ethnique dans un pays issu de la colonisation est une condition nécessaire à son existence.
Quel est le rapport avec le Liban ? Ce petit pays d’un peu plus de cinq millions d’habitants, situé au nord d’Israël, est une zone contestée par de multiples influences extérieures. Lors de la désintégration de l’Empire ottoman, il est tombé entre les mains de la France, qui y a établi son mandat, comme les Britanniques l’ont fait en Palestine.
Il accède à l’indépendance en 1943 et son État est formé dans le cadre d’un pacte entre les élites des principales organisations religieuses, représentant les confessions majoritaires du peuple libanais. Ainsi, constitutionnellement, la présidence doit revenir à un chrétien maronite (sorte de branche arabe de l’Église catholique), le premier ministre doit être un musulman sunnite et le président de l’Assemblée nationale doit toujours être un musulman chiite. Les autres groupes religieux nationaux du pays (druzes, chrétiens orthodoxes, chrétiens arméniens, etc.) ont des représentations mineures.
Le Liban est donc un cas étrange d’État « poly-national ». Les organisations nationales-religieuses dominent la vie civile et politique, des plus hauts niveaux du gouvernement aux plus petites institutions. Le pays a également été historiquement un point de connexion entre le Moyen-Orient et l’Occident. Pour avoir été le centre de la finance internationale dans la région, pour sa prospérité économique et sa culture largement laïque, il a été appelé « la Suisse du Moyen-Orient ».
La domination française continue également d’avoir une forte influence : l’État et les entreprises libanaises comptent de nombreux fonctionnaires formés en France et parlant couramment le français. Le français est l’une des langues officielles du pays. Parallèlement, le Liban faisait partie de la région administrative ottomane de la Syrie historique, de sorte que le nationalisme syrien est une force politique majeure. Israël et la Syrie (elle-même alliée de l’Iran) ont occupé militairement d’importantes régions libanaises pendant des décennies.
Le fragile équilibre politique et religieux a été rompu par la guerre civile de 1975. Jusqu’alors, les groupes religieux avaient cohabité dans une paix presque totale au sein d’un même pays. Les déplacements massifs de Palestinien.ne.s, en particulier en 1948 et 1967, ont fait craindre aux élites arabes chrétiennes de perdre leur majorité. Le Liban devient également le principal théâtre d’opérations de la résistance palestinienne, représentée à l’époque par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui dirige aujourd’hui la Cisjordanie.
La guerre a commencé par l’offensive d’une milice chrétienne ouvertement fasciste, la Phalange libanaise, contre l’OLP.
Elle s’est transformée en un conflit sanglant où toutes ces questions étaient en jeu : la majorité nationale et religieuse au sein du gouvernement de l’État, les relations avec l’impérialisme occidental, les relations avec la Syrie… et la cause palestinienne. Les Palestinien.ne.s déplacé.e.s représentent aujourd’hui près de 10 % de la population libanaise et pèsent donc un poids non négligeable.
Israël est intervenu dans cette guerre en soutenant les troupes chrétiennes. Dans un acte de cynisme féroce de la part d’un État qui prétend parler au nom des victimes de l’Holocauste, c’est sous couverture sioniste que la Phalange fasciste a perpétré les massacres de Sabra et Chatila. Plus de 3 000 Palestinien.ne.s ont été assassiné.e.s dans un pogrom semblable à celui des nazis contre les Juifs en Europe. Les camps de réfugiés où le massacre a eu lieu étaient sous occupation israélienne, et ce sont les troupes sionistes qui ont laissé agir les fascistes. Même une commission d’enquête du Parlement israélien, la Knesset, a établi qu’Ariel Sharon était responsable des massacres et a « recommandé » qu’il soit démis de ses fonctions de ministre de la défense. Sharon n’a pas seulement occupé des postes ministériels pendant des décennies après les massacres : il est devenu Premier ministre en 2001. Le sionisme a ainsi récompensé un ami des massacres fascistes.
En 1982, Israël était intervenu directement avec ses « forces de défense », occupant le Sud-Liban. Ses troupes ont maintenu l’occupation pendant 18 ans et se sont retirées en 2000. Jusque-là, une seule faction nationale-religieuse n’avait pas eu sa propre milice dans cette guerre : les musulmans chiites.
Il s’avère que les chiites étaient majoritaires précisément dans la zone occupée par les sionistes. Quelques années auparavant, un nouveau régime fondamentaliste chiite avait vu le jour, l’actuelle République islamique d’Iran. Son gouvernement a contribué à la création et à la formation des milices qui ont affronté l’occupation israélienne au Sud-Liban. C’est ainsi qu’est né le Hezbollah.
La guerre civile libanaise s’est terminée par un accord entre toutes les factions en 1990. Les milices ont déposé les armes et sont aujourd’hui des partis politiques au pouvoir. La coalition gouvernementale (majoritairement chrétienne et musulmane sunnite) est anti-syrienne et pro-occidentale. La minorité parlementaire (dont fait partie le Hezbollah) est pro-syrienne (et pro-iranienne).
Toutes les factions se sont mises d’accord sur le désarmement des milices et toutes les factions se sont mises d’accord sur le fait qu’il y en a une qui ne déposera pas les armes : le Hezbollah. Le fait est que la milice chiite intervient et constitue un parti de masse dans la zone anciennement occupée par Israël, ce qui représente une menace existentielle pour l’ensemble du Liban, dont elle constitue un tampon militaire à la frontière méridionale.
Le Hezbollah n’est pas seulement une milice et un parti, c’est aussi une organisation quasi-étatique d’autodéfense libanaise. C’est pourquoi les chrétiens et les sunnites, les pro-occidentaux et les pro-iraniens ont fini par accepter son existence. En tant que parti de masse, il s’agit d’une organisation de guérilla, et non d’une organisation « terroriste ». Les États-Unis et Israël imposent cette étiquette à tous leurs ennemis dans la région. Les états-uniens et les sionistes sont infiniment plus sanguinaires et habiles à tuer des civil.e.s que des organisations comme le Hamas et le Hezbollah. En outre, le Hezbollah a abandonné l’appel à une « République islamique » de son programme pour exiger un État laïque « démocratique » fondé sur la « volonté de la majorité », éliminant le partage du pouvoir en fonction des croyances religieuses.
Tant l’impérialisme classique d’Europe occidentale que l’Iran et la Syrie (soutenus par la Russie) peuvent exercer leur influence semi-coloniale en coexistant avec l’État libanais. Mais le projet sioniste, allié aux États-Unis, est un projet de colonisation « classique », de destruction d’États et de déplacement de populations. Le Likoud, parti de droite, revendique le Liban, la Jordanie, Gaza et la Cisjordanie comme faisant partie du « Grand Israël ». Et le Likoud est le parti de Netanyahou.
Le danger d’une guerre régionale : agression sioniste, stratégie terroriste
Le gouvernement israélien actuel a été formé après plusieurs années de crises ministérielles et gouvernementales. Le sionisme ne parvenait pas à stabiliser un cabinet. Netanyahou a mis fin à cette crise en créant l’alliance actuelle entre son parti, le Likoud, et les groupes les plus extrémistes de la politique israélienne. Certains d’entre eux proclament ouvertement qu’ils veulent l’extermination totale des Palestinien.ne.s. Emichai Eliyahu, ministre du Patrimoine, a déclaré qu’il fallait lancer une bombe atomique sur Gaza.
Le statu quo était jusqu’à présent l’utopie réactionnaire de la « solution à deux États ». Israël restait le seul État, mais Gaza et la Cisjordanie bénéficiaient d’un semblant d’existence indépendante. Le nouveau gouvernement entend mettre fin à toute prétention de « démocratie » et de coexistence avec les Arabes. Il voulait commencer par la réforme judiciaire qui lui donnait tout pouvoir sur la nomination des juges. Une fois cette tentative avortée, ils ont utilisé le 7 octobre pour faire avancer leur projet génocidaire sur Gaza et la Cisjordanie.
Mais il est impossible que le projet de colonisation et d’extermination s’impose pleinement sans une crise politique dans toute la région, et sans une réponse massive. Les gouvernements arabes et l’Iran ont été pour le moins timorés ces dernières années, mais la marge de manœuvre s’amenuise. Personne ne croit que le projet de colonisation prendra fin en Palestine. À commencer par les ministres de Netanyahou, qui proclament ouvertement leurs intentions expansionnistes.
L’Iran a répondu à l’agression par une tactique d’apaisement et d’attente, après une réponse militaire de faible intensité et sans victimes. Mais le Liban est à la porte d’Israël. Ni le Hezbollah ni le gouvernement libanais n’ont de place pour les tactiques iraniennes. En même temps, ils craignent l’escalade, car une attaque militaire sioniste directe contre eux signifierait que le génocide se poursuivrait de Gaza à Beyrouth. Cela a déjà commencé.
Par l’attaque des bipeurs, Israël a démontré qu’il dispose, avec le soutien des États-Unis, d’une supériorité militaire et technologique écrasante sur le Hezbollah. Mais le Hezbollah est aussi probablement la force militaire la mieux préparée du monde arabe, qui aurait également l’avantage d’agir sur son propre sol. Mais les guerres sont « la continuation de la politique par d’autres moyens ». La supériorité militaire sioniste ne suffit pas ; Netanyahou doit créer les conditions politiques d’une agression directe sur le Liban. Ses réservistes sont déjà profondément épuisés après près d’un an de destruction à Gaza. Dans le même temps, un front intérieur s’est déjà ouvert pour eux, avec des manifestations de masse centrées sur Tel-Aviv. Plus important encore, les mobilisations internationales de solidarité avec la Palestine, qui font partie de la scène mondiale depuis la fin de l’année dernière, ont déjà éclaté.
L’équilibre militaire et politique est très fragile. Israël a besoin de l’implication directe des États-Unis pour étendre la guerre au Liban et approfondir le génocide à Gaza et en Cisjordanie. C’est pourquoi Netanyahou spécule également sur les élections américaines. S’il pense que Trump peut gagner, il peut essayer de maintenir plus ou moins la situation actuelle afin de lancer une offensive après les élections. L’administration Biden a perdu une partie de sa base sociale en raison de son soutien inconditionnel au génocide sioniste. La prolongation de la guerre pourrait l’obliger à retirer une partie de son soutien. Dans l’éventualité d’une victoire de Harris, Netanyahou doit intensifier la guerre maintenant, afin de forcer le soutien américain plus tard. La principale base militaire américaine au Moyen-Orient est Israël lui-même ; les Etats-Unis ne peuvent n’y ne veulent cesser de le soutenir.
L’analyste Gilbert Achcar explique que la stratégie militaire d’Israël au Liban sera la « doctrine Dahiya », déjà utilisée lors de l’attaque du pays en 2006 : « Cette doctrine vise à dissuader quiconque a l’intention d’affronter Israël en menaçant d’infliger un niveau élevé de violence dans des zones habitées par la population civile à laquelle appartiennent ceux qui nourrissent cette intention, comme cela s’est produit dans la banlieue sud de Beyrouth en 2006, qui est la principale zone où se concentre la base populaire du Hezbollah ».
Il s’agit d’une stratégie de contrainte par la terreur, d’un massacre aveugle de la population civile, d’une stratégie terroriste. De la même façon, l’aggravation du carnage est une fuite en avant, sans objectif militaire clair autre que le massacre lui-même. Si Israël a déjà échoué à « vaincre définitivement le Hamas », il ne peut pas échouer lamentablement s’il tente la même chose avec le Hezbollah. Il est impossible de vaincre « définitivement » par des moyens militaires des organisations politiques que de larges masses considèrent comme un moyen d’autodéfense sans éradiquer totalement et complètement ces masses de la surface de la terre. Cela ne peut se faire que par des moyens politiques. Et Israël est manifestement incapable de convaincre un seul Arabe.
La menace qui pèse sur le Liban est de faire franchir de nouvelles frontières au génocide. Elle peut également bouleverser tous les équilibres dans la région, forçant l’intervention de forces régionales, telles que l’Iran, qui sont des alliés de la Russie et des ennemis des États-Unis.
Le danger qui pèse sur le Moyen-Orient, celui d’une guerre régionale et d’une extension du génocide sioniste, est celui d’une catastrophe, d’une barbarie impérialiste. La mobilisation de masse a déjà conditionné Israël et l’impérialisme qui le soutient, la mobilisation internationale de masse pour la fin du génocide et contre la guerre est la seule chose qui puisse arrêter une immense calamité, qui mettrait le monde entier sous tension. La seule solution à long terme est de mettre fin au projet colonial raciste d’Israël : pour une Palestine unique, laïque, non raciste et socialiste. Palestine libre !