Paru originalement dans le site du NPA.
Manuela Castañeira est sociologue, travailleuse universitaire et dirigeante du Nuevo MAS (Nouveau MAS). Elle est une militante reconnue des luttes anticapitalistes, sociales et féministes, et l’une des principales porte-paroles de la gauche révolutionnaire. À 38 ans, elle a été la candidate présidentielle la plus jeune des dernières élections.
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Les primaires (Paso, primaires ouvertes simultanées obligatoires) ont donné pour vainqueur le candidat libertarien Javier Milei. Comment pouvons-nous comprendre cette avancée électorale de l’extrême droite en Argentine ?
La victoire électorale de Milei est une attaque contre la classe ouvrière qui nous alerte parce qu’il prétend effacer les conquêtes historiques du mouvement ouvrier.
Cette déclaration de guerre contre les travailleurs s’exprime dans un programme qui implique la dollarisation de l’économie, l’élimination des indemnisations, l’attaque des conventions collectives de travail, la tentative d’ubériser le travail, la privatisation de la santé et de l’éducation, ainsi que la fermeture des programmes stratégiques pour la science. Il inclut une attaque contre les libertés démocratiques gagnées par la lutte des travailleurs et par des mouvements sociaux importants dans notre pays. Milei propose de détruire les syndicats, les centres d’étudiants, il remet en question le droit à l’avortement et d’autres droits obtenus par la lutte et la mobilisation. Ces droits, comme celui de la syndicalisation, sont très enracinés en Argentine.
Cependant, il faut dire que le niveau de défaite que Milei veut imposer à la classe ouvrière argentine n’a jamais été atteint, même pas par la dernière dictature militaire. Cela nous montre la gravité de ses propos, mais aussi les limites et les points d’appui que nous avons pour lutter.
Il faut souligner que le responsable principal de l’avancée de l’extrême droite en Argentine, c’est le gouvernement actuel qui a déçu des secteurs de masses. Le gouvernement a fait appel à des discours progressistes, mais en étant incapable de toucher aux intérêts des grands capitalistes et en légitimant l’escroquerie de Macri de la dette avec le FMI. Par conséquent, il a imposé la frustration dans la société, alors que le pays traverse une crise sociale et économique très grave. Cela s’est aggravé avec la dévaluation du peso de 22 %, qui a approfondi « l’ajustement économique » juste après la victoire de Milei dans les Paso.
Pour construire une alternative des travailleurs et travailleuses capable de mettre un frein à ce tournant électoral à droite, il faut défaire l’austérité en cours. C’est pour cela que notre parti considère que la tâche fondamentale pour la gauche révolutionnaire est de dénoncer et d’impulser l’organisation et la lutte contre la politique d’austérité du gouvernement actuel comme condition nécessaire pour stopper l’avancée de l’extrême droite.
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Quels ont été les axes principaux de la campagne du Nuevo MAS ? Dans quel but présenter une candidature anticapitaliste et en quoi cela a-t-il contribué à la campagne électorale ?
Depuis le début, notre campagne a cherché à mettre sur la table les intérêts et les besoins des travailleurs. Cela nous a permis de retrouver un impact important au niveau national face aux partis capitalistes qui ont voulu orienter le débat à droite, avec des appels à des coupes budgétaires brutales sous la justification que les problèmes de l’Argentine sont les dépenses publiques en santé, éducation et droits du travail. L’axe principal de notre campagne était la proposition d’un salaire minimum de 500 000 pesos indexé sur l’inflation et financé par les profits des grands capitalistes. Cette mesure est orientée pour améliorer les revenus des travailleurs et sortir de la misère des millions de personnes qui se retrouvent sous le seuil de pauvreté, y compris en étant des salariés actifs. Il s’agit d’une mesure de souveraineté parce qu’elle oblige les capitalistes qui sortent des millions de dollars à l’extérieur à investir leurs profits dans les paiements des salaires.
Cette mesure fait partie d’un plan global de sept mesures anticapitalistes pour sortir de la crise selon les intérêts des travailleurs et des travailleuses, de la jeunesse, des femmes et des LGBTTINB. Cela inclut des mesures contre la précarité du travail, un plan historique de travaux publics pour reconstruire l’infrastructure du pays et créer des postes de travail, une augmentation du budget pour la santé et l’éducation à la hauteur du 10 % du PIB, la rupture avec le FMI et un choc anti-inflation, entre autres. Aussi, nous proposons la défense inconditionnelle du droit de manifester, qui a été fortement attaqué par les candidats capitalistes.
Dans un contexte de crise capitaliste historique, le débat électoral a démarré en étant excessivement tourné à droite. Le principal sujet en discussion était la dollarisation proposée par Milei, et lui-même est arrivé à parler de la vente d’organes, qu’il défend. Dans ce débat, les candidats de la bourgeoisie et les médias ont cherché à imposer le consensus que l’austérité contre les travailleurs était inévitable et désirable. Avec notre proposition de salaire minimum à 500 000 pesos nous avons contribué à réorienter le débat vers la gauche et à installer les problématiques et les besoins des travailleurs et travailleuses. De cette manière, notre campagne, au-delà du résultat, a eu une énorme visibilité nationale. De cette manière, on est arrivés à la dernière semaine avant les élections avec cette proposition comme l’un des principaux sujets dans la discussion nationale.
À la fin de la campagne, il y a eu une énorme pression de toutes les forces du régime pour annuler les réunions publiques de fin de campagne, suite à l’assasinat d’une jeune fille. Ils voulaient tourner la situation en faveur de la droite et mettre toutes les listes sur un plan d’égalité, comme si on partageait tous la même responsabilité dans la crise qu’ils ont provoquée. C’est évident que les forces anticapitalistes n’ont aucune responsabilité dans la crise sociale que vit l’Argentine et qui donne lieu à des faits aberrants comme ce crime barbare.
Nous sommes fiers de pouvoir dire que le Nuevo MAS a été le seul parti qui n’a pas cédé à la pression du régime, à la différence de deux listes du FIT-U qui ont annulé leurs meetings de fin de campagne. Ils ont cédé à la pression de façon opportuniste pour ne pas mettre en danger leur résultat électoral et ils sont tombés dans le piège des partis traditionnels de nous mettre à égalité sur la responsabilité de l’assassinat. Au contraire, notre parti a fait un choix de principe, même au-delà du fait qu’on pouvait perdre des voix. Nous avons fait un rassemblement de clôture de campagne « anti-électoral » dans la rue, pour faire passer le message au mouvement ouvrier et à l’ensemble de la société que c’est précisément dans la rue que nous devons défendre nos conquêtes et lutter contre toute injustice.
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Dans ce contexte, quelles sont les perspectives pour l’Argentine et pour la gauche révolutionnaire en particulier ?
En ce moment, s’est ouvert en Argentine un débat national permanent dans tous les lieux d’étude et de travail sur le résultat électoral, sur la crise sociale et sur le rôle de l’extrême droite. Dans ce contexte, l’intervention de la gauche révolutionnaire est particulièrement importante dans cette discussion qui traverse l’ensemble de la société. C’est un moment de réflexion et d’explication pour proposer des initiatives pour s’organiser, raison pour laquelle les idées et la politique ont une importance vitale.
Avant les élections générales d’octobre, nous avons encore deux longs mois à parcourir. Nous pouvons éventuellement vivre des situations de conflictualité provoquées par l’approfondissement de l’austérité et l’écrasement des salaires aggravé par la dernière dévaluation, en plus de la fragilité de l’économie et la crise sociale.
Même dans des syndicats dirigés majoritairement par la bureaucratie syndicale, on commence à discuter de la réouverture des négociations salariales sous la pression de la base. Le mouvement féministe commence à débattre l’organisation des mobilisations en défense du droit à l’avortement et des droits des femmes et LGBTTINB. Les jeunes débattent dans les universités et dans les lycées sur la défense de l’éducation publique.
Le gouvernement (Union pour la patrie) approfondit l’austérité, alors qu’il appelle à « voter sagement » et rend les citoyens responsables de la progression électorale de l’extrême droite. Mais, c’est sa politique d’austérité et l’échec de son gouvernement qui détruisent les conditions de vie et qui provoquent les conditions de la démoralisation et l’avancée des alternatives de droite extrême et d’extrême droite.
Nous sommes clairs : sans l’initiative et l’organisation du mouvement ouvrier et des secteurs progressistes de la société pour la lutte dans la rue, nous ne pouvons pas vaincre l’avancée de l’extrême droite. La gauche révolutionnaire a un rôle important à jouer. Pour cette raison, la première tâche de la gauche révolutionnaire est de promouvoir le débat, la réflexion et l’organisation des secteurs qui voient la nécessité de lutter contre l’a politique d’austérité actuelle du gouvernement, comme point de départ pour défendre nos conditions de vie et vaincre l’avancée de l’extrême droite.
Dans cette perspective, il y a un immense point d’appui : dans le centre du pays (la ville et la banlieue de Buenos Aires), où vit une grande partie du mouvement ouvrier et de la population, Milei n’a pas gagné. Et même là où il a gagné, l’extrême droite n’a pas eu le vote des ouvriers ni des travailleurs de l’État, à la différence des secteurs précaires et sans droits syndicaux.
Le niveau d’attaque d’un éventuel gouvernement de Milei (qui n’a pas encore gagné) peut faire réveiller une réaction profonde par en bas qui peut amener l’Argentine a l’extrême opposé de cette conjoncture électorale de droite. Contre les attaques réactionnaires, peut émerger une réponse révolutionnaire. Le mouvement ouvrier (qui n’a pas été vaincu) avec la gauche révolutionnaire, peut ouvrir la voie d’un processus capable d’ébranler et de battre l’extrême droite et les forces traditionnelles qui ont gouverné jusqu’à présent, et qui jette les bases du développement d’une alternative et d’une orientation anticapitaliste.