
L’extrême droite se montre au niveau international comme un acteur politique en puissance. D’un point de vue marxiste, nous pouvons évaluer à chaque moment et parfois dans chaque pays quels sont les soutiens de la part des bourgeoisies locales pour monter ce type de projet à la tête de l’État. La bourgeoisie de certains pays se montre parfois divisée sur le soutien qu’elle peut accorder à l’extrême droite et sur le fait de choisir à 100% ce type de réponse pour assurer ses profits et maintenir son système d’exploitation. Certains personnages comme Trump peuvent représenter trop de risques pour assurer le business pour certaines fractions bourgeoises.
Ce que nous commençons à voir dans certains pays est le fait que la justice commence à mettre sur le banc des accusés, ou même à condamner, les actions de figures de l’extrême droite. C’est le cas du processus contre Bolsonaro au Brésil et de la récente condamnation du RN et notamment de Marine Le Pen en France.
Sans défendre « l’état de droit » tout court, restant dans la dénonciation systématique de son caractère de classe, nous pouvons cependant soutenir les réclamations de justice contre l’extrême droite car il est nécessaire de la condamner et de la faire reculer par tous les moyens possibles. C’est l’exemple du militantisme argentin dans la lutte contre l’impunité de tous les militaires génocidaires appartenant à la dictature, exemple qui est suivi de près, revendiqué par beaucoup de camarades marxistes et révolutionnaires et souhaité par bien d’autres camarades ailleurs. [1] Par exemple, les camarades espagnol.es sont admirateur.ices de ce processus de justice, car il n’y a pas eu un tel processus dans l’État Espagnol contre le franquisme. Les luttes pour la justice contre la dictature sont constitutives des rapports des forces actuelles en Argentine, c’est pour cela que Milei s’attaque à toute forme de mémoire historique, comme les chiffres des disparu.es. C’est pourquoi Milei est soutenu par les secteurs réactionnaires argentins.
En France, Révolution Permanente nous propose une analyse juridique des arguments de la décision de justice dans son article « Condamnation du RN : contre l’extrême droite, faut-il défendre la « justice » et « l’État de droit » ? ». Les camarades nous expliquent qu’« il faut accueillir toute décision contre l’extrême droite venue de l’État et de sa justice avec la certitude que les outils mobilisés frapperont demain les opposants de gauche. » Nous comprenons la crainte du renfoncement de l’appareil répressif de l’État par des jugements de ce type et nous partageons la dénonciation de l’application réactionnaire et quotidienne de l’exécution provisoire de la peine à l’encontre des membres de notre classe qui sont poursuivis par les forces répressives et la justice pénale tous les jours.
Cependant, cette position de RP se rapproche beaucoup trop de celle de Jean-Luc Mélenchon, car la position initiale de La France Insoumise d’accorder et garantir à Le Pen son droit à un recours exprime aussi des craintes de ce type. Bien que sa crainte soit beaucoup plus justifiée vu le montant d’assistants parlementaires que LFI possède actuellement, la peur des condamnations envers des députés de la gauche institutionnelle ne peut pas nous faire renoncer au combat pour faire condamner Le Pen au niveau judiciaire, avec l’appui de la mobilisation populaire dans la rue.
Sa condamnation permet à de larges secteurs de notre classe de comprendre la nature bourgeoise et pourrie du RN. Nous pouvons prendre comme exemple l’échec de la mobilisation de l’extrême droite pour soutenir Marine Le Pen. Sa condamnation est un élément favorable pour notre camp social, pour discréditer l’extrême droite et pour développer la lutte dans la rue de notre classe contre les réactionnaires.
Pour le cas brésilien, Esquerda Diario porte à son tour des réflexions similaires. [2] Pour les camarades du MRT (parti frère de RP au Brésil), la seule et véritable façon de faire reculer l’extrême droite est la mobilisation populaire. Cependant, cette organisation a été absente des mobilisations dans la rue contre Bolsonaro, refusant le mot d’ordre de prison pour l’ex-président brésilien. [3] Pour nous, à Socialisme ou Barbarie, les condamnations et le déploiement de la lutte dans la rue pour la prison de Bolsonaro dans le cas brésilien, constituent un énorme point d’appui pour la construction du mouvement contre l’extrême droite. Nos camarades de Socialisme ou Barbarie au Brésil militent activement dans la lutte pour exiger la prison pour Bolsonaro, ce qui représente une opportunité historique de justice dans un pays qui n’a jamais réussi à condamner les militaires appartenant à la dernière dictature.
L’Etat bourgeois nous opprime, nous méprise, nous exploite et bien souvent nous poursuit avec sa justice, pourquoi demander l’application de sa répression contre l’extrême droite ? Parce que face à l’extrême droite, l’exigence de justice possède un caractère transitionnel pour notre classe. [4] Perdre l’Etat de droit bourgeois face au fascisme ou face à l’extrême droite ne nous met pas dans des meilleures conditions pour développer la conscience de classe et la lutte pour la révolution, bien au contraire.
Nous partons du point de vue du constat de la nature bourgeoise de l’Etat et particulièrement de sa justice. Plusieurs penseurs marxistes se sont intéressés aux questions juridiques et ont suivi des études sur le droit. Ce n’est pas le fait d’être formé aux idées juridiques qui doit nous convertir à des logiques de pensées juridiques bourgeoises comme l’égalité de la loi bourgeoise ou l’application pour toutes les situations de la même logique interne du droit dans l’État bourgeois.
Nous sommes certain.es que nous pouvons distinguer la lutte pour la justice pour notre camp social quand nous sommes attaqué.es de façon politique. Nous devons lutter contre la justice bourgeoise à chaque fois qu’elle nous attaque, avec tous les moyens dont nous disposons. Mais la crainte des attaques bourgeoises, qui existent et qui ont toujours existé, ne peut pas nous faire plonger dans des raisonnements libéraux.
Pour nous, à Socialisme ou Barbarie tant en France qu’au Brésil, il nous semble que la lutte pour les condamnations de l’extrême droite contribue à faire avancer la conscience de notre classe et nous ne sommes pas sectaires avec “le plaisir compréhensible que ça a suscité à gauche” [5] ou “le soulagement de plusieurs de voir Bolsonaro (…) sur le banc des accusés” [6]. Leurs condamnations améliorent les conditions dans lesquelles nous luttons contre l’État bourgeois, contre l’extrême droite et pour la révolution. Luttons pour condamner l’extrême droite, tant par la justice bourgeoise, que dans la rue et dans nos lieux de travail et d’études. Faisons-la reculer et disparaître, remettons-la à sa place : la poubelle de l’histoire.
Notes :
[1] Myriam Bregman, référente du PTS argentin, est reconnue pour son militantisme en tant qu’avocate des victimes dans cette lutte.
[2] “A extrema-direita não irá recuar por conta de processos judiciais. Basta ver Trump nos EUA e Milei na Argentina para entender que essa corrente segue buscando uma figura que possa carregar adiante seu programa reacionário, mesmo que Bolsonaro venha a ser substituído.” https://www.esquerdadiario.com.br/STF-transforma-Bolsonaro-em-reu-por-tentativa-de-golpe
[3] https://esquerdaweb.com/colocar-bolsonaro-e-todos-os-golpistas-na-prisao-e-tarefa-fundamental/
[4] Dans le sens du Programme de transition de Trotsky.
[5] https://www.revolutionpermanente.fr/Condamnation-du-RN-contre-l-extreme-droite-faut-il-defendre-la-justice-et-l-Etat-de-droit
[6] https://www.esquerdadiario.com.br/Bolsonaro-generais-e-militares-no-banco-dos-reus-acusados-de-tentativa-de-golpe-de-estado cité par Tatiane Lopes dans https://www.esquerdadiario.com.br/STF-transforma-Bolsonaro-em-reu-por-tentativa-de-golpe