«Aujourd’hui, je me sens qatarien, aujourd’hui je me sens arabe, aujourd’hui je me sens africain, aujourd’hui je me sens gay, aujourd’hui je me sens handicapé, aujourd’hui je me sens travailleur immigré»
Gianni Infantino, président de la FIFA, un jour avant le début de la Coupe du monde.
Ces déclarations ont retenti à la veille de l’inauguration d’une Coupe du monde assez inédite et chargée de critiques. L’événement le plus attendu pour les fanatiques du football a démarré encore une fois enrobé d’une flagrante ambiance de corruption, d’irrationalité et d’absurdité capitaliste. Gianni Infantino, président de la FIFA censé redresser l’institution suite aux scandales de Football Leaks en 2016, essaye de s’acheter une bonne conscience progressiste avec ces déclarations. C’est inutile, tant tout le monde sait qu’il n’y a pas d’arbre pour cacher cette forêt.
Évasion fiscale, pratiques illégales des grands groupes européens et procès judiciaires en cours ont été balayés sous le tapis pour donner suite au coup d’envoi d’une nouvelle édition de la Coupe du monde. Fier de détourner des discours progressistes d’une façon cynique, les mots d’Infantino cachent la criminalité financière à outrance que la FIFA a auparavant tenté de dissimuler. La nomination du Qatar comme nouveau siège de la Coupe du monde n’a pas échappé à la suspicion des règlements faits par la fédération qatarienne afin d’être choisie.
200 milliards de dollars ont été investis afin de tenir l’événement : c’est la somme la plus élevée de l’histoire, qui dépasse largement les 15 milliards de dollars de Brésil 2014. Sept des huit stades ont été construits particulièrement pour la tenue de la Coupe du monde alors que le pays n’a pas une culture du football qui lui est propre. Sans aucun doute ces grands bâtiments n’auront pas d’autre destination que d’accueillir les 64 matchs de la présente édition.
Plus de 6 500 ouvriers migrants morts sur les chantiers
Plusieurs observateurs internationaux suivent l’affaire de près : Humans Right Watch, Amnesty International et le journal The Guardian alertent dans leurs rapports sur les inquiétantes conditions de travail des migrants au Qatar.
«Le journal britannique affirme que plus de 6 500 ouvriers originaires d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka ont péri au Qatar depuis que le pays a obtenu l’organisation de la Coupe du monde 2022, il y a dix ans. Le média a recoupé les données des gouvernements de ces pays, principaux fournisseurs de la main-d’œuvre au Qatar. Ces statistiques s’étendent de 2010, date d’attribution du Mondial, à 2020. Le nombre total de décès serait même supérieur car les données d’autres pays, dont les Philippines ou le Kenya, qui comptent de nombreux ressortissants travaillant au Qatar, n’ont pas été recueillies.»
Par ailleurs, le rapport de 146 pages de Humans Rights Watch, intitulé «Building a Better World Cup : Protecting Migrant Workers in Qatar Ahead of FIFA 2022», examine un système de recrutement et d’emploi qui piège effectivement de nombreux travailleurs migrants dans leur emploi. Parmi les problèmes auxquels ils sont confrontés, citons les frais de recrutement exorbitants, qui peuvent mettre des années à être remboursés, la confiscation systématique des passeports des travailleurs par leurs employeurs et le système de parrainage restrictif du Qatar, qui donne aux employeurs un contrôle démesuré sur leurs employés. Les dettes élevées des travailleurs et les restrictions auxquelles ils sont confrontés s’ils veulent changer d’employeur les obligent souvent à accepter des emplois ou des conditions de travail qu’ils n’avaient pas acceptés dans leur pays d’origine, ou à continuer à travailler dans des conditions abusives.
Les travailleurs migrants représentent 94 % de la main-d’œuvre du Qatar, et le pays affiche le ratio migrants/citoyens le plus élevé au monde. Human Rights Watch a interrogé 73 travailleurs migrants de la construction pour le rapport. Les travailleurs ont signalé toute une série de problèmes, notamment des salaires impayés, des déductions de salaire illégales, des camps de travail surpeuplés et insalubres, et des conditions de travail dangereuses. Tous les travailleurs, à l’exception de quatre d’entre eux, ont déclaré avoir payé des frais de recrutement allant de 726 à 3 651 dollars, et avoir emprunté à des prêteurs privés à des taux d’intérêt allant de 3 à 5 % par mois à 100 % d’intérêt sur leur dette par an.
Droits des femmes et des LGBTI
Les enquêtes de Human Rights Watch (HRW) ont rendu explicite l’énorme manque de droits pour les femmes et les personnes LGBTI au Qatar. Par exemple, les femmes doivent obtenir l’autorisation de leurs «tuteurs masculins» pour prendre des décisions importantes dans leur vie, comme travailler dans l’administration ou demander des bourses pour étudier à l’étranger.
L’avortement est interdit et criminalisé, avec des peines pouvant aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement. En ce qui concerne les droits des LGBTI, l’homosexualité est passible de peine de mort. Un autre exemple a été donné par un autre rapport de HRW, qui a noté qu’un groupe de femmes transgenres a été forcé de subir des «séances de thérapie de conversion».
Au sujet des droits des LGBTI, 10 pays européens ont lancé une campagne pour visibiliser ces collectif à travers le port d’un bandeau arc-en-ciel «One Love». Le capitaine de l’équipe française Hugo Lloris a refusé de l’utiliser en se faisant cible de centaines des critiques sur les réseaux sociaux.
C’est évident que les initiatives de dénonciation internationales vont dans le sens de dénoncer l’ensemble de politiques néfastes du régime qatari. Cette dénonciation résonne particulièrement à l’international dans un contexte de rébellion populaire en Iran qui conteste la dictature religieuse, l’exploitation des travailleurs, la misère sociale, les conditions de vie de la grande majorité de la population qui est mise en danger afin de privilégier les grandes fortunes et de financer leurs caprices. Pour ces raisons, les joueurs iraniens ont refusé de chanter l’hymne de la République islamique lors du match entre l’Iran et l’Angleterre.
Depuis longtemps, le sport, notamment le football, est pris en otage par une poignée de capitalistes puissants. En France, on voit le gouvernement Macron et les capitalistes faire de même à leur tour avec les Jeux Olympiques, au mépris total de la vie des travailleurs. Ce n’est pas aux travailleurs de resigner l’une de leurs échappatoires à l’exploitation du système. Pour que le sport soit libre de l’irrationalité capitaliste, c’est à nous de jouer.