
Le régime des retraites par répartition est né en France en 1945, où l’âge légal de départ en retraite avait été fixé à 65 ans. Les cotisations versées par les actifs devaient désormais servir à payer les pensions des retraités, tout en ouvrant des droits pour leurs futures retraites.
En 1995, la droite veut la peau du régime des retraites, la rue répond par le Juppéthon
En 1982, le président Mitterrand ramène l’âge de départ à la retraite à 60 ans pour celles et ceux qui ont cotisé 37,5 ans. Mais en 1993 déjà, le premier ministre Balladur impose une contre-réforme qui allonge la durée de cotisation à 40 années.
En 1995, le premier ministre Juppé s’attaque lui aussi aux retraites. Son but, avec le président Chirac, est de mettre la France au pas pour correspondre aux critères de Maastricht et de montrer patte blanche pour le passage à l’euro. Il présente en novembre son plan pour l’alignement des régimes de retraites des fonctionnaires et des agents de services publics (SNCF, RATP, la Poste, France Telecom, etc.) sur celui du privé.
Juppé devra renoncer à faire passer sa réforme devant la réponse de la rue, largement soutenue par l’opinion : 21 jours de grève des cheminots, trois semaines de paralysie du pays, deux grosses journées de mobilisation le 24 novembre rassemblant un million de personnes puis près de 2,2 millions (selon les syndicats) le 12 décembre. La police en déclare un million, mais tout le monde s’accorde sur le fait que les manifestations sont massives : ce sont les plus importantes depuis Mai 68. Le mouvement a aussi de commun avec Mai 68 un humour partagé : les Guignols de l’info lance le « Juppéthon » (objectif atteint !), et les chansons de manif se moquent allégrement du premier ministre libéral : « Et hop Juppé 2, plus haut que Juppé 1 ! ».
Des assemblées générales interprofessionnelles locales se créent dans le mouvement pour organiser des actions conjointes et entrainer de nouveaux secteurs dans la lutte, comme ce fut le cas par exemple entre cheminots et postiers. Les gares deviennent les amphithéâtres des comités de grève. Alors que Juppé abandonne son plan, Thibault, le secrétaire de la fédération CGT cheminots, signe la fin de la récré le 14 décembre. La manifestation du 16 décembre prévue est abandonnée, les centrales syndicales veulent démontrer qui est le chef. Un mouvement d’une telle ampleur aurait pu pourtant porter des revendications
Deux ans après l’échec de sa réforme, la droite se prend une veste aux législatives. Elle n’avait pas dit son dernier mot.
En 2003, les centrales syndicales baissent les armes et négocient le poids des chaînes, les travailleuses et travailleurs progressent dans l’organisation interprofessionnelle
Sous prétexte de changement démographique, le ministre Fillon revient à la charge après le retour de la droite au pouvoir pour aligner les retraites du public sur le privé, vers le bas donc. Le 13 mai 2003, plus d’un million de manifestant.e.s (selon la police), prennent la rue avec l’Education Nationale en première ligne. Le gouvernement s’obstine et la Confédération française démocratique du travail (CFDT) craque le front syndical, pour négocier un dispositif de retraite anticipée pour les carrières longues. La CFDT n’aura pas failli à sa réputation (« Quand le patronat rétablira l’esclavage, la CFDT négociera le poids des chaînes ») et y laissera des plumes : plusieurs milliers d’adhérent.e.s iront voir ailleurs. Les centrales syndicales démontrent une fois de plus leurs limites et les salarié.e.s du secteur public et parapublic (EDF-GDF, etc.) s’organisent par elles eux-mêmes en assemblée générales interprofessionnelles qui se multiplient pour organiser le mouvement. Des comités de grèves interprofessionnels réunissent des représentant.e.s de chaque secteur d’activité mobilisé pour définir les actions à mener. Les fonctionnaires de l’Éducation nationale se coordonnent durant plusieurs mois.
Mais le gouvernement reste droit dans ses bottes, les travailleurs et travailleuses devront composer avec l’allongement de la durée de cotisation à 41 ans et la durée de cotisations des fonctionnaires s’aligne sur celle des salarié.e.s du privé.
En 2010, Fillon passe les retraites et les jeunes au karcher
En 2008, le monde est frappé par la crise financière. L’argument du redressement des comptes publics est tout trouvé pour le ministre du Travail, Woerth, qui veut allonger de deux ans l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans au lieu de 60, et celui de la retraite pour celles et ceux qui n’ont pas atteints leurs annuités à 67 ans au lieu de 65. Le projet de loi est présenté au mois de septembre 2010. Les centrales syndicales veulent revenir sur les exonérations fiscales de Sarkozy aux entreprises et aux particuliers pour renflouer les caisses. En octobre, les manifestations rassemblent plusieurs fois plus d’un million de personne (selon la police). La jeunesse en lutte contre la politique de Sarkozy et de son gouvernement vient en renfort du monde du travail. Les travailleurs et travailleuses s’autoorganisent. Mais le mouvement de grève en dehors des cheminots est insuffisant. En novembre, la loi passe au parlement presque comme une lettre à la poste avant sa privatisation.
Revenons sur 2014, faisons sa fête à La loi Touraine !
Certain.e.s ont cru qu’en se débarrassant de Sarkozy après l’élection de Hollande, le monde du travail pourrait souffler un peu. Mais le gouvernement Hollande s’est voulu plus royaliste que le roi, plus libéral que la droite. Le 20 janvier 2014, la Loi Touraine allonge la durée de cotisations sur les générations. La prise en compte de la pénibilité au travail sert à saupoudrer d’une mesure de gauche cette réforme profondément de droite libérale. Macron ne fait aujourd’hui que vouloir précipiter l’application de cette loi avec un an de plus, puisque la réforme Touraine prévoit une durée de cotisations de 43 ans. Bien que votée en 2014, cette loi est rendue effective en 2020.
2019, une bataille remportée, point de réforme des retraites malgré des centrales syndicales en ordre dispersé
Les grèves contre la réforme des retraites de 2019 se déclenchent dans un climat social installé par le mouvement des Gilets Jaunes. Les centrales syndicales partent divisées dès le début dans le conflit, et ne sont pas les seules à enclencher le mouvement. Avant le 5 décembre 2019, date de la première grosse journée de mobilisations annoncée par les directions syndicales, des militant.e.s de la RATP appellent les agent.e.s à s’organiser par-dessus les organisations syndicats pour prendre en main leur grève. Le mouvement se structure plus finement localement, par ville. Les synergies se créé dans le sillage des mouvements de Nuits debout et des Gilets Jaune, l’ambiance est à l’auto-organisation. Les jeunes, les privé.e.s d’emploi, intermittent.e.s, retraité.es et salarié.e.s se rassemblent en assemblées générales interprofessionnelles avec l’envie de partager des moments conviviaux et de varier les actions : grèves, occupations de bâtiments publics, blocages de rocades, déploiement de banderoles géantes, perturbations de rencontres du patronat, etc. Le personnel hospitalier et les sapeurs-pompiers s’engagent dans la lutte, dans des secteurs ou la mobilisation est toujours compliquée à maintenir au regard des missions vitales qu’ils accomplissent. Ces secteurs clés contribuent à emporter l’adhésion de la majeure partie de la population à la lutte pour les retraites.
La grève durera 37 jours à la SNCF. C’est le conflit le plus long de l’histoire des compagnies ferroviaires.
En mars 2020, le gouvernement qui avait déclenché l’article 49-3 pour passer en force le projet de loi doit annuler l’examen du texte.
Hier et aujourd’hui dans la rue, demain on continu … jusqu’à la victoire !
Depuis que le droit à la retraite a été arraché au patronat et à l’Etat par les travailleuses et travailleurs, la bourgeoisie n’a de cesse de vouloir lui porter atteinte. Nous devons toutes et tous nous organiser, de tout temps, pour maintenir le rapport de force en faveur de notre camp social. Cela signifie aussi de rester solide au-delà des centrales syndicales, qui veulent préserver la mainmise sur les négociations avec l’Etat et le patronat. C’est bien dans la rue que ça se passe, pas au parlement comme les politicien.ne.s d’extrême-droite ou d’autres bords nous voudrais le faire croire. Nous irons jusqu’au retrait, et bien au-delà : pour l’augmentation des salaires et des pensions ! Tant que le capitalisme sera sur pied, les attaques contre notre camp continueront de pleuvoir. Comptons sur nos propres forces organisées pour envoyer les capitalistes et leurs serviteurs à la retraite sans pensions.
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Sources : Pourquoi les comités de grève ? 27 nov. 2019 – Les frondeurs CGT de la RATP