
Ce conflit a éclaté en 2023, opposant les forces paramilitaires et l’armée nationale dans la région du Darfour. La crise humanitaire découle d’une profonde crise politique qui a suivi le renversement du gouvernement d’Omar el-Béchir lors des révoltes populaires de 2019.
Ces derniers jours, le chef des affaires humanitaires de l’ONU, Thomas Fletcher, a pris en charge la médiation entre le Président du conseil souveraine de transition Abdel al-Burhan et Hamdam Dagalo, chef des Forces paramilitaires de soutien rapide (FSR), afin de permettre le libre accès à l’aide humanitaire aux camps de déplacés dans l’État du Darfour-Nord, dont la capitale, El Fasher, est assiégée depuis des mois par les Forces de soutien rapide (RSF). De son côté, le gouvernement de Trump s’est désengagé de toute aide humanitaire et a enlevé l’accord de visa pour les soudanais.
Sur place, une crise humanitaire d’ampleur : plus de 3 200 000 enfants sont menacés de malnutrition aiguë selon UNICEF. Une situation face à laquelle, l’ONG Médecins Sans Frontières préconise la nécessité « d’inonder » le Darfour de nourriture. « La violence contre les civils est inhabituelle, extrême, même pour le Soudan » estime Marc Van der Mullen, responsable de Médecins sans frontières pour le Soudan du Sud. [1] Selon cette source, depuis avril 2023, douze millions de personnes ont été déplacées, constituant une crise humanitaire sans précédent. Les récits qui témoignent de la situation actuelle font preuve d’un niveau de barbarie épouvantable, fruit de la violence des affrontements. Les enfants enrolés de plus en plus jeunes, plusieurs finissent égorgés ou mutilés, des conteneurs remplis des civils exposés au soleil jusqu’à la mort, de viols collectifs des jeunes filles, parmi d’autres actes de torture, dont les groupes armés impliqués s’inflingent à tour de role.
Un peu de contexte
Le Soudan a été historiquement le théâtre de multiples guerres civiles et conflits armés. Des milliers de civils et d’enfants subissent les conséquences meurtrières des affrontements constants dans un pays qui a évolué dans la fracture et la division. La non unification de territoires lors de l’expansion arabe dans la région, ainsi que le projet colonial mené d’abord par l’Egypte et ensuite par les britanniques à la fin du XIXe siècle, n’ont fait que poser les bases des divisions ethniques entre la population tribale. Bien qu’au Darfour la population est majoritairement musulmane, dans le reste du pays, nombreux ont été les conflits entre les arabo-musulmans, les noirs-musulmans et les tribus chrétiennes. Une lecture simpliste du conflit pourrait le considérer comme exclusif aux rivalités ethniques en délaissant les intérêts géopolitiques des puissances qui se jouent dans la région.
Dans la deuxième moitié du XXème siècle, la découverte des sources de pétrole dans le sud du pays a favorisé une tension vers l’autonomie territoriale. En tant que territoire privilégié, il a été refuge pour les populations ethniques paysannes non-arabes, plutôt animistes et chrétiennes. Suite aux nombreuses guerres civiles, ce territoire a pu arracher son autonomie et finalement se constituer en état indépendant en 2011, le Soudan du Sud. Cependant le conflit ne s’est jamais arrêté, mais plutôt déplacé progressivement vers la zone ouest, le Darfour, en raison de la sécheresse qui a frappé les tribus chrétiennes. Pendant les années 80, ils se sont vu obligés de se déplacer vers des terres plus fertiles en franchissant ce que les spécialistes appellent le « droit foncier des tribus ». [2]
La situation périphérique du Darfour et son isolement par rapport à la capitale n’ont pas favorisé sa prise en compte vis-à -vis de l’autorité centrale en lui rendant incapable de gérer ses conflits. La frustration des populations non-arabes (zaghawas, four, masalite) délaissées depuis plusieurs années commence à se manifester tout d’abord dans la capitale, Khartoum. En parallèle, le gouvernement soudanais s’est appuyé sur les populations arabes (janjawads) pour venir à bout des mouvements armés qui se créent au Darfour, en les armant davantage. Deux groupes rebelles noirs, le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et le Mouvement de libération du Soudan (MLS), ont accusé le gouvernement soudanais d’opprimer la population noire au profit des arabes. Cette situation déclenche finalement la guerre au Darfour entre 2003 et 2004, ou de très jeunes soldats de l’armée de libération soudanaise ALS prennent contrôle du territoire en déplaçant des milliers de civils et en causant la mort de plus de 400 000 personnes.
Pas une moindre dispute
La fin du XXème siècle et le début de XXIème rencontre le pays sous le régime autoritaire d’Omar el-Béchir qui a gouverné pendant 30 ans. Il a eu comme mission de démonter le Mouvement populaire pour la libération du Soudan dans la moitié sud du pays. Sa gestion a été sanguinaire. Lors de sa chute en 2019 de la main d’une révolte populaire de masses, il a été jugé par de crimes contre l’humanité et nombreux crimes de guerre en raison du nettoyage ethnique effectué sur la population noire. Les énormes mobilisations populaires indépendantes ont fait lumière sur le régime de type génocidaire.
Cependant un gouvernement de transition s’est mis en place, il est actuellement représenté par Abdel Fattah al-Burhan (de facto suite à l’organisation d’un coup d’État en 2021 et proche d’el-Béchir) qui a avancé des relations internationales ambiguës avec des puissances régionales mais aussi avec des puissances impérialistes comme la Russie ou la Chine intéressées dans le commerce des énergies fossiles et de l’or, comme c’est bien le cas de l’Arabie Saoudite. Al-Burhan a travaillé également pour la normalisation de rapports avec l’Israël tout en recevant du soutien militaire de l’Iran ou en ayant permis l’installation des groupes mercenaires de la section russe Wagner sur son territoire. Certaines hypothèses signalent les efforts de l’Iran de tirer profit du chaos provoqué par la guerre civile du Soudan pour gagner une prise de pied sur la mer Rouge et garder un contrôle sur les transports maritimes du canal de Suez. Certainement une situation absolument ouverte dont sa direction ne semble pas porter les intérêts de la population en son sein sauf à condition d’une nouvelle irruption politique populaire. En attendant, le Darfour pourrait continuer à devenir le terrain de guerre d’un pays qui est objet d’avidité des puissances externes, une zone de non-droit et terrain fertile pour toutes les exactions et les crimes contre l’humanité dignes de la barbarie capitaliste du monde actuel ou des puissances régionales et même plus lointaines jaugent leur force et leur influence insouciantes des vies humaines.
[1] Tanguy Berthemet, « Au Soudan du Sud, les atrocités d’un conflit oublié », dans Le Figaro, 27 juillet 2015.
[2] Selon Jérôme Tubiana, chercheur spécialiste du Soudan, le Darfour possède un « système foncier unique, très élaboré et très ancien ». Dans ce système, certains groupes, dont une grande partie des ethnies non-arabes, possèdent un « droit moral sur la terre ». Ce droit n’interdit cependant pas aux autres groupes de s’installer sur ces terres. Les déplacements de populations causés par les grands épisodes de sécheresse des années 1980 ont poussé de nombreuses tribus nomades à se déplacer plus loin qu’à leur habitude : des terres appartenant historiquement aux Four ou aux Massalit ont commencé à être revendiquées par des populations arabes nomades. Selon Jérôme Tubiana, de simples vols de chameaux ont ainsi rapidement dégénéré en conflits meurtriers.