Fanon, un film clivant

Le film “Fanon” de Jean Claude Barny n’est pas passé inaperçu, ce qui est une très bonne chose. En effet, le film sorti le 2 avril, s’est vu boycotté par un assez grand nombre de salles de cinéma. Dans la suite de cet article nous chercherons donc à expliciter les raisons derrière ce boycott, éminemment politique.

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Fanon, sorti le 2 avril dernier dans quelques salles de cinéma, est un film plutôt moyen, à la fois pas assez politique pour les personnes politisé.es et pas assez cinématographique pour les cinéphiles. Le film reste malgré tout une porte d’entrée sérieuse pour faire connaître les idées et combats de Frantz Fanon, résistant français, penseur décolonial et militant du FLN (Front de Libération Nationale) pour l’indépendance de l’Algérie, et militant Panafricain. 

Bien entendu penser que les actions de Fanon ne puissent pas représenter un sujet clivant serait ne pas comprendre la portée de ses messages et de sa radicalité politique. Il a dénoncé la négrophobie, l’occupation française en Algérie, l’aliénation coloniale et sa barbarie impérialiste. Autant le public que l’industrie du cinéma ont été divisés à la suite de la parution de ce film.

 

Fanon et la question de l’aliénation dans le contexte algérien

L’entièreté du film se focalise sur la période de vie en Algérie de F. Fanon. En lien avec ses oeuvres, c’est le Fanon des Damnés de la Terre et non de Peau noire, masques blancs -malgré un petit clin d’œil du réalisateur dans la première partie du film – qui est mis en scène ici. 

Fanon devient un prétexte au fur et à mesure du film. A travers ses yeux, le film cherche à clarifier ce qu’étaient les fameuses “bonnes heures de la colonisation” -comme dirait M. Retailleau- et nous fait très vite comprendre toute l’horreur de cette période. 

C’est notamment à travers l’enceinte de l’hôpital de Blida où Fanon prend ses fonctions que la violence coloniale est illustrée. Des traitements infligés aux patients comme l’isolement forcé, la sous et malnutrition, les probables traitements de “faveur” leurs sont réservés. Tout cela pour une seule et même raison : le fait qu’ils soient algériens et non français blancs. 

A travers cette expérience à l’hôpital, Fanon démontre le principe d’aliénation coloniale. Tout le biopic essaie par ailleurs de mettre en scène ce concept que Fanon utilisait au sein de ses œuvres traitant de la colonisation. 

Ainsi, la barbarie de la colonisation est présentée comme un phénomène n’étant pas inhérent aux “peuples”, comme voudrait le faire croire les institutions française de l’époque par la déshumanisation constante de “l’autre” que ce soit du colon envers le colonisé ou inversement, et qui conduit à des actes inhumains. 

Comme le film le met en évidence par le général Roland qui, à cause du discours de déshumanisation constant, est conduit à commettre des actes de tortures qui finissent par le toucher psychologiquement, le rendant instable et inapte aux combats. 

Le film retrace aussi l’histoire de l’enfant qui, lui aussi soumis à la barbarie coloniale, finit par tuer un enfant de son âge -qui était pourtant son ami- parce qu’il était français. 

Ces deux histoires que raconte le film, se joignent pour témoigner le fait que la colonisation touche aussi bien le colon que le colonisé. La colonisation au même titre que le capitalisme aliène les personnes qui vivent au sein de cette société. Le colonialisme est au final aussi bien l’ennemi du colon instrumentalisé que du colonisé. 

Seulement, le colon lui, accepte de subir en raison d’une domination aussi bien économique que sociale sur l’individu qu’il doit opprimer. 

Le rôle du colonisé dans ce sens, selon Fanon, est de prendre le droit, si ce n’est le devoir, de se révolter. Ce film qui ne cherche pas à verser dans le manichéisme de la même manière que le discours que Fanon a tenu à le faire toute sa vie, ne pouvait que cliver son auditoire.

 

Une histoire de boycott ? 

Le boycott qu’a subi le film de la part des salles de cinéma s’explique par des raisons politiques et donne l’impression que l’entièreté des salles de cinéma aient été rachetées par Vincent Bolloré la veille de la sortie en salle. Le film a subi principalement le résultat de ce qu’il dénonce. La décolonisation des peuples est bel et bien arrivée et s’est produite, mais la décolonisation des esprits n’est pas encore acquise. 

Dans une France qui se radicalise de plus en plus vers la droite de l’échiquier politique, les discours nostalgiques de l’Algérie française et belliqueux envers l’Etat Algérien se banalisent de nouveau. 

Le film a peut-être été boycotté pour éviter une sorte de cataclysme médiatique et de bashing permanent venant de la part des Pascal Praud et autres réactionnaires journalistiques. 

Il se peut aussi que la biopic ait été contourné pour des raisons de censure, car ce dernier ne rentre absolument pas dans la dimension voulue du roman national mis de plus en plus en place par la classe politique française (notamment de droite et d’extrême droite) avec des discours du type de ceux de Sarkozy qui voulait réapprendre à l’école le “rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord”. 

La question du boycott du film se pose aussi à gauche. Dans les milieux décoloniaux et antiracistes, des débats sur le fait que Fanon pencherait plus sur l’antinégrophobie que du côté des Algériens ont été ouverts. Des débats racistes et de fierté raciale se font entendre et démontrent bien que le film ne se suffit pas à lui-même, et qu’il est nécessaire de se plonger dans les œuvres de Frantz Fanon pour bien comprendre toute l’ambivalence de la personne. 

 

Que retenir de Fanon ? 

En tant que révolutionnaires, ce que nous devons retenir de l’œuvre de Fanon, ce sont les analyses judicieuses de son époque, que nous devons nous réapproprier par rapport aux défis actuels de la société française.

Malgré tout, la question de l’indépendance de l’Algérie n’a toujours pas été digérée au sein de la société française, et est même devenue le fondement entier du racisme anti-arabe et islmophobe en France. 

Intégrer la question sociale d’une forme d’aliénation raciale en tant que marxistes est primordiale et structurante pour comprendre certains aspects de la société d’aujourd’hui. Car oui l’aliénation que l’ouvrier blanc subit n’est pas exactement la même que celle subit par l’ouvrier racisé.

Comprendre cette subdivision raciale de l’aliénation mais aussi de la classe prolétarienne française est primordiale pour le combat plus large de la future instauration d’une société communiste que nous voulons mettre en place. 

Fanon est un film à recommander à tout.e militant.e débutant.e ayant peu de notions d’antiracisme, ce premier contact pourrait permettre de mieux comprendre par la suite les œuvres de Fanon et autres penseurs antiracistes. Il ne faut toutefois pas se contenter du visionnage unique de ce film pour appréhender la pensée de Fanon. 

Malgré les nombreux boycotts, le film à réussi l’exploit de passer le cap des 100.000 entrées en France, et nous recommandons d’aller le voir en salle et partout où il est disponible.  

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