
Contrairement à d’autres occasions, le rapport sur la France est cette fois-ci traversé par l’événement récent qui a constitué notre expulsion autoritaire du NPA-Révolutionnaires. Après ce scandale antidémocratique, la perspective de construire une nouvelle organisation politique indépendante s’ouvre à notre courant. Tirant un bilan critique de l’échec politique du NPA, Socialisme ou Barbarie relève le défi de participer à la nécessaire refondation de la gauche révolutionnaire dans une nouvelle étape de la lutte des classes.
La crise politique du gouvernement Macron et la menace de l’extrême droite
La situation politique en France est marquée par une série de mobilisations sociales, de confrontations et de polarisation dans la lutte des classes depuis 2016 jusqu’à aujourd’hui. Ces dernières années, les manifestations contre la loi Travail, la grève des cheminot.e.s, les Gilets Jaunes en 2018, la lutte contre la réforme des retraites en 2019-2020, en passant par la pandémie, les mobilisations antiracistes du comité Adama, la deuxième réforme des retraites en 2023 et les marches pour la Palestine ces derniers temps se sont succédées. Plus ou moins tous les ans ou tous les deux ans, il y a un mouvement social important en France.
La confrontation s’est intensifiée contre un gouvernement Macron qui se présentait comme « ni de droite ni de gauche » en 2017, mais qui s’est progressivement transformé en un gouvernement de droite et a même fait des clins d’œil à l’extrême droite ces derniers temps. Au début, Macron était apparu comme une sorte de « renouveau centriste », pour résoudre la crise de représentation des deux partis traditionnels français. D’une part, le Parti socialiste était devenu très affaibli après le gouvernement Hollande, qui avait fait campagne contre « la finance » et avait fini par faire passer de force une loi anti-ouvrière malgré la mobilisation sociale, perdant ainsi tout son capital politique. Et de l’autre côté, Les Républicains, qui, à cause de scandales de corruption, ont également perdu leur puissance électorale. Lors des derniers scrutins, il y a eu le duel Macron-Le Pen, où le gouvernement a eu recours à la tactique de « faire barrage » pour que l’extrême droite ne gagne pas. C’est grâce à ce mécanisme que Macron a réussi à se maintenir au pouvoir plutôt que par le propre mérite d’un gouvernement qui dirige pour les riches.
En ce sens, la dérive droitière du gouvernement Macron ces dernières années, ajoutée à la pression de l’extrême droite et au climat d’instabilité internationale dans lequel l’impérialisme français est en recul dans ses anciennes colonies, sont quelques-unes des principales raisons qui ont conduit à une crise politique majeure qui tend de plus en plus à s’aggraver. Au cours des derniers mois, Macron a décidé de dissoudre le Parlement et de convoquer des élections surprises après la victoire de Le Pen aux élections européennes. Lors des législatives, il y a eu un phénomène de croissance électorale de l’extrême droite, mais aussi une résurgence démocratique pour la freiner. Avec un parlement sans majorité absolue, il y a eu deux mois d’été sans Premier ministre et pendant longtemps, nous ne savions pas qui allait gouverner le pays.
En septembre, c’est finalement Barnier, du parti de droite qui avait le groupe parlementaire le plus petit au sein du Parlement, qui a été élu. En d’autres termes, les gens se sont rendus aux urnes et le gouvernement a décidé de nommer un ministre qui ne représentait absolument pas ce pour quoi les gens avaient voté. Ce gouvernement a duré moins de quatre mois car il devait adopter le budget de 2025 avec des coupes dans tous les domaines et n’a pas trouvé les consensus nécessaires pour éviter la motion de censure. Barnier est rapidement tombé et a été remplacé par Bayrou, tandis que Manuel Valls, Elisabeth Borne, Gérald Darmanin et d’autres anciens ministres faisaient leur « retour des morts-vivants ».
Macron joue ainsi son dernier coup en nommant tous les ministres de son projet politique qui lui restaient disponibles, mais dans un contexte où l’on sait que le gouvernement est faible et on ne sait pas combien de temps il pourra durer. Le spectre de nouvelles élections anticipées plane, car l’extrême droite exerce une pression constante pour qu’une partie de son programme politique soit appliquée dès maintenant et Macron, qui avait en réalité été élu pour empêcher l’extrême droite de gagner, a déjà voté des choses au Parlement en collaboration avec Le Pen. Au-delà du fait que Macron jouit d’un certain prestige au niveau international en tant que dirigeant européen, au niveau national, ce n’est pas la même chose. La bourgeoisie a du mal à savoir qui est la meilleure option au pouvoir, surtout en vue des élections présidentielles de 2027, où Le Pen apparaît comme la meilleure option, alors que Macron ne peut plus se représenter.
En même temps, la crise politique remet également en question l’ensemble du régime de la Ve République. Le système de représentation est remis en question car les gens se demandent : comment se fait-il que je vais voter et qu’ensuite ils mettent le Premier ministre qu’ils veulent et qui n’a rien à voir avec ce pour quoi je suis allé voter ? De plus, les éléments autoritaires du régime deviennent très visibles pour la population, car le système permet de gouverner systématiquement par décret, avec l’article 49.3. Il y a donc toute une série de tâches et de slogans démocratiques à revendiquer que le parti dans lequel nous militons jusqu’à il y a deux ou trois semaines ne considérait pas du tout comme une nécessité. Par exemple, un slogan que nous avons proposé, « Macron dehors », au moment de la plus grande crise, lorsque le Premier ministre est tombé, nous avons proposé que le président parte également. Cette orientation semble tout à fait évidente, mais, pour le NPA-R, aveuglé par son défaitisme habituel, cela ne l’était pas tant que ça.
L’impasse des directions politiques et syndicales de la gauche institutionnelle
D’autre part, en plus de cette crise politique et démocratique, il y a aussi une crise économique. Il y a des ajustements dans l’éducation, il y a des ajustements dans la santé, il y a des ajustements dans le budget de l’État et il y a aussi toute une série de licenciements dans les usines, de travailleuses et travailleurs qui ont perdu ou sont en train de perdre leur emploi. Il y a une réduction importante du budget de l’État, qui se manifeste, par exemple, à l’université, ce qui donne lieu à des mobilisations au niveau national.
À son tour, la pression vers l’extrême droite et la croissance électorale de Le Pen et de Bardella s’inscrivent évidemment dans le contexte international. Il est évident que la situation internationale caractérisée par l’émergence de Trump, par le génocide en Palestine et la guerre en Ukraine, a également un impact sur la France. L’extrême droite impose son programme anti-immigrés, sa haine raciste, ses idées réactionnaires. Cela façonne également la vie politique en France, qui, ces derniers temps, n’a pas été caractérisée par des mobilisations massives dans le contexte actuel, car il y a eu beaucoup de médiation électorale et parce que les directions syndicales et politiques réformistes, que ce soit la CGT en ce qui concerne les syndicats, ou la France insoumise en ce qui concerne la direction politique, se sont caractérisées par une énorme passivité. Il y a des licenciements partout et des ajustements dans l’éducation, la santé, le budget de l’État, et les syndicats ne font absolument rien. Au cours de l’année dernière, l’Intersyndicale n’a fait qu’une marche de routine et un appel tiède à voter pour le Front populaire. Ils ont passé l’année à appeler au « dialogue social » avec le gouvernement Macron. Ils sont très en retard sur l’ampleur des attaques.
Et en ce qui concerne le réformisme, la France insoumise, la tactique du Front populaire qu’ils ont menée lors des dernières élections législatives, au cours desquelles la France insoumise s’est unie au Parti socialiste, au Parti communiste et aux Verts, bien qu’elle ait connu un succès relatif au niveau électoral, la première chose qu’ils ont faite a été, lors des législatives, d’appeler à voter pour les candidats de Macron contre l’extrême droite. Cela a permis, par exemple, l’élection d’Elisabeth Borne et de Darmanin, deux des principaux ministres de Macron. La tactique du « désistement » de LFI est en réalité sa stratégie politique, le renoncement au combat. Et ce Front populaire, qui avait généré une certaine illusion, s’est complètement brisé il y a quelques mois, lorsque, face au nouveau gouvernement, LFI a déposé au Parlement la motion de censure, mais que le Parti socialiste ne l’a pas votée. Qui aurait pu penser que le Parti socialiste allait trahir ? C’était la blague en France. Toute la tactique de Mélenchon et compagnie a servi à organiser la défaite et à ressusciter le PS, qui négocie maintenant avec Macron l’ajustement et de nouvelles mesures contre les retraites. Toute cette perspective de la France insoumise, qui se concentre uniquement sur le Parlement et ne convoque absolument rien en dehors de l’Assemblée, limite les possibilités de mobilisation et de lutte indépendantes.
L’échec du NPA
La question est donc évidemment de construire une extrême gauche révolutionnaire pour mener le combat de manière indépendante. Le problème est que face à cette séquence de polarisation et de luttes, l’extrême gauche a vu ses forces s’affaiblir pour des raisons subjectives et d’orientation. La conséquence de ce processus a été l’explosion du principal parti de la gauche révolutionnaire en France, le NPA. L’adaptation désastreuse du NPA-Anticapitaliste, du secteur historique de Poutou et Besancenot, qui dirigeait le NPA et qui venait historiquement de la LCR, les a amenés à s’adapter totalement à la logique institutionnelle du Front populaire. Par exemple, Poutou, pendant la campagne électorale, a déclaré qu’il était très heureux de faire front avec François Hollande, une honte absolue. L’intégration du NPA-A à ce front s’explique comme une réponse totalement défaitiste et adaptée à la peur du « fascisme », de l’extrême droite. Ils finissent donc par faire front avec n’importe qui. C’est une orientation désastreuse, car justement le Front populaire ne dure qu’un soupir et se brise sur lui-même, liquidant en chemin la construction d’un parti révolutionnaire indépendant avec une perspective de lutte de classe.
De l’autre côté, l’autre scission du NPA, le NPA-Révolutionnaires, avait l’occasion de tenir un premier congrès, un congrès de refondation, pour repenser les bases programmatiques et stratégiques de l’organisation. Mais il n’a rien fait de tout cela. Le congrès du NPA-Révolutionnaires, auquel nous avons participé et qui s’est terminé par notre expulsion de l’organisation, a été abordé par les deux courants majoritaires d’une manière purement organisationnelle, avec un accord de l’appareil pour prendre le contrôle du parti et valider la nouvelle direction, sans remettre en question aucune analyse, aucune orientation pour l’intervention dans la lutte des classes et aucune remise en question ou bilan critique de l’histoire même du parti. Il s’est donc produit une situation de premier congrès dans laquelle la tâche était de fonder une nouvelle organisation après la rupture de la direction historique qui s’était produite deux ans auparavant, mais les deux courants qui ont été minoritaires pendant des décennies dans différentes organisations et qui, pour la première fois, avaient la direction d’un parti, ont décidé de ne pas proposer de nouveau projet, en maintenant les statuts et les principes fondateurs du NPA de 2009 de manière acritique et dépolitisante.
Socialisme ou Barbarie constituera une nouvelle organisation pour refonder la gauche révolutionnaire
Dans ce contexte, Socialisme ou Barbarie a mené un combat politique sans merci lors du congrès du NPA-R, défendant la nécessité de repenser les bases stratégiques et programmatiques de l’organisation. Les prémisses de la création du NPA en 2009 avec l’idée d’un parti large ne correspondent pas à la réalité de la nouvelle étape du combat de classe actuel. Cependant, l’étroitesse d’esprit de la direction du NPA-R a fermé toute perspective de bilan de l’échec du parti et a transformé le congrès en l’événement de notre expulsion. Il s’agit d’une faillite profonde pour une organisation qui envisage de construire un parti sans aucune base politique solide et qui a célébré son premier congrès en expulsant la minorité qui soulevait les véritables débats de fond que la direction voulait cacher.
En ce sens, la place qu’occupait le NPA et qu’occupait la LCR, en tant que principale tendance de la gauche révolutionnaire en France depuis 1968, est désormais vacante. Le NPA-R pense à tort que cette place peut être occupée par Lutte Ouvrière, une organisation routinière incapable de formuler une politique révolutionnaire pour le mouvement social. Pour ces raisons, la tâche qui s’ouvre est la refondation de la gauche révolutionnaire en France, en tirant un bilan critique de l’expérience du NPA et de la LCR, afin de pouvoir construire une gauche révolutionnaire qui puisse jouer un rôle dans la nouvelle étape du combat de classes actuel.
Pour ces raisons, après notre expulsion de la NPA-R, Socialisme ou Barbarie se propose de participer à cette nécessaire refondation en misant sur la construction d’une nouvelle organisation révolutionnaire en rupture avec l’opportunisme et le sectarisme qui caractérisent les courants actuels.