L’organisation internationale des livreurs pour leurs droits du travail

Article basé sur un débat sur l’organisation internationale des travailleurs de la livraison qui a eu lieu le 9 octobre à Paris, dans le cadre du weekend national de formation du NPA Jeunes. 

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Nouvelle classe ouvrière

Lors d’un débat récent à l’université, un étudiant a remis en question la notion de “classe ouvrière” dans l’actualité, en argumentant qu’il faudrait plutôt parler des petits travailleurs, car la classe ouvrière n’existe plus en tant que telle. Évidemment, on ne partage pas du tout cette affirmation, notamment quand on voit comment les raffineurs de Total ou les ouvriers de PSA sont en grève et en lutte aujourd’hui, il est très difficile de nier qu’ils existent.

Cependant, nous voulons parler d’un phénomène nouveau, parce que ce qui est vrai dans l’idée de “nouvelle classe ouvrière”, c’est qu’il y a des nouveaux métiers qui se développent et des nouvelles conditions de travail. Le secteur de la livraison s’est développé énormément durant la pandémie. Ce qu’avant ne faisait pas partie de notre quotidien, comme utiliser une appli comme Uber ou Amazon pour passer une commande, maintenant c’est totalement normal. Mais les commandes n’arrivent pas toutes seules, il y a des travailleurs qui font ce métier. 

Dans ce débat, nous allons parler fondamentalement des livreurs et des travailleurs des applis comme Uber, Ubereats, Deliveroo, Rappi, Pedidos Ya, Glovo, etc. Nous pouvons parler également de toutes les luttes des travailleurs d’Amazon, de la lutte pour la reconnaissance syndicale aux Etats Unis, par exemple. 

Ce qui nous intéresse en particulier, c’est l’expérience actuelle d’organisation, de débat, de lutte, des travailleurs de la livraison à l’échelle internationale. Notamment sur l’expérience de la création du SiTraRePa, syndicat des travailleurs de livraison d’Argentine, une initiative du courant international Socialisme ou Barbarie et du Nuevo MAS, initiée en pleine pandémie et qui continue actuellement, en lien avec des expériences internationales. 

 

L’ubérisation du travail 

Le 8 septembre 2022 a eu lieu le “3e Forum transnational d’alternatives à l’ubérisation” à Bruxelles, une invitation à débattre à laquelle plus de 100 travailleurs de la livraison de 20 pays y ont participé.

D’abord, nous voulons faire allusion au concept de l’ubérisation. Par ubérisation du travail, on comprend une stratégie des capitalistes au niveau mondial pour faire une avancée contre les droits du travail. L’ubérisation implique revenir en arrière un siècle sur les conditions de travail, pour légitimer des conditions d’exploitation similaires à celle du capitalisme du XIXe siècle. 

Une avancée globale dans le monde envers les droits des travailleurs, qui implique la négation de la journée de 8h, des congés payés, des congés maternités, entre autres droits fondamentaux acquis par la lutte des générations précédentes.

Les entreprises capitalistes se servent des nouvelles technologies, avec des algorithmes et des applications pour mettre en place ce nouveau modèle. Un modèle dans lequel, il est promis aux travailleurs de pouvoir “devenir ton propre chef”, dans une relation de partenariat comme si un livreur et le patron de Deliveroo étaient dans le même niveau de coopération. C’est un phénomène de création de cette figure de “faux auto-entrepreneur”, un mensonge qui montre la réalité de travailler dans des conditions très difficiles pour une entreprise multinationale qui fait des fortunes. 

 

Quelles stratégies pour obtenir des droits au niveau international? 

Chez les travailleurs de la livraison et des applis, il y a un consensus : le point central de la lutte est la reconnaissance de la relation de travail. C’est uniquement à partir de cette démonstration de relation de travail que les travailleurs peuvent commencer à revendiquer des droits. La grande stratégie des entreprises est de nier systématiquement l’existence d’une relation de travail au niveau légal, ce qui bloque la possibilité de faire avancer des revendications des travailleurs. 

Face à cette problématique, il y a deux stratégies qui se dégagent pour pouvoir obtenir des droits au niveau international. Le forum de Bruxelles a servi à confronter ces deux points de vue. D’une part, il existe tout un secteur de la gauche politique européenne (La France Insoumise, Anticapitalistas, The Left) qui insiste sur une voie législative parlementaire. Selon ce point de vue, il faut créer une loi contre l’ubérisation au niveau du parlement européen pour pouvoir marquer un précédent judiciaire international par rapport aux droits des livreurs et des travailleurs des applis.

Le problème de cette vision réside dans le fait que les projets de loi sont remplis de pièges partout, grâce au lobby fait par les propres entreprises concernées qui ont des liens (et qui mettent beaucoup d’argent pour modifier ces lois) avec le parlement européen. L’un de ces pièges passe par l’imposition des certains « critères » pour reconnaître la relation de travail, notamment une quantité régulière de commandes livrées et une certaine quantité d’heures travaillées par semaine, qui sont impossibles à atteindre par la plupart des travailleurs. De cette manière, Uber pourrait dire par exemple que les travailleurs qu’il utilise ne sont pas des travailleurs parce qu’ils ne remplissent pas les « critères » établis.  

De plus, certains patrons de la livraison veulent légaliser une nouvelle catégorie qui ne soit pas ni “l’auto-entrepreneur” ni le “travailleur”. De cette façon, au lieu d’avancer vers la reconnaissance des droits du travail, on avancerait plutôt vers la légalisation des formes d’exploitation selon les besoins des grandes entreprises multinationales. 

D’autre part, le forum de Bruxelles a montré l’existence d’une stratégie éloignée de la tactique parlementaire, légale. En effet, les représentantes du syndicat Sitrarepa ont défendu l’idée de ne pas nourrir des illusions parlementaires, mais de faire confiance uniquement dans les forces réelles des travailleurs auto-organisés. Une stratégie qui a son cœur dans la lutte des classes et dans l’organisation de processus collectifs de lutte, par opposition aux limites que les plaintes individuelles contre les entreprises montrent au niveau international. Dans ce sens, l’expérience de construction du Sitrarepa est révélatrice de cette orientation. 

 

L’expérience de construction du Sitrarepa

Le premier “Syndicat des travailleurs de livraison par application” d’Argentine a été créé durant la pandémie du Covid en 2020. A ce moment, les livreurs à vélo étaient les seuls à être dans la rue. Comme les travailleurs de la santé, ils ont été applaudis et appelés “des héros”, pour avoir été les travailleurs essentiels qui ont fait tourner l’économie. Cependant, ils n’avaient aucun droit, aucune protection par les entreprises en cas d’accidents de travail.

C’est pour cela que les militants du Nuevo MAS ont commencé une campagne nationale d’organisation syndicale qui a eu pour principe la rencontre directe avec les livreurs dans les points de livraison dans lesquels ils attendent avant de passer une commande. L’idée du Sitrarepa a été d’aller voir les travailleurs en leur proposant un maté, un café, un chargeur pour le portable, comme première approche pour entamer une discussion sur la précarité du travail et la nécessité de construire un syndicat national pour pouvoir obtenir la reconnaissance de la relation de travail devant le ministère du travail.

L’idée de militer par la base dans cette “usine à ciel ouvert” a permis d’accumuler plus de 2500 adhérents au niveau national, d’organiser des rencontres avec plus de 200 travailleurs dans la ville de Buenos Aires et de commencer un processus d’organisation et de politisation pour la reconnaissance des droits du travail d’un secteur important des travailleurs d’Argentine. Le jeune syndicat qui “pourrait devenir le cauchemar des entreprises de la livraison” a fait également des expériences de solidarité avec d’autres secteurs des travailleurs, notamment les ouvriers de l’automobile qui ont protagonisé une récente expérience de grève reconductible victorieuse.

Pour continuer avec cette expérience, le Sitrarepa prévoit l’inauguration de son premier local syndicale dans les prochaines semaines, ainsi que la réalisation d’une rencontre internationale des livreurs dans la ville de Los Angeles, en Californie. C’est parce que la bataille pour la reconnaissance des droits des livreurs a dépassé largement les frontières. Grâce aux rencontres, une coordination internationale a été mise en place, avec des collectifs qui mènent le même combat aux Etats Unis, en Amérique Latine et en Europe, pour pouvoir coordonner des actions de grève et de mobilisation unitaires contre l’ubérisation. C’est l’expérience de l’Alianza Unidos World Action, une initiative pour pouvoir avancer vers une solidarité internationale concrète entre les collectifs et les syndicats en lutte.

L’expérience du Sitrarepa montre à quel point la décision consciente d’implantation d’un parti révolutionnaire peut aider à la construction des outils d’organisation pour la classe ouvrière dans un processus de recomposition historique au niveau international. Dans ce sens, beaucoup de jeunes travailleurs se sont également rapprochés aux idées révolutionnaires à partir de cette expérience, au-delà de l’intervention syndicale. 

Les récentes mobilisation en France des livreurs et des collectifs des sans-papiers montrent la combativité d’un secteur des travailleurs qui commence à faire son expérience de lutte et d’organisation. Pour faire face aux grands patrons de la livraison, il est fondamental de développer des expériences d’organisation coordonnées au niveau international dès maintenant. Dans ce sens, l’expérience du construction du Sitrarepa montre la voie pour avancer vers l’organisation internationale des travailleurs de la livraison. 

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