Beaucoup de femmes, et parmi elles, beaucoup de victimes ressentent de la peur, du dégoût et de l’indignation du traitement accordé à Gisèle Pelicot par les avocats de la défense et par le procès en général, avec une remise en question constante de sa parole.
Le 18 septembre elle a pu s’exprimer très clairement “Depuis que je suis arrivée dans cette salle, je me sens humiliée. On me traite d’alcoolique”, déplore-t-elle, évoquant l’abjecte défense de certains accusés, qui affirment qu’elle se trouvait “dans un état d’ébriété tel [qu’elle] ne [se] rend pas compte qu’on [la] viole”. Et d’ajouter, plus remontée que jamais : “Il faut avoir un degré de patience pour supporter tout ce que j’ai pu entendre.”. Le 19 novembre elle prend encore un fois la parole pour dire qu’elle espère que le système patriarcal soit remis en question.
Encore un fois elle fait preuve d’une énorme détermination et clarté sur la violence qu’elle a subi et sur la re-victimisation que le procès judiciaire est en train de jouer sur elle. Elle a aussi pu exprimer lors de la diffusion des enregistrements vidéo qu’elle le fait pour elle et pour toutes, pour faire vraiment changer la honte de champ.
La question qui se pose est si la demande de justice adressée à la justice bourgeoise et patriarcale est un terrain propice ou outil pour les féministes révolutionnaires pour obtenir satisfaction aux revendications.
Un débat au sein du mouvement féministe
Dans le mouvement féministe il existe un débat ouvert sur la question de demander justice avec les moyens de la justice patriarcale et l’exercice de la violence carcérale qui est toujour sélective dans son application et qui reproduisse des biais de classe.
Tout d’abord, il faut aborder la question depuis le point de vue très concret de la personne concernée : c’est la victime elle-même qui en fait la demande, nous pouvons donc la soutenir et respecter son désir et volonté d’obtenir justice. Lui apporter notre soutien et solidarité, ici et ailleurs, de façon individuelle mais aussi de façon politique et internationale pour ce que son action représente pour des milliers d’autres.
L’outil judiciaire est d’une telle perversité que la vie de la victime devient le focus. Il a été déjà dit à plusiers reprises qu’il s’agit d’une façon de procéder qui ne se déclenche que dans des crimes et délits de violence sexuelle. Ni au commissariat ni au tribunal ne se pose la question à quelqu’un lors d’un cambriolage si le pantalon qu’il portait ne laissait pas croire aux cambrioleurs sa volonté de se faire désapproprier de ses biens.
Le procès Pelicot mets sur la table des élèments centrals de notre societé : les structures du patriactat qui donne la potentialité a tous types d’hommes et de façon très banale d’exercer des formes de violence sexuelle aberrants. L’obtention de justice pour elle met toutes les femmes dans de meilleures conditions pour vivre leur vie au quotidien et la conversation sociale, au niveau nationale et internationale, porte ses fruits sur la prise de conscience des éléments violents du système.
D’un autre part, pour justifier des positions contre la violence dans le milieu carcéral il est souvent cité la phrase de Audre Lorde “les outils du Maître ne détruiront jamais la maison du Maître”. Nous ne sommes pas d’accord sur le fait d’appliquer ce type de raisonnement à la lutte contre la violence faite aux femmes.
La question de diminuer le pouvoir pénal de l’État car il reproduit l’inégalité sociale et exerce une violence qu’il faudrait limiter au maximum est tout à fait légitime comme revendication en général. L’État bourgeois exerce sa domination par plusieurs moyens étant l’exercice de la violence légitime par l’État un des formes. Au cœur de la réflexion sur la réduction du pouvoir punitif accordé à l’État, il y a le questionnement des valeurs qui sont mises au sommet de notre société : la protection de la propriété privée à tout prix et la criminalisation de la contestation sociale du système.
Les crimes et délits de violence sexuelle ne reponds pas à 100% à cette logique. Pas seulement par la nature de l’agression commise, mais aussi par l’impunité dont bénéficient les agresseurs dans nos sociétés. Il s’agit de délits et crimes qui sont marginalement punis comme en temoignent les chiffres de condanations et de classement sans suite des plaintes pour viol et les reclassement en agression sexuelle. La société actuelle tolère cette violence, elle est un outil pour perpétuer la forme la plus cruelle de la domination masculine.
Si je pouvais être d’accord avec le fait que dans une société sans classes et sans oppression il nous faudra penser à différentes formes de résolution de ce type de violence, il faut reconnaître que nous ne sommes pas du tout dans une telle société à l’heure actuelle.
La lutte pour la justice comme moyen pour désamorcer des structures patriarcales
Réclamer justice ne veut pas dire s’ancrer dans le statut de victime et proposer comme seule place et rôle social aux femmes l’identité de victime. La lutte pour la justice entraîne la possibilité pour la victime de sa reconstruction, la sortie de la passivité de la victime et l’identité de combattante. Gisèle Pelicot en est l’exemple. Ses prises de parole sont de plus en plus fortes et elle ne se laisse pas mettre dans un rôle passif lors du procès. Pour elle, la quête de justice devient réparatrice et une action qui rétablit des choses, qui lui permet de construire une autre forme de vie, la vie possible après la violence, la sortie du silence et faire que la honte change de camp.
Sans lutte nous n’obtiendrons pas justice. La lutte pour la justice amène aussi à la prise de conscience des différentes formes de violence dont le système se sert pour perpétuer la domination.
Nous souhaitons que chaque femme puisse devenir combattante. Pas seulement de sa lutte individuelle mais de la lutte de classes et contre toute forme d’oppression et d’exploitation. Si cela commence par la lutte contre la violence, l’important sera que cela puisse s’approfondir aux autres sujets et comprendre la nature du système pour s’engager à lutter pour la révolution qui est de nature à transformer tous les rapports de domination, par l’action collective et consciente, pour une société sans exploitation.