Critique marxiste de la famille

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Article originalement paru en décembre 2009, dans la revue SoB 23-24. Traduction : Ale Vinet.

Introduction

Les délirants responsables du coup d’État honduriens ont publié dans les journaux que les gouvernements communistes de Chávez et Zelaya voulaient nationaliser les enfants. Si cette vieille idée que les communistes exproprient les enfants a été diffusée pour semer l’horreur parmi les « gens bien », nous pensons qu’aujourd’hui toute mesure à cet égard serait reçue avec grands applaudissements par beaucoup d’enfants du tiers-monde, qui ont désespérément besoin que la société trouve la façon de s’occuper d’eux.

Une des réussites du capitalisme a été de s’assurer que la reproduction de la forcé du travail soit effectué comme travail d’esclave par les femmes. Il y réussit via une énorme pression culturelle et retirant à la plupart des femmes la possibilité de leur indépendance économique. Sur cette base d’inégalité est fondée la famille. Mais quand la crise plonge dans la misère des couches de plus en plus grosses de travailleurs, avec ses séquelles de décomposition sociale, de violence et d’abandon, cette inégalité devient la base des féminicides qui s’étendent à travers la planète.

La famille est devenue l’endroit le plus dangereux du monde. Cela signifie que, sauf dans les situations de guerre, plus de gens sont attaqués à l’intérieur de son domicile par un membre de sa famille que par un étranger dans un lieu public. Parmi ces personnes, 78 % sont des femmes et 18 % des enfants.

Cependant, l’offensive en défense de la famille, contre les droits des femmes et des minorités sexuelles, dirigée par les secteurs de la droite politique, et de l’Église, transcende les messes et passe à la lutte politique directe. Touché par la crise mondiale, le capitalisme tente de réduire les dépenses de l’État (notamment les dépenses qu’il a dû faire en Amérique latine pour contenir les rébellions au début du siècle) en déplaçant la responsabilité des conséquences sociales de la crise, de l’État vers la sphère privée, la famille. Ainsi, les fléaux de la dégradation sociale, plutôt que de coûter de l’argent à l’État, ils ne coûteront que la vie des plus faibles et la ruine physique et psychologique de bon nombre.

Les gouvernements progressistes de l’Amérique latine facilitent cette opération. Leurs politiques sociales n’ont rien changé dans la situation des femmes dans la société. La reprise économique, pendant qu’elle a duré, ne leur a pas permises de s’échapper du chômage ou du travail le pire payé et informel ; le droit à l’avortement leur a été nié et les politiques de santé reproductive n’ont pas eu d’effet sur le nombre de décès par des avortements illégaux; les mécanismes policiers et judiciaires se sont révélés tout à fait incapables de contrôler ou de prévenir la violence contre les femmes; aucune statistique mesure le taux de chômage des femmes; aucun plan d’emploi ou logement n’a comme destinataire principal les femmes et il n’y a aucune politique d’État pour la création massive de garderies.

Et tant que ne surgisse un mouvement de lutte des femmes capable d’imprimer sa propre marque sur le mouvement ouvrier et populaire, les choses vont continuer ainsi.

 

I. A la recherche d’une stratégie

Après ce panorama général, allons vers un point de vue plus théorique. Au-delà des différences qui subsistent entre elles, l’incapacité des idéologies dominantes dans le féminisme d’aujourd’hui pour mettre en place un mouvement de lutte s’explique, à notre avis, par un « oublie » en ce qui concerne la notion de genre. Elles oublient que si la société impose aux femmes d’être d’une certaine manière, c’est pour les destiner à faire un certain travail. Et que cela fait à la constitution du genre féminin, non pas comme une somme de sujets individuels avec certaines caractéristiques, mais comme un sujet social : la femme est la mère de la société capitaliste, est celle qui réalise le travail de reproduction (garde et tâches domestiques) comme un travail non rémunéré, dans la sphère privée de la famille.

Bien sûr, beaucoup d’individus de sexe féminin, même de milliers d’entre elles à certaines périodes, peuvent choisir de ne pas être femmes dans le sens de ne pas accepter le « être » et le « faire » imposés par la société à leur genre, si elles disposent d’une série d’avantages économiques et culturels. Mais le problème demeure : qui fait le travail ?

Adam Smith disait que si la richesse était répartie entre tous de façon égale, personne ne voudrait travailler. Il s’agit du sens commun avec lequel la bourgeoisie justifie l’exploitation, ainsi que la quête impérialiste de nouveaux contingents des êtres humains à exploiter dans les pays dépendants : bien que la mobilité sociale (la possibilité des gens d’échapper de l’exploitation) soit souhaitable pour la démocratie, il faut toujours garder un secteur de la société en situation de travailler compulsivement, car sinon il n’y a pas de travail et la société meurt. Il a fallu créer une théorie pour une organisation non divisée en classes de la production, le socialisme scientifique, pour fournir au mouvement des exploités une stratégie supérieure pour l’ensemble de la société : abolir les classes pour mettre fin à l’exploitation en général.

Dans ce domaine-là il faut situer le problème. L’abolition de l’oppression de genre commence par abolir la division du travail entre les genres, qui est ce qui les constitue, en favorisant le plein accès des femmes à la production sociale et l’absorption par le collectif social des fonctions économiques actuelles de la famille, comme une branche de la production comme les autres.

C’est type de combats que refusent de mener les courants dominants de ce qu’on appelle aujourd’hui féminisme. Certains d’entre d’elles, avec leurs frères du post marxisme qui ont décrété la fin de la classe ouvrière et la naissance des identités multiples, ont décrété la fin de la femme et la naissance de plusieurs genres. D’autres disent qui mettre en lien l’oppression des femmes avec le rôle de la famille dans le système de classes nous sert nous, les marxistes, à nier la nécessité d’une lutte est spécifique pour les droits des femmes, car ces droits seraient obtenus après la révolution socialiste.

Nous pensons exactement le contraire : la compréhension du fait que l’oppression des femmes est fonctionnelle pour le système, est une condition indispensable pour que le mouvement des femmes existe, parce que comment est construit un mouvement contre l’oppression si on ne prend pas conscience des raisons de cette oppression, et la relation de cette oppression avec le reste du mécanisme social, identifiant ainsi nos ennemis et nos alliés ?

 

II. Les fonctions de la famille dans le capitalisme

« Les femmes qui travaillent dans les usines perçoivent généralement des salaires bien inférieurs à ceux des hommes et il y a eu des expressions de pitié envers elles à cet égard, basées dans une sympathie peut être peu judicieuse, étant donné que le bas prix de leur travail a tendance à les imprégner de l’idée que se conformer à leurs tâches ménagères est plus rentable et c’est aussi une activité plus agréable, ce qui empêche qu’elles ne se sentent tentées par l’usine, laissant la garde de leurs enfants et la maison. Ainsi, la Providence atteint son but » (Dr Andrew Ure, Philisophy of Manufactures)

Ci-dessus, nous avons dit que pour arriver à l’abolition de la division du travail entre les genres, il faudrait intégrer les femmes dans la production sociale et la société devrait absorber les tâches domestiques comme une branche de la production sociale. Avec la révolution industrielle, le capitalisme, à sa manière brutale, employant des millions de femmes et d’enfants dans les usines, « accompli » pendant un certain temps avec la première partie de ce programme : « Vers 1840 la majorité des travailleurs dans les usines britanniques étaient des femmes et des enfants. Les terribles conditions de vie et de travail que les employés souffraient ont détruit tout ce qui pouvait rassembler à une vie familiale normale ; et l’accès des femmes à leurs propres revenus leur a permis d’échapper à la nécessité du mariage. Cela a conduit beaucoup de gens (parmi lesquels Marx et Engels) à parler de la mort de la famille ouvrière » ; Mais le capitalisme n’a pas « accompli » la deuxième partie de ce programme « En fait, la famille a non seulement survécu, mais elle a fleuri, bien qu’avec une forme très différente. Le capitalisme dépendait d’une contribution sans interruption de main d’œuvre. Ceux qui dirigeaient le système se rendaient compte progressivement que la famille était la meilleure façon d’assurer cette contribution avec un coût minimum pour eux. Depuis le milieu du XIXe siècle ont été mis en place des tentatives conscientes de recréer une vie de famille stable parmi les classes laborieuses. Cela entraînait, en partie, l’exclusion progressive des femmes et des enfants de certaines zones de la production et le paiement d’un salaire de famille aux hommes. Les femmes ont été exclues, en particulier, des industries qui menaçaient leur capacité d’avoir des enfants ».

Les conseils du sympathique Dr Andrew Ure que nous avons cité, reflètent très bien cette période, quand le capitalisme s’est dédié consciemment à reconstituer une famille ouvrière où la reproduction de la force de travail (l’élevage des futurs travailleurs, en plus d’assurer la nourriture, les vêtements et les logements pour les travailleurs actuels) soit effectuée de la façon la moins chère possible pour le système.

À partir de là, le capitalisme a toujours oscillé entre ces deux besoins : utiliser les femmes comme armée industrielle de réserve (par exemple, en périodes de crise économique ou de guerre) et utiliser leur travail domestique gratuit pour réduire au minimum le salaire du travailleur.

C’est pour cela, quand la crise ou la guerre finissent, le système commence à exclure de la production les femmes et à y faire revenir les hommes. L’idée que la place de la femme est à la maison, ou que « elles prennent les emplois des hommes », fait que provoquer un important chômage féminin ait des coûts politiques plus faible que de provoquer un fort chômage masculin.

Il existe d’autres fonctions de reproduction que la famille assure : l’une est la reproduction des inégalités sociales. Les biens d’un propriétaire, lorsqu’il meurt, ne retournent pas à la société, ils se transmettent à ses enfants. Par le biais de la famille, la bourgeoisie assure l’accumulation de richesses de sa propre classe. Les enfants nés dans des familles dépossédées, n’ayant pour assurer leur avenir que les ressources de leurs parents, iront presque inévitablement rejoindre les rangs des salariés.

Une autre fonction très importante est la reproduction idéologique des valeurs de la société de classes, par le biais de la répression des nouvelles générations. Les bolcheviks au sein du gouvernement soviétique, par exemple, ont fait d’énormes efforts économiques et culturels pour remplacer l’organisation de la famille par d’autres formes plus communautaires, afin de libérer les femmes de l’isolation et de l’exploitation domestique et les intégrer dans la vie politique et sociale, et proposer à la nouvelle génération qui s’élevait dans l’État ouvrier un cadre moins oppressant et isolant pour l’éducation et l’enseignement. Parmi les premières mesures contre-révolutionnaires de la bureaucratie était la glorification de la « famille ouvrière » et la destruction de tous les droits des femmes travailleuses que l’État ouvrier avait promulgué, tels que le droit à l’avortement, puisque, disait la bureaucratie, « ayant atteint le socialisme, la femme soviétique n’a pas le droit de renoncer aux joies de la maternité ».

« Le recul prend des formes d’hypocrisie dégueulasse, et va beaucoup plus loin que ce qu’exige la dure nécessitée économique. La raison la plus impérative du culte actuel de la famille est, sans doute, le besoin éprouvé par la bureaucratie d’une hiérarchie stable des relations sociales et d’une jeunesse disciplinée par 40 millions de ménages qui servent de points d’appui pour l’autorité et le pouvoir. » (León Trotsky, La révolution trahie, 1936.)

La maternité compulsive et le contrôle des jeunes étaient des bases pour l’installation d’un régime qui, comme nous le savons maintenant, n’était pas une transition vers le socialisme « plus lente » ou « dégénérée », mais une transition vers la restauration du capitalisme.

 

III. L’abolition de la famille

« L’attitude marxiste face à la famille (…), l’idée que le système de la famille est une institution qui promeut l’oppression de classe et sexiste, peut donner à comprendre que les socialistes essaient de détruire le seul refuge qui reste à l’être humain. C’est le contraire de ce que défendent les marxistes. Notre but est de détruire le mode de vie dans lequel il faut se réfugier pour survivre. Notre objectif est de situer toutes les relations humaines sur la base du respect mutuel, l’égalité et l’affection véritable, abolissant le chantage économique et les inégalités sur lequel le système familial est construit (…). Éliminer la dépendance économique qui maintient groupée, par la force, à cette unité de base de la société en empêchant que des formes supérieures de relations humaines se développent. »

L’accès égalitaire des femmes à toutes les branches de la production sociale implique un accès égal à celui des hommes à l’indépendance économique. Ce serait déjà un grand pas en ce qui concerne le dépassement de l’oppression de genre : la pauvreté a le visage d’une femme, et nombreuses femmes supportent de la violence du fait qu’elles ne peuvent pas se soutenir économiquement elles-mêmes et à leurs enfants. Mais, en outre, l’accès égalitaire à la production rend nécessaire leur accès à l’éducation, à la syndicalisation et à la vie politique, renforçant leur capacité matérielle et psychologique de se faire respecter par les autres, individuellement et collectivement.

Mais pour que cette transformation puisse se réaliser sans ce qu’elle n’implique la surexploitation d’une double journée, le travail domestique ou une grande partie de celui-ci, doit aussi devenir production sociale, sous forme de crèches, de cuisines, cantines et laveries collectives, qui offrent des services avec une qualité égale au moins à celle atteinte aujourd’hui avec le travail privé. Et surtout : le bien-être matériel et le développement spirituel de tous les enfants, qu’ils aient ou non de parents, doit être la responsabilité et la tâche du collectif social. De toutes les cruautés et les absurdités du capitalisme, le pire est peut-être le fait que, dans un monde où même un crayon ou une tasse sont produits combinant le travail et la connaissance de beaucoup de gens, le destin d’une personne tombe en grande partie sur la capacité et la volonté des deux personnes.

Comme on le voit, de même que pour le marxisme en finir avec l’exploitation signifie beaucoup plus que « partager la richesse », en finir avec l’oppression de genre implique bien plus qu’un salaire pour les femmes au foyer ou que leur mari fassent la vaisselle : cela implique d’assurer que la participation de chacun dans la production et la reproduction ne dépende pas du tout de son sexe, et que la vie sexuelle et affective ne soit plus dictée par les besoins sociaux de production et de reproduction.

 

IV. La lutte contre l’hétéronormativité

Séparer la sexualité de la reproduction, supprime toutes les raisons d’être de la différenciation entre hétérosexuels et homosexuels et fournit une base cohérente pour la lutte unitaire des femmes et des « minorités sexuelles ».

Bien sûr que les marxistes soutiennent le droit démocratique au mariage entre personnes du même sexe comme le réclament les mouvements LGTBI dans de nombreux pays, mais nous n’avons pas la perspective que les gays et lesbiennes partagent les mêmes misères de la famille dans la société capitaliste que les hétérosexuels.

Par exemple, les misères de la marchandisation et la prostitution, toujours inséparables de la famille bourgeoise monogame et patriarcale. Le système capitaliste s’efforce de créer une apparence d’intégration des gays – en même temps qu’il tape sur le mouvement des femmes – en les plaçant comme des clients du marché : clubs, vêtements, tourisme, en présentant même les hôtels de luxe pour les bourgeois avec des « services de prostitution » à la chambre comme s’ils étaient une avancée dans l’égalité des droits. « Rejeter l’obligation des rapports sexuels et les institutions que cette obligation a produit comme nécessaires pour la constitution d’une société est tout simplement impossible pour la pensée hétéro (…). » Ainsi, lorsqu’elle est pensée par la pensée hétéro, l’homosexualité n’est qu’une autre hétérosexualité. »

Les politiques « d’intégration » bourgeoises, font des ravages dans la conscience collective et dans la situation des membres des « minorités » sexuelles, obligées de tenter d’échapper à la discrimination par le biais de rassembler autant que possible à la « majorité », c’est-à-dire, en démontrant qu’ils sont bons pour faire ce que le capitalisme attend des gens qui ont réussi : se marier et produire du profit. Le potentiel révolutionnaire de la lutte contre l’hétéronormativité est ainsi annulé. Il n’est pas surprenant que le système patriarcal ait réussi à coopter pour cette opération de marchandisation/mariage activisme gay masculin dans une plus grande mesure que les lesbiennes, où il y a plus de féministes.

L’utilisation même du terme « minorités » est une opération mensongère. Les non hétérosexuels constituent la majorité qui subit la répression sexuelle qui régit le système capitaliste patriarcal. La sexualité des femmes, quel que soit leur orientation sexuelle, a une marge si infime, que la moindre expression libre de son désir la jette immédiatement sur le territoire de ce qui est différent.

Au risque de nous faire accuser encore une fois de vouloir diluer la lutte des minorités (encore un péché des féministes socialistes selon l’Évangile queer), nous pensons que la lutte contre l’hétéronormativité fait partie de la lutte féministe, et nous nous battons pour l’unité des deux mouvements afin de lutter pour les revendications de tous, dans la stratégie commune de l’abolition de la famille.

 

V. Lutte de genre et lutte socialiste

« Parmi nos camarades, il y en a encore beaucoup dont on peut dire malheureusement : “grattez un peu le communiste et vous trouverez le philistin”. Certes, il faut gratter à l’endroit sensible : sa mentalité à l’égard de la femme. »
(V.I. Lénine)

Dans l’Espagne des années 1930, avant la Guerre Civile, une féministe réformiste appelée Clara Campoamor a entrepris une lutte parlementaire pour le suffrage des femmes dans son pays. Elle l’a obtenu, étonnamment, en s’appuyant sur les parlementaires de la droite contre ceux la gauche : en ce temps-là, le gouvernement de droite de Primo de Rivera avait besoin de montrer une ouverture démocratique pour rivaliser avec le mouvement républicain, et députés républicains-démocrates mais pas fanatiques ne voulaient pas du tout que les femmes votent, parce qu’ils considéraient qu’elles étaient très influencées par l’Église et ils craignaient que le suffrage féminin donne la victoire à la droite. Quand la droite royaliste a remporté les élections de 1933, tout le monde a dit que c’était la faute de Clara, qui a été expulsée de son parti (le parti Radical Socialiste) et désavouée par la quasi-totalité de la gauche parlementaire. L’année suivante, il y a eu des nouvelles élections, où les femmes ont évidemment voté et le Front populaire a remporté les élections par un marge supérieure à celui de la droite un an avant. Mais cela n’a pas fait que les démocrates espagnoles réhabilitèrent Clara, qui a fini ses jours exilée par les franquistes et abandonnée par ses coreligionnaires.

La facilité avec laquelle ces démocrates ont jeté à la poubelle leur revendication du suffrage universel à cause des calculs électoraux du moment, montre de manière nette comment la bourgeoisie construit ses politiques : de droite ou de gauche, la politique bourgeoise est pragmatique, elle n’a pas de principes. Et les premiers signes d’adaptation à la politique bourgeoise de la part des staliniens, des sociaux-démocrates et bureaucrates syndicaux est l’adoption de ce « pragmatisme » bourgeois : les principes sont très bien tant qu’ils ne nous compliquent pas la vie.

La vie des révolutionnaires espagnols était plutôt bien plus difficile que celle des députés « de gauche », mais ils néanmoins engagé toutes ses forces dans l’intégration des femmes dans la vie politique dans un pays où 80 % d’entre elles étaient des paysannes illettrées et le salaire de peu de travailleuses qui existaient était touché par leur mari. Ils ont construit toutes sortes d’organisations syndicales et culturelles des femmes et ont défendu leurs droits contre les fascistes, contre la bourgeoisie républicaine et contre le stalinisme, qui a interdit la participation des femmes dans la lutte armée lorsqu’il est intervenu dans la guerre civile pour détruire la révolution. Désarmer les femmes impliquait affaiblir les milices populaires qui ne se soumettaient pas à la direction bourgeoise.

Déjà Lénine et Clara Zetkin, quinze ans plus tôt, s’étaient heurtés au refus de leurs camarades européens lorsqu’ils ont été proposés de promouvoir l’organisation des travailleuses à partir de leurs propres revendications, en appelant à un « Congrès International de femmes sans parti » dans lequel devaient participer même les féministes bourgeoises, pour y défendre le programme révolutionnaire d’émancipation des femmes que l’État ouvrier essayait de mettre en place.

Et depuis les débuts du mouvement ouvrier, les révolutionnaires comme Flora Tristan ont dû se battre contre la tendance du mouvement syndical d’expulser les travailleuses car il considérait que leur entrée dans l’industrie baissait le salaire général, ce qui a fait que Flora a écrit son célèbre slogan : « La libération des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, et la libération des femmes sera l’œuvre des femmes elles-mêmes ».

Pas tous les processus révolutionnaires ont été accompagnés, comme la Guerre Civile Espagnole, par un fort mouvement féministe. Pas tous les dirigeants qui ont agi dans ces processus n’avaient la culture féministe de Flora, de Trotsky ou de Clara Zetkin. Mais dans tous ces processus, les révolutionnaires les plus conscients ont montré une grande préoccupation pour promouvoir la lutte des femmes pour leurs propres revendications, et quand ils ont échoué, ils ont considéré ceci que comme une limitation du mouvement révolutionnaire général. Il semble que dans le contexte de la révolution les principes prennent une tournure bien « pratique ». Loin des préjugés de quelques trotskistes d’autrefois qui considèrent que « féminisme divise la classe ouvrière et unit l’ouvrière et la bourgeoise », s’impose l’idée vraiment marxiste que l’unité de la classe ouvrière n’est possible que sur la base de la lutte pour libérer les plus exploités et opprimés de la classe, comme les femmes et les groupes ethniques et nationalités opprimées.

En ce qui concerne « l’unité de l’ouvrière avec la bourgeoise », ce « danger » existe dans toute lutte démocratique. Aucun marxiste, par exemple, n’oserait dire qu’il ne faut pas lutter pour la libération des colonies de l’impérialisme, parce que « cela unit les ouvriers coloniaux avec les bourgeois coloniaux ». Il nous semble que ce préjuge découle d’ignorer qu’il y a un programme ouvrier et socialiste de programme pour l’émancipation des femmes, qui s’oppose au programme féministe bourgeois, de même qu’il y a un programme ouvrier pour la libération nationale opposé programme nationaliste bourgeois, et que cette opposition n’exclut pas, mais exige plutôt des moments d’unité d’action et une politique de la part des révolutionnaires envers le mouvement dans son ensemble.

Mais le combat féministe n’est pas seulement une lutte démocratique. « La famille est le dernier bastion de la propriété privée », ont écrit Marx, Engels, Trotsky, etc… La bourgeoisie montre une grande subtilité en attaquant le marxisme sur ses positions sur la famille et la religion, quelque chose qu’elle fait déjà depuis l’époque du Manifeste communiste. Lorsque la remise en question du capitalisme parcourt le monde, la bourgeoisie, effrayée, se réfugie dans « le dernier bastion » conservateur, le lieu où les relations d’exploitation et d’oppression sont toujours bordées d’une aura morale, lorsque cette aura est déjà tombée dans l’économie, les institutions de l’État, etc…

Et dans les moments de transition vers le socialisme, c’est dans ces derniers bastions conservateurs, que la bourgeoisie se cache pour se réarmer ; deux d’entre eux préoccupaient grandement les bolcheviks au sein du gouvernement : la famille et la petite propriété, qui portaient en elles-mêmes le germe de la société de classe même si elles n’impliquaient pas de l’exploitation salariée.

Nous nous battons pour que le mouvement révolutionnaire, après des années de déformation stalinienne, récupère la « subtilité » de la lutte socialiste en tant que lutte contre toute oppression et violence, en luttant pour jeter l’oppression de genre à la même place que voulais Engels pour l’État : le Musée des antiquités, à côté de la roue de pierre et la hache de bronze.

Mais il reste encore une question. Si l’émancipation des femmes est une tâche socialiste, c’est-à-dire une tâche du mouvement ouvrier, pourquoi faut-il un mouvement spécifique de lutte contre l’oppression de genre ? Finissons cet article avec la belle réponse de Trotsky : « Vous pourriez vous demander quel sens a l’activité de votre organisation, si la situation de la mère et de l’enfant dépend en premier lieu du développement des forces productives du pays et seulement en deuxième lieu de la structure sociale (…). Toute structure sociale, même la structure socialiste, peut se trouver dans la situation d’avoir des moyens matériels pour réaliser certains progrès, mais sans toutefois réussir à les réaliser. Les traditions serviles, la stupidité conservatrice, le manque d’initiative pour détruire les anciennes formes de vie, se trouvent également dans la structure socialiste comme des vestiges du passé. Et la tâche de notre parti et des organisations sociales comme le vôtre est de détruire les coutumes et la psychologie du passé, et d’éviter que les conditions de vie soient maintenues à un niveau inférieur à celui que permettent les possibilités socio-économiques. »

Le développement des forces productives n’est pas nécessaire en soi. Il est nécessaire pour jeter les bases d’une nouvelle personnalité humaine, consciente, qui n’obéisse aucun maître sur terre, qui n’ait peur d’aucun Seigneur dans le ciel
; une personnalité humaine qui résume en soi le meilleur de tout ce qui a été créé par la pensée dans le passé ; qui avance de manière solidaire avec tous les hommes, qui crée des nouvelles valeurs culturelles, qui construise de nouvelles attitudes personnelles et familiales, plus élevés et plus nobles que celles qui ont existé sous l’esclavage des classes.

Lénine nous a appris à évaluer les partis de la classe ouvrière selon leur attitude envers les nations opprimées. Pourquoi ? Si nous prenons, par exemple, le travailleur anglais, il sera relativement facile de réveiller en lui la solidarité avec le prolétariat de son propre pays. Mais qu’il se sente solidaire avec un coolie chinois (travailleur agraire très exploité), qu’il le traite comme un frère exploité, ce sera beaucoup plus difficile, puisqu’il s’agira de rompre avec une carapace d’arrogance nationale solidifié pendant des siècles.

« De la même manière, camarades, s’est solidifié non pas pendant des siècles, mais pendant des millénaires, la carapace des préjugés du chef de famille vers la femme et l’enfant ; sachons que la femme est le coolie de la famille. Vous devez être le bulldozer moral qui détruise ce conservatisme enraciné dans l’esclavage, dans les préjugés bourgeois, et dans ceux de la classe ouvrière elle-même, qui, en cela, garde les pires traditions paysannes. Et tout révolutionnaire conscient se sentira obligé de vous soutenir de toute leur force. »

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